© BELGA

Restos, bistros: les bonnes adresses du pouvoir

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Du Palais de la Nation au 16 Rue de la Loi : on connaît tous les centres officiels du pouvoir. Mais où se réunissent les ministres, parlementaires, leaders syndicaux et hommes d’affaires pour traiter discrètement leurs affaires importantes?

En 1992, Geert van Istendael écrivait dans son livre intitulé Arm Brussel (Pauvre Bruxelles): « Le pouvoir du pays est figé dans un petit rectangle situé le long du Parc de Bruxelles. Je ne connais aucune capitale où le chef d’État, le gouvernement, la souveraineté populaire et le pouvoir économico-financier qui domine les trois premiers sont aussi proches ».

À Bruxelles, tout le pouvoir se concentre en effet au même endroit. Du côté du Parc où se trouvait feue la Société Générale, se situe la résidence de fonction du ministre-président flamand, l’Hôtel Errera. Un peu plus loin, l’Hôtel de Ligne abrite le Parlement de la Communauté française. Face au Parc de Bruxelles, le Palais de la Nation héberge le Sénat et la Chambre.

L'Hôtel des Finances
L’Hôtel des Finances © Jef Boes

Quant aux ministres fédéraux, la plupart d’entre eux travaillent Rue de la Loi. Le premier ministre Charles Michel a son cabinet au 16 et la majorité de ses ministres ont également leurs cabinets dans la Rue de la Loi. Johan Van Overtveldt, le ministre des Finances, possède sans aucun doute le plus beau bureau de tous, l’Hôtel des Finances situé au 12 Rue de la Loi. La plupart des partis et les groupements d’intérêt sont également établis près de la Rue de la Loi.

Cependant, pour discuter discrètement, les ministres, les députés et autres personnes influentes se rendent dans un des nombreux établissements que compte la ville de Bruxelles. Selon un parlementaire, il est en effet indispensable de les fréquenter. « Sans ces contacts informels, il est impossible d’obtenir quelque chose à la Chambre. On y rencontre les collègues d’autres partis, on peut y vérifier s’ils sont d’accord de signer une proposition de loi ou une motion. Si vous passez uniquement via la voie officielle des chefs de faction, vous n’irez nulle part ».

Café Treurenberg

Depuis toujours, les établissements affectionnés par les socialistes se trouvent près du centre-ville. La Maison du Peuple de Victor Horta, détruite en 1965, se trouvait près du Sablon, le quartier où se situe le quartier général de la FGTB, du PS, de la Mutualité socialiste et du sp.a.

Le Pou qui tousse
Le Pou qui tousse © Jef Boes

Grâce à cette proximité, les ténors socialistes peuvent partager les mêmes cafés et restaurants. Le pou qui tousse, un petit restaurant sarde autrefois fréquenté par Karel Van Miert et Jacques Delors, reste un endroit étonnant. Aujourd’hui, les ténors socialistes utilisent cet établissement comme cantine : tous les midis, on y trouve au moins un ponte socialiste.

Restos, bistros: les bonnes adresses du pouvoir
© Jef Boes

Un peu plus chic, la Rotonde est surtout appréciée par les libéraux. De nouveaux restaurants s’ajoutent en permanence. Di Tommaso (Rue de la Croix de Fer), par exemple, qui possède une bonne carte de vins payables. Ces dernières années, les nouveaux restaurants thaï et vietnamiens proposent des repas de midi à moins de quinze euros, également plébiscités par les élus. Dans le même quartier, on trouve leurs cafés préférés : le Café Treurenberg (Rue de l’Enseignement 14) fréquenté par les députés fédéraux, qui servi d’ailleurs de théâtre à une bagarre entre des collaborateurs de la N-VA et du sp.a, The Butterfly (Place Surlet de Chokier 4) par les députés flamands et le Café Jaguar (Rue de Louvain 18) par les membres du Vlaams Belang qui sont généralement installés dans une pièce isolée. En été, les terrasses de la Place de la Liberté sont pleines à craquer.

Certains gourmets parlementaires n’hésitent pas à se rendre près de la place Sainte-Catherine. Là, ils ont le choix parmi Bij Den Boer (Quai aux Briques, 60), La Marie-Joseph, un peu meilleur, mais plus cher (Quai au Bois à Brûler 47) et un peu plus loin, Henri (Rue de Flandre 113).

Et même si le quartier touristique de la Rue des Bouchers n’est pas très prisé parmi les guides culinaires et les amateurs de cuisine moderne, les ministres, parlementaires, faiseurs d’opinions, consultants en communication, caciques de syndicats, hauts fonctionnaires et lobbyistes apprécient la viande de boeuf de Vincent, (Rue des Dominicains 8), le poisson frais de Scheltema (Rue des Dominicains 7), les plats traditionnels d’Aux Armes de Bruxelles (Rue des Bouchers 13) et les croquettes aux crevettes de la Taverne du Passage (Galerie de la Reine 30). Tous ces établissements ne sont pas très calmes, mais le brouhaha permet de ne pas craindre les oreilles indiscrètes. Et en fin de repas, l’addition est tout à fait raisonnable.

« L’époque où nos ministres osaient s’en donner à coeur joie dans les restaurants étoilés Comme Chez Soi et La Villa Lorraine est révolue. C’est aussi une question de générations. Les quadragénaires d’aujourd’hui qui dirigent la Rue de la Loi, préfèrent manger rapidement un repas sain dans leur propre cabinet » nous confie un politique.

Adresses discrètes

Finalement, il y a les adresses discrètes. À l’arrière du quartier général du CD&V, Wouter Beke aime recevoir ses invités dans le restaurant italien peu connu des politiques Il Ramo Verde (Rue de Toulouse 46).

Les membres du PS n’hésitent pas à se réunir dans les établissements plus chers tels que Piccolo Mondo (Rue Jourdain), situé près du Palais de Justice où se trouvent quelques-uns des grands bureaux d’avocat du pays.

La femme du sommelier, un restaurant situé dans la Rue de l’Association, est une nouvelle adresse culinaire. Situé pratiquement sur le coin du Boulevard du Jardin Botanique et de la Rue Royale, ce petit restaurant à la carte limitée et au vin excellent possède tout ce que le monde de la politique belge apprécie.

Pour cette raison, de nombreux cabinets n’hésitent pas à engager un bon cuisinier. La plus célèbre d’entre elles est sans nul doute Maria Landis, une Gantoise d’origine sarde ramenée à Bruxelles par Guy Verhofstadt. Elle cuisinait au Seize et au Lambermont, à la grande satisfaction des invités (internationaux) du premier ministre. Elle était si bien qu’après l’époque violette, elle a continué à cuisiner pour premiers ministres qui ont suivi : Elio Di Rupo (PS, 2011-2014) et maintenant Charles Michel. Heureusement, le bon goût dépasse les frontières de majorités et de coalitions.

Pourtant, certains politiques estiment toujours que plus le restaurant est éloigné de la Rue de la Loi et plus la carte est chère, mieux le restaurant convient à des rendez-vous d’un certain niveau, ce qui explique l’attirance d’un thaï comme Les larmes du tigre (Rue de Wynants 21), un japonais plus cher tel que Samuraï (Rue du Fossé aux Loups 28) et le très cher Senza Nome, sacré « meilleur italien en dehors de l’Italie » (Petit Sablon 1).

Cependant, nulle part, la discrétion n’est aussi assurée que dans les clubs. Si autrefois, ils étaient réservés aux francophones, aujourd’hui le club flamand De Warande (Rue Zinner 1) est très prisé par les ténors flamands tels que Hilde Crevits, Kris Peeters et Liesbeth Homans.

Détail amusant, De Warande est situé tout près du fameux Cercle Gaulois (Rue de la Loi 5) – en toutes lettres Cercle Royal Gaulois Artistique et Littéraire. Le Cercle est la dernière relique de la Belgique à papa. Ses membres viennent notamment pour le golfe, le bridge, l’oenologie et les classic cars. S’il est largement dirigé par des aristocrates, le club exerce toujours de l’influence. Parmi ses membres d’honneur figurent non seulement Etienne Davignon, le baron Franck (ancien rédacteur en chef de La Libre Belgique) et Valery Giscard d’Estaing, mais aussi le baron Frans Van Daele, ancien diplomate et chef de cabinet du roi.

Presque aussi vénérable que le Cercle Gaulois, le Cercle de Lorraine situé Place Poelaert, a accueilli Bart De Wever, invité par Didier Reynders, encore vice-premier ministre d’Elio Di Rupo, pour convaincre le public de la nécessité d’une politique de centre droit.

Reynders et De Wever avaient déjà préparé ce changement de régime dans le restaurant étoilé Bruneau (Avenue Broustin 73) avec Siegfried Bracke, Jean-Claude Fontenoy et le lobbyiste Koen Blyweert. Avec le recul, ce repas a valu son pesant d’or.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire