Carte blanche

Rejet de la 5G: la conséquence d’une peur de l’innovation et d’une inculture scientifique

Sébastien Point, chercheur et physicien, argumente scientifiquement contre ceux qui considèrent cette nouvelle technologie comme un danger mortifère.

La 5G, ou cinquième génération de téléphonie mobile, exploitera des bandes de fréquences nouvelles (3,4-3,8 GHz [GigaHertz] et la bande des 26 GHz) et permettra de développer des applications aujourd’hui impossibles, comme par exemple, la téléchirurgie, la télémédecine de masse, laquelle serait bien utile pour pallier les problèmes de désertification médicale, ou encore les véhicules autonomes dont la mise en service pourrait sauver des vies.

Mais la 5G est contestée avec une surprenante virulence. Prétextant une absence d’évaluation sanitaire, et brandissant quelques études isolées et souvent très discutables, des associations et activistes anti-ondes demandent depuis plusieurs mois maintenant, à travers toute l’Europe, un moratoire sur le déploiement de la 5G en attendant que soit prouvée son innocuité totale. Abusés par les fausses informations entourant la toxicité des ondes, contaminés par des croyances qui ne laissent que peu de prise à la contre-argumentation rationnelle, des citoyens pensent désormais être utilisés comme des cobayes d’une technologie inconnue et mortifère et vont même jusqu’à détruire, dans une période où l’on a tant besoin des nouveaux outils de communication, des antennes-relais en France, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et aussi en Belgique… En Wallonie, les préoccupations des citoyens quant aux effets sanitaires des ondes ont ainsi poussé l’opérateur Proximus à stopper le déploiement de la 5G en attente d’une concertation[1].

L’idée que la population serait utilisée comme cobaye est pourtant absurde. La 5G est en effet couverte par les mêmes normes que les ondes de téléphonie mobile des générations précédentes (4G, 3G…) Ces normes fondent leur valeur limite d’exposition aux rayonnements électromagnétiques radiofréquence sur le seuil d’apparition de l’effet thermique, seul effet scientifiquement avéré dans cette gamme de fréquence. Les normes sont extrêmement protectrices : en effet, une puissance absorbée entre 4 et 6W/kg (Watt par kilogramme) est nécessaire pour augmenter la température corporelle d’un être humain de 1 degré Celsius. Or la limite fixée pour l’exposition corps entier dans le domaine radiofréquence est de 0,08 W/kg. Il est donc exclu que les ondes des antennes 5G puissent provoquer un quelconque stress thermique du corps. De plus, les fréquences que l’on prévoit d’utiliser dans la technologie 5G sont déjà utilisées par ailleurs : la bande 3,4-3,6 GHz est très proche de la bande wifi, dont rien ne permet de penser qu’elle présente un danger quelconque pour la santé humaine. Quant à la bande dite des « 26 GHz » qui sera ultérieurement utilisée par la technologie 5G, elle est déjà mise à contribution par les scanners de sécurité des aéroports. La 5G n’aura pas d’effets inconnus sur le corps humain.

L’argument que la 5G augmentera le « smog » électromagnétique, élevant ainsi le danger pour la population générale et rendant la vie encore plus difficile pour la population spécifique des électrosensibles, est également utilisé pour en dénoncer le déploiement. Pourtant, cet argument ne repose sur aucun élément scientifique. Dune part, la multiplicité des sources d’exposition n’entrainera pas une augmentation significative de l’exposition ni un cumul d’effets : la somme des expositions dues aux émetteurs de notre environnement quotidien (téléphones mobiles, antennes, wifi, objets connectés…) est tout à fait négligeable au regard des limites retenues pour éviter l’apparition d’effets thermiques sur les tissus humains. Concernant, dautre part, la population des électrosensibles, aucune étude n’a pu démontrer chez eux une quelconque capacité à détecter ou être affectées par les ondes électromagnétiques de la téléphonie mobile : une personne se disant électrosensible n’a pas plus de chance de déterminer si un téléphone mobile est réellement en marche ou non qu’une pièce de monnaie que l’on jouerait à pile ou face. A l’inverse, on a pu mettre en évidence en laboratoire que certaines personnes se disant électrosensibles ressentent des douleurs parfois intolérables lors de conditions d’exposition fantômes, c’est-à-dire en l’absence d’ondes électromagnétiques, ce qui suggère la capacité de leur cerveau à construire la sensation de douleur via des mécanismes de somatisation et d’amplification somatosensorielle. En réalité, les données scientifiques convergent vers une explication psychologique de l’électrosensibilité, qui serait en réalité une électrophobie, probablement proche, dans son fonctionnement et ses manifestations, d’autres phobies spécifiques[2]. Dans cette hypothèse, ce qui rend malades les électrosensibles n’est pas l’exposition aux ondes électromagnétiques, mais l’exposition aux informations inquiétantes entourant les ondes.

Comment expliquer alors le refus de la 5G ? Ce refus est probablement la conséquence d’une peur de l’innovation associée à une profonde méconnaissance des résultats et du fonctionnement de la science, qui font le lit de la pensée magique et poussent certains à inverser la charge de la preuve : la science n’ayant jamais pu prouver l’existence d’un quelconque danger associé aux ondes de téléphonie mobile, 5G compris (en dehors de quelques études épidémiologiques régulièrement mises en avant mais qui souffrent de problèmes méthodologiques majeures), on lui demande désormais d’en prouver l’innocuité totale. De la même manière que l’on demanderait à la science de prouver l’inexistence des fantômes puisque rien ne prouve leur existence. Hélas, si la science, par son fonctionnement, peut prouver un effet, elle ne peut pas prouver l’absence d’effet. On doit donc se contenter d’un faisceau de preuves convergentes et d’un degré de certitude : dans le cadre des ondes de téléphonie mobile en général, et de la 5G en particulier, la plausibilité d’un effet sanitaire des ondes de téléphonie est si faible que l’on peut affirmer sans risque qu’elles ne représentent aucun danger pour la santé humaine.

Le regretté Carl Sagan prédisait, au milieu des années 90, que l’inculture croissante de ses contemporains dans le domaine scientifique nous conduirait au désastre. Presque 30 ans plus tard, démonstration est faite qu’il avait vu juste : l’ignorance est la cause sous-jacente au rejet de la 5G, comme elle le fut à l’encontre des OGM et comme elle le sera à l’encontre de l’intelligence artificielle. Les décideurs politiques de l’Union Européenne doivent prendre conscience de la nécessité absolue d’investir massivement pour lutter contre la désinformation et remettre la science et la technologie au centre de l’ ambition européenne. Urgemment, un grand chantier de l’éducation doit être entrepris pour inculquer aux jeunes générations les fondements de la démarche scientifique et de l’esprit critique. Faisons découvrir et étudier les écrits de Le Bon, Broch, Sagan, Gardner, ou encore Bronner, qui formeront un véritable et indispensable ciment de construction intellectuelle et permettront aux générations futures de résister au raz-de-marée de la pensée magique. Sans cette prise de conscience, après avoir été le berceau des Lumières, notre continent pourrait en devenir le tombeau.

Sébastien Point, chercheur et physicien.

[1] https://datanews.levif.be/ict/actualite/proximus-ne-poursuit-plus-qu-en-flandre-le-deploiement-de-la-5g/article-news-1294225.html?cookie_check=1591897942

[2] Sébastien Point, Advocacy for a cognitive approach to ElectroHypersensitivity Syndrome, Skeptical Inquirer, Volume 44, No. 1, January/February 2020.

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