© Belga

Retour aux urnes, le très mauvais plan B

Et si la solution au blocage politique actuel passait par l’organisation de nouvelles élections ? Ce scénario ne doit plus être exclu. Mais il n’est pas dit que rebattre les cartes permettra d’y voir plus clair.

Ils n’osent l’imaginer, ou alors en tremblant. Ils ne s’y résoudraient que comme un ultime expédient de toute façon détestable. Décréter le retour anticipé aux urnes pour cause de panne politique prolongée ? « Tout, mais pas ça ! » clament en choeur tous les partis, flamands comme francophones. A une exception près : la N-VA, qui ne verrait pas d’un mauvais £il cette perspective… Petite revue des arguments pour et contre ce scénario boiteux, mais peut-être pas pire qu’un autre.

CONTRE

Un scrutin « anormal ». Il vaudrait le détour, ce scrutin, tant il ferait tache dans l’histoire du pays. Des élections après des élections, sans un gouvernement constitué entre-temps : jamais le citoyen belge n’y a goûté. « Cela signifierait une rupture de l’esprit de la Constitution », souligne même Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp. Une belle dérogation aux codes qui régissent habituellement l’organisation d’élections anticipées : « Elles résultent soit d’une crise gouvernementale, soit de la décision conjointe du Parlement et du gouvernement d’adopter une déclaration de révision de la Constitution qui entraîne la dissolution automatique des chambres. »

Rien de cela, en l’occurrence : le gouvernement est déjà au tapis, une déclaration de révision ne pourrait être qu’un copier-coller de la précédente. Pour Vincent de Coorebyter, ce scrutin serait franchement « anormal ».

POUR

Les vainqueurs du 13 juin ont échoué. Plébiscités par les électeurs, le Parti socialiste d’Elio Di Rupo et la N-VA de Bart De Wever auraient pu profiter de l’euphorie de la victoire pour bâtir un accord vite fait. Las, les négociations se sont rapidement engluées dans une guerre de tranchées sans fin. Verdict, selon De Wever lui-même : « On a perdu le momentum. » Le reverra-t-on un jour, ce fameux « momentum » propice à la réalisation d’un compromis ? Cela semble mal parti. Jusqu’à présent, les vainqueurs du 13 juin n’ont réussi qu’une seule chose : démontrer leur incapacité à ficeler une réforme de l’Etat et à former un gouvernement.

CONTRE

Le risque d’une démobilisation civique. Sur fond d’échec collectif du monde politique, les partis devraient repartir en campagne, et convaincre le citoyen que, non, décidément, ils n’y sont pour rien… Bonne chance à eux. « Ces nouvelles élections représenteraient un coût financier non négligeable pour les finances publiques. Mais elles auraient surtout un coût civique considérable », redoute le ministre socialiste Paul Magnette. Au printemps dernier, après la chute du gouvernement fédéral, les partis avaient déjà ramé pour convaincre des citoyens furibards, décidés à s’abstenir, de se rendre tout de même dans les isoloirs. « Je crains qu’un ras-le-bol démocratique se manifeste, poursuit Paul Magnette. Les dégâts seraient très difficiles à rattraper. Quand on additionne l’abstention, les votes blancs et les votes nuls, on arrive déjà à presque 30 % des citoyens belges. Qu’est-ce qui se passe si, demain, on doit affronter une grande campagne de démobilisation civique ? Quelle sera la légitimité du nouveau Parlement ? »

POUR

Il est temps que les électeurs flamands dévoilent leurs intentions. Les politologues du nord du pays n’ont de cesse de le répéter : non, tous les électeurs de la N-VA ne sont pas séparatistes. Beaucoup d’entre eux ont voté, le 13 juin, pour Bart De Wever, Jan Peumans ou Geert Bourgeois par hostilité pour les partis traditionnels, plutôt que par adhésion à la doctrine flamingante. La N-VA allait débloquer l’Etat belge, espéraient ces électeurs qui se sont précipités dans les bras nationalistes « juste pour un soir ». Six mois plus tard, ils ont eu tout le loisir de méditer sur les conséquences de leur geste. Le scrutin anticipé aura valeur de référendum : pour ou contre la Belgique ? Si la N-VA réalise un nouveau score canon, les francophones sauront quelles conséquences en tirer.

CONTRE

Des élections pour rien. Si au moins l’électeur allait redistribuer les cartes, avec pour effet d’ouvrir enfin le jeu. C’est tout sauf acquis : les sondages se suivent et se ressemblent pour doucher les espoirs. Selon toute vraisemblance, le verdict des urnes forcera à prendre les mêmes et à recommencer. N-VA au Nord, PS au Sud : retour probable au choc des titans du 13 juin. « Dans un contexte communautaire, le parti pivot qui domine et maîtrise le jeu au sein de sa communauté sort mécaniquement renforcé d’une période de tensions », analyse Vincent de Coorebyter. Elio Di Rupo et Bart De Wever seraient donc plutôt gâtés sur la ligne de départ : « Leur exposition médiatique et leur rôle moteur au fil des négociations ont renforcé leur aura et leur puissance au sein de leurs communautés respectives. »

POUR

L’électeur peut changer d’avis. Les sondages annoncent une nouvelle victoire de la N-VA et du PS en cas d’élections anticipées. Et alors ? Depuis quand, en démocratie, les sondeurs décident-ils à la place des citoyens ? Et puis, ce ne serait pas la première fois que des prédictions seraient déjouées dans les urnes… « Revoter reviendrait à rendre la parole au peuple souverain, à lui redonner sa liberté mais en l’invitant à en faire un autre usage que la fois passée. Perspective pour le moins particulière », estime Vincent de Coorebyter. Voilà qui ne devrait pas effrayer grand monde dans ce royaume surréaliste : à pays particulier, réponse particulière.

CONTRE

On n’a pas encore tout essayé. Avant de recourir à la solution extrême d’un retour aux urnes, la moindre des choses serait tout de même de tenter chacune des formules possibles. Or, depuis le 13 juin, ce sont toujours les sept mêmes partis qui ont négocié : N-VA, PS, SP.A, CD&V, CDH, Groen ! et Ecolo. L’hypothèse d’un retour des libéraux n’a jamais été tentée, ni celle d’un gouvernement sans la N-VA.

POUR

Les libéraux n’ont pas de légitimité électorale. L’Open VLD d’Alexander De Croo a fait chuter le gouvernement sur le dossier Bruxelles-Hal-Vilvorde. Les électeurs ne l’en ont pas remercié : son parti a subi un dur revers, chutant de 20 % à 13 %. Quant au MR de Didier Reynders, il a dégringolé partout en Wallonie. Et si ses pertes sont limitées à Bruxelles, il recule tout de même de 22,7 % à 19,2 %. Bref, inviter les libéraux à remonter dans l’attelage gouvernemental, ce serait tendre la main aux perdants, six mois à peine après qu’ils ont été désavoués dans les urnes. Un véritable affront aux électeurs. Dans ces conditions, autant revoter.

FRANÇOIS BRABANT ET PIERRE HAVAUX

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire