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 » Rendre la Wallonie attractive, mais de façon structurée « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’Ecolo Philippe Henry, ministre wallon de l’Aménagement du territoire, a irrité plus d’un membre de l’Olivier. Sa réforme du Cwatupe enfin adoptée, il défend ses options politiques et riposte face aux parlementaires mécontents. Alors qu’arrive en juin son prochain brûlot: la refonte du Schéma de développement régional (Sder).

Le contexte socio-économique n’est pas évident en Wallonie. Certains , y compris au sein de l’Olivier, ont critiqué votre politique en matière d’aménagement du territoire. Il n’y aurait pas assez de lien avec le développement économique. Un faux procès ?

Philippe Henry : Ces critiques ne tiennent précisément pas compte du travail effectué durant cette législature qui a été fortement dans ce sens-là. Il y a d’une part, à court terme, des dossiers très concrets de mise à disposition de terrains. On finalisé le plan des zones d’activités économiques, il concerne 2120 hectares !

Qui sont déjà mis à disposition ?

Non, les révisions de plans de secteur sont en cours. C’est d’ailleurs un peu cela mon reproche… mon constat plutôt. Il y a des hauts et des bas, cela manque de fluidité. C’est pour ça que dans le nouveau Schéma de développement de l’espace régional (Sder), qui devrait être approuvé par le gouvernement en juin, nous avons identifié le besoin de 200 hectares par an pour l’activité économique. Pour l’instant, on accumule trop de temps avant d’identifier les terrains. 2120 hectares, cela représente de la réserve pour plusieurs années, mais il faudrait que ce soit mis en oeuvre plus rapidement. Parce que les besoins des entreprises évoluent beaucoup plus vite qu’avant.

Une des lignes de force très importantes de la politique que je mène, c’est de veiller à ce que la bonne activité soit installée au bon endroit. On sait qu’il faut des zones d’activités économiques le long des grands axes de communication pour accueillir de très grandes entreprises, par exemple. Nous devons être accueillants pour ces projets. Mais en même temps, chaque fois que l’on peut localiser des plus petites entreprises ou des bureaux dans les centre villes ou près des transports en commun, on va le faire pour ne pas gaspiller les terrains et pour faciliter les déplacements des travailleurs et des clients. L’expérience que l’on a, c’est que des entreprises s’installent au milieu des champs et, quelques années plus tard, elles demandent que l’on mette des bus. C’est évidemment impossible à financer pour les pouvoirs publics.
Il y a par ailleurs un budget de 125 millions d’euros prévu dans le plan Marshall 2.vert pour la dépollution des sols et 100 millions pour l’aménagement. On a fait une sélection des sites en tenant compte de ces critères mais aussi de leur impact sur la santé publique, bien sûr. Nous ne pouvons pas tout faire d’une fois, il y a un passif énorme à cet égard en Wallonie.

Vous parlez d’un manque de fluidité, à quoi cela est-il dû ?

Les procédures sont longues. C’est un mal auquel nous avons remédie via la réforme du Code wallon d’aménagement du territoire (Cwatupe), devenu le Code de Développement territorial (CoDT). D’autre part, nous sommes dans une logique où il y a des appels d’air brutaux, des demandes de terrains qui apparaissent soudainement… Il faut quelque chose de plus régulier, qui n’exacerbe pas les rivalité entre les sous-régions. Chacun d’entre elles a ses objectifs, essaye d’attirer les entreprises chez elle et il n’est pas toujours évident d’avoir une approche régionale cohérente. Cela passe aussi par une information relative aux terrains et bâtiments réellement disponibles. L’information ne circule pas suffisamment à travers toute la Wallonie.

Il manque d’un outil régulateur ?

Il faut différents outils régulateurs, en effet. Le CoDT, qui a été adopté en première lecture par le gouvernement, c’est la boîte à outils. Ce n’est pas pour rien que nous l’avons appelé le Code « du développement territorial ». J’ai proposé ce nom au gouvernement parce que je voulais marquer le coup. C’est une réforme de fond en comble, historique en ce sens que rien de tel n’avait été fait depuis la loi fédérale de 1962. Le Sder, qui va suivre, est tout aussi important parce qu’il définit la structuration de territoire.

Nous menons vraiment cette réorganisation en essayant d’être au service des projets. J’ai pris à la lettre tous ceux qui réclamaient un travail de simplification. Encore faut-il savoir : simplifier au service de quoi ? On peut aussi supprimer toutes les procédures, alors ce sera très simple, mais comment gère-t-on cela ?

Vous voulez donner de vraies impulsions, au départ de votre conviction écologique pour le développement durable. En concentrant tout autour de axes de communication ou des centres urbains, par exemple. Cela irrite…

Nous devons être très attentifs à la localisation des activités. Très souvent, on confond aménagement du territoire et urbanisme, c’est-à-dire la couleur des briques, la largeur des fenêtres. Je ne dis pas que cela n’a aucune importance, il y a un enjeu esthétique à ce niveau. Mais l’essentiel, c’est de bien localiser les activités. Aujourd’hui, se déplacer coûte plus cher qu’avant et cela coûtera encore bien plus cher demain. Habiter dans un endroit où l’on a besoin de deux voitures, cela devient un vrai problème dans le revenu dees ménages. Un habitat complètement dispersé comme on l’a laissé faire ces trente dernières années, cela a en outre un coût pour les pouvoirs publics : il faut développer les voiries, amener l’eau, le gaz, enlever les immondices…

Bien localiser les activités, cela nécessité une vision structurée du territoire. Il y a dans le CoDT cinq principes fondateurs dont le souci prioritaire de renforcer la centralité, qui était absent du Code précédent.

C’est cela qui a fâché. On a dit que vous vouliez interdire les villas quatre façades dans la campagne…

J’insiste : il ne s’agit pas d’élever les villes contre les campagnes. Dans toutes les communes de Wallonie, on déterminera des périmètres « U », là où il y a déjà une certaine urbanisation, des transports en commun, des services… L’idée consiste à renforcer encore ces zones. Ce n’est pas une logique d’interdiction mais d’incitation ! Il ne s’agit bien sûr pas de dire que l’on ne peut plus faire de quatre façades. Les terrains à bâtir sont à bâtir, ce sont les plans de secteur. Mais on veut renverser la tendance et encourager les projets qui sont bien situés parce qu’aujourd’hui, on continue à s’étaler.

Comment renverser cette tendance ?

Il y a de très gros encouragements, d’abord par la simplification des procédures. Paradoxalement, c’est dans ces périmètres « U » qu’il est aujourd’hui le plus difficile de construire. Dans ces périmètres, nous éliminerons les affectations précises du plan de secteur et nous ne travaillerons plus par dérogations comme c’est le cas aujourd’hui. Toutes les zones urbanisables deviendront des zones d’affection mixte où il sera beaucoup plus facile de développer un projet, que ce soit des logements, des bureaux, des commerces. C’est une simplification énorme !

Il y a aussi un encouragement financier. On crée un fonds de captation des plus-values. Quand des terrains qui ne sont pas à bâtir le deviennent, les plus-values seront mises dans un fonds pour inciter aux communes à acheter des terrains, des bâtiments et mener leurs politiques foncières. Cela concerne bien toutes les communes, pas seulement les villes !

Mais politiquement, il y a eu des frondes parlementaires, y compris dans votre majorité !

Je pense que le conservatisme de manière générale est une force dominante dans la société. Quand on veut changer, cela fait peur. Il y avait peut-être des a priori par rapport à une approche écologiste qui empêcherait de faire quoi que ce soit et qui compliquerait tout, mais nous faisons tout le contraire. Notre objectif, c’est de rendre la Wallonie attractive, mais de façon structurée.

Avec une volonté de mieux encadrer les politiques locales ?

De mieux les baliser, oui, mais en donnant plus de latitude pour les communes dans la mise en oeuvre concrète de ces objectifs. Elles sont d’ailleurs en demande de cet encadrement pour des raisons financières mais aussi pour avoir des outils les aidant à résister aux demandes individuelles de la population.
Pour revenir aux tensions politiques, je pense qu’il y a vraiment eu une incompréhension quant aux intentions. On a caricaturé cela en un débat « villes contre campagnes » alors que c’est outil est surtout utile dans les zones rurales ! C’est là que la réflexion sur la structuration du territoire est la plus utile. Par ailleurs, au départ, nous étions partis sur une logique plus individuelle avec un encouragement lié aux primes accordées aux citoyens pour leurs projets. Ici, ce n’est plus du tout le cas. C’est une logique collective, cela a un peu calmé le jeu.

Paul Magnette, président du PS, confiait au Vif il y a quelques semaines qu’il serait utile d’avoir un organisme pour gérer cette vision du développement du territoire.

J’ai lu dans vos colonnes le constat du nouveau bourgmestre de Charleroi . C’est très bien. Mais tout le travail de cette législature va dans ce sens-là et les outils existent, il faut les utiliser. On a l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps), on a la Commission permanente du développement territorial (Cpdt) qui rassemble des chercheurs en aménagement du territoire actifs dans les universités francophones… Ils travaillent pour la Région. Notre vision, qui tient compte du fait qu’il y aura 750.000 nouveaux Wallons d’ici 2060, elle vient de là.
Tout le travail du Sder est lui aussi alimenté par ces organismes. En réalité, on a une très bonne connaissance des enjeux territoriaux en Wallonie. Le tout, c’est qu’il faut pouvoir accepter une vraie politique wallonne, interrégionale, avec des objectifs à long terme. En politique, ce n’est pas habituel de travailler comme ça.

Un des problèmes de la Wallonie, c’est qu’elle se redresse à certains endroits, mais que des sous-régions restent exclues de cette dynamique. C’est l’objectif du Sder d’y travailler ?

Bien entendu. Tout ne se joue évidemment pas uniquement via les politiques d’aménagement du territoire. Mais le but, c’est de rendre ces territoires attractifs pour permettre à ces sous-régions de se développer et d’être les plus prospères possibles.

Quand on identifie 750.000 nouveaux Wallons d’ici 2060, ou 125.000 ménages en plus d’ici 2020, cela signifie qu’il faudra construire beaucoup de nouveaux logements, pas nécessairement dans les mêmes dimensions qu’avant. Il y a une demande pour que les logements soient plus petits parce que les familles changent de taille, que les gens sont plus vieux… Le Sder prévoira une répartition de ces logements non pas commune par commune mais à l’échelle des bassins qui regroupent un ensemble de communes plutôt homogènes. L’objectif, c’est qu’à l’intérieur d’un bassin, qui n’est pas un niveau institutionnel, les communes se parlent pour répartir ce nombre de logements, déterminer les infrastructures collectives dont elles ont besoin….

Cela va à l’encontre du mal wallon de saupoudrage…

C’est clair. Aussi bien dans le Sder que dans le CoDT, j’essaie de mettre en place les bons outils pour prendre les décisions au bon niveau.

Aujourd’hui, moi, comme ministre, je suis saisi d’un certain nombre de recours mineurs pour une véranda, une teinte de briques… Nous voulons abandonner cette logique de la réglementation pour diminuer le nombre de recours qui rendent les décisions insécurisées. Parce qu’aujourd’hui, dans pratiquement 80% des cas, on ne respecte pas la réglementation. Dans notre projet, il y aura d’ailleurs prescription après dix ans pour les infractions mineures, si personne ne s’est plaint.
Par contre, le problème, c’est qu’il y avait de tous gros projets qui ne passaient pas par le niveau régional. Une commune seule pouvait décider d’installer un gros centre commercial, par exemple, alors que cela a évidemment un impact au-delà de son territoire.

Cela se passera comment ?

Au-delà d’une certaine taille, un centre commercial devra recevoir l’aval du fonctionnaire délégué, qui est en quelque sorte l’envoyé de la Région dans la sous-région.

Claude Eerdekens, député wallon PS et bourgmestre d’Andenne, était dur à votre égard…

… à quel sujet ? Parce il a déjà dit tellement de choses.

Sur votre logique de concentrer les habitants, sur le manque d’appui au développement économique… il parlait d’un « dogmatisme vert ».

C’est le reflet d’un a priori inimaginable. Il dit n’importe quoi…

Au parlement aussi ?

Quand il vient, effectivement, cela lui arrive de dire n’importe quoi. Je ne sais pas trop quoi répondre à ça, je préfère travailler avec des gens constructifs. Ce que l’on prévoit n’est d’ailleurs pas complètement aux antipodes de ce qui se passe dans sa ville d’Andenne, ils ont aussi des projets dans le centre-ville. J’ai parfois l’impression que de sa part, c’est une posture de communication.

Mais dans les rangs socialistes, en général, on a été irrité par votre politique !

Oui, mais le débat parlementaire il y a deux semaines s’est très bien passé. L’agence de presse Belga disait d’ailleurs : la majorité Olivier s’est « rassérénée » autour du CoDT, ce qui était quand même plutôt inattendu. Il y a eu un gros travail du gouvernement sur ce projet, on en a parlé entre ministres pendant huit mois. Avec des avocats, des conseils. Et nous sommes arrivés à quelque chose dans lequel tout le monde se retrouve. On a rassuré par rapport à l’autonomie communale, par rapport au développement économique. Et au bout du compte, on a une réforme cohérente, bien approuvée par tout le monde. En dehors de M. Eerdekens qui reste lui-même.

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