Rudi Decrop. © Belga

Remplacement des F-16 : Un officier supérieur sème le doute

Un officier supérieur, le lieutenant-colonel Rudi Decrop, spécialiste de la logistique liée aux F-16, a semé mercredi le doute dans l’esprit des parlementaires en affirmant que ces avions pouvaient être prolongés d’une demi-douzaine d’années sans guère de coûts supplémentaires, entraînant des demandes groupes de l’opposition de suspendre la procédure d’achat de nouveaux avions de combat.

Cet officier technicien, jusqu’ici présenté dans la presse comme étant le « colonel X », lanceur d’alerte au sein de la Défense, a déclaré, lors d’une audition devant la commission de la Défense de la Chambre, que les appareils belges étaient en bon état et avaient connu des profils de vol moins « durs » qu’envisagé par le constructeur du F-16, le groupe américain Lockheed Martin et pourraient dès lors voler 1.500 heures de plus que le maximum de 8.000 heures annoncé jusqu’ici. Avec les modernisations approuvées par le gouvernement en juin 2017 pour 41 millions d’euros afin de maintenir les avions pleinement opérationnels jusque la fin de leur durée de vie prévue, ces avions peuvent aisément rester en service jusque 2030, a expliqué le lieutenant-colonel Decrop. Pour prolonger davantage la vie des F-16, jusque 2035, il faudrait investir davantage – environ 20 millions d’euros par an – qui s’ajoutent aux frais de fonctionnement de 80 millions annuels, soit une centaine de millions par an, mais nettement moins que les 250 millions que coûteraient annuellement de nouveaux avions, a-t-il ajouté.

Sous le coup de ces propos, plusieurs députés, comme Julie Fernandez Fernandez, au nom du groupe PS, Georges Dallemagne (cdH), Dirk Van der Maelen (spa.a) et Raoul Hedebouw (PTB) ont réclamé la suspension immédiate de la procédure d’achat de 34 nouveaux chasseurs-bombardiers lancée par le gouvernement.

Demande de suspension de l’achat de nouveaux avions

Les députés socialistes ont reproché dans un communiqué au gouvernement de « foncer tête baissée » pour acheter dans l’urgence des avions de combat pour une facture totale de 15 milliards d’euros » (sur la durée de vie de ces appareils, estimée à 40 ans). « Une urgence et un choix que l’on sait aujourd’hui non justifiés étant donné que nos F-16 pourraient potentiellement avoir de nombreuses années de service supplémentaires et que des solutions moins chères pour le budget de l’Etat – et à fiabilité égale – étaient sur la table », a souligné le groupe PS. Selon lui, les auditions des militaires mercredi en commission de la défense ont clairement démontré que la Défense n’avait pas cherché à exploiter d’autres pistes que l’achat de nouveaux avions. « Pour une raison simple, la décision politique du gouvernement Michel était claire et formelle: il fallait de nouveaux avions », indique le communiqué. « Le gouvernement Michel peut-il vraiment se permettre d’engager la Belgique pour un achat à 15 milliards? Ou pour le dire autrement, assumer que cet achat à 15 milliards, c’est comme demander 2.300 euros à chaque contribuable. Le gouvernement Michel peut-il regarder les Belges droit dans les yeux et leur dire qu’il ne recherchera pas de solution plus soutenable alors qu’il leur impose des efforts insoutenables et qu’il existe des pistes tout aussi fiables et moins onéreuses? « , s’est demandée la députée PS Julie Fernandez Fernandez. Pour le groupe PS, le gouvernement n’a plus le choix: une suspension d’urgence la procédure de remplacement des F-16 s’impose. Et dans ce contexte, il est nécessaire de réexaminer l’ensemble des projets repris dans la loi de programmation militaire afin de rechercher les solutions les plus fiables mais aussi les moins onéreuses.

Des experts américains enterrent la possibilité de prolonger les F-16 belges

Des experts américains de l’US Air Force et de l’avionneur Lockheed Martin ont révélé mercredi soir combien il serait difficile et coûteux de prolonger la durée de vie des chasseurs F-16 belges vieillissants au-delà des 8.000 heures de vol garanties par le constructeur.

« Il n’est pas possible d’étendre la durée de vie certifiée d’un (F-16 belge de type) Block 15 sur la base des données disponibles », a affirmé le colonel Jeff Gates, qui est responsable du programme F-16 au sein de l’US Air Force, lors d’une audition devant la commission de la Défense de la Chambre. Il a rappelé que l’US Air Force avait retiré depuis plusieurs années ses F-16 les plus anciens – dans la version Block 15 -, ne conservant que des appareils dans des versions plus récentes, dont certains devraient, moyennant des modernisations, voler jusque vers 2040 et atteindre le seuil des 12.000 heures. Un ingénieur de Lockheed Martin, Thomas Jones, a pour sa part souligné que dans l’état actuel des données dont dispose le constructeur, la certification se limitait à 8.000 heures. « Je ne peux rien promettre » au delà de ce seuil, a-t-il dit, soulignant que Lockheed essayait de déterminer comment arriver à ces 8.000 heures de vol pour les appareils de cette génération par le biais d’une procédure appelée « Service Life Extension Program » (SLEP).

Pour réaliser une telle SLEP, il faudrait prendre un avion et lui faire subir, jusqu’à la rupture, des tests d’une durée double à celle de la vie espérée pour les appareils à prolonger. « La probabilité de succès d’un tel programme est très faible », a renchéri M. Jones.

Le chef de la Défense dédouane ses subordonnés de rétention d’informations

Le « patron » de l’armée, le général Marc Compernol, a estimé plutôt mercredi que le responsable de la gestion de la flotte des avions de combat F-16 qui lui est subordonné n’avait pas à transmettre à sa hiérarchie des informations sur la possibilité de prolonger la vie de ces appareils.

Le colonel Peter Letten, en charge du matériel volant au sein de la Direction générale des Ressources matérielles (DG-MR) de l’état-major de la Défense, a « pris une décision défendable », a affirmé le chef de la Défense (Chod), au cours de son audition devant la commission ad hoc de la Chambre. La Défense est une organisation « très complexe ». De 500.000 à 600.000 documents circulent chaque année en son sein, a expliqué le général Compernol, qui était interrogé sur l’existence de documents ayant fui dans la presse et laissant entendre que la durée de vie des F-16 pouvait être prolongée – alors que le gouvernement a décidé de les remplacer par des avions de combat de nouvelle génération.

« Si on veut gérer une telle organisation, il faut donner la confiance aux gens compétents qui à leur niveau savent prendre les décisions sur que faire avec des informations », a-t-il ajouté, pour justifier le fait que le colonel Letten ne l’ait pas informé de l’existence de ces mémos de Lockheed Martin, le constructeur des F-16, pas plus que le ministre de la Défense, Steven Vandeput (N-VA), et le parlement.

Selon le général Compernol, le colonel Letten, un ingénieur disposant de 25 ans d’expérience avec le système d’armes qu’est le F-16 a pris, en tant que gestionnaire du matériel, « une décision défendable ».

« Cela faisait partie de ses compétences », a-t-il souligné, d’autant que l’un des mémos de Lockheed Martin ne portait que sur la fatigue du métal de la cellule des F-16.

Le Chod a également rappelé qu’à cette période (avril 2017), le gouvernement avait déjà pris et confirmé à plusieurs reprises la décision politique de lancer la procédure d’achat de 34 nouveaux chasseurs-bombardiers, dans la foulée des préparatifs entamés par la précédente équipe gouvernementale.

Selon lui, cette acquisition est prévue dans la déclaration gouvernementale d’octobre 2015, a été confirmée par le comité ministériel restreint (« kern ») en décembre 2015, dans la « vision stratégique » sur les contours de la Défense à l’horizon 2030 dont le gouvernement a « pris note » en juin 2016 et dans la loi de programmation militaire votée par le parlement en mai 2017. Entre-temps, le conseil des ministres a donné, le 17 mars 2017, son accord préalable au lancement du programme en publiant l’appel d’offres (en jargon « Request for Governement Proposal », RfGP) adressé à cinq agences gouvernementales (deux américaines et trois européennes).

La décision de remplacer les F-16 était prise, la prolongation n’est plus une option, tout comme d’autres solutions, telle que la location d’avions de combat, a encore dit le général Compernol.

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