Carte blanche

Refuser les travailleurs sans-papiers est un non-sens (carte blanche)

Plusieurs associations reviennent sur le cas d’un demandeur d’asile, M. Marouf qui a obtenu un brevet d’infirmier hospitalier mais ne peut pas entrer en fonction car la Région wallonne refuse de lui accorder le permis de séjour. La raison? La fonction d’infirmier n’est pas reprise parmi la liste des métiers en pénurie du Gouvernement wallon.

Depuis son arrivée en Belgique en 2013, comme demandeur d’asile, M. Marouf s’est vu refuser l’octroi d’un titre de séjour à chacune des demandes. Sans-papiers depuis sept ans, il parvient à obtenir un brevet d’infirmier hospitalier à l’IPES de Liège, en janvier 2020. Dans la foulée, il décroche une promesse d’embauche à durée indéterminée comme infirmier dans le service de cardiologie du CHU de Liège, et le SPF Santé lui délivre un visa infirmier, permettant l’accès à la profession. L’entrée en fonction de M. Marouf est toutefois bloquée par un refus de la Région wallonne de lui accorder un permis unique qui combine titre de séjour et autorisation de travail. La raison ? La fonction d’infirmier n’est pas reprise parmi la liste des métiers en pénurie du Gouvernement wallon, alors qu’elle figure dans celle du Forem. De plus, la demande doit être introduite depuis son pays d’origine… Le refus de permettre à M. Marouf d’entrer en fonction est d’autant plus aberrant que, dès le mois de mars 2020, le milieu hospitalier alerte sur le risque d’un manque de personnel soignant.

Loin d’être isolé, ce cas illustre une situation dénoncée par plusieurs associations : des centaines de travailleurs de métiers dits essentiels n’ont pas de titre de séjour, ou s’ils en disposent, leurs diplômes, obtenus à l’étranger, ne sont pas reconnus en Belgique. Ces travailleurs sont autant de personnes maintenues dans des conditions de précarité, accentuées durant la crise du Covid-19.

S’ils participent à la société et à l’économie belges, les travailleurs sans-papiers sont criminalisés par des politiques de plus en plus répressives qui perpétuent leur invisibilité et alimentent leur vulnérabilité. Dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins de manière formelle, faute de statut administratif, les sans-papiers constituent ainsi une partie de la main-d’oeuvre de l’économie dite souterraine. D’après l’OCDE, si ces activités économiques étaient enregistrées, elles permettraient de contribuer à la croissance du pays. En l’occurrence, elles ne participent qu’à la prospérité de ceux qui organisent le travail infralégal et alimentent l’évasion fiscale, en compliquant la gestion de la protection sociale.

Les travaux scientifiques convergent et préconisent de faciliter l’insertion progressive sur le marché de l’emploi formel des personnes, notamment, migrantes pour qui l’économie souterraine constitue l’unique filet de sécurité. Un « blanchiment » du travail au noir, en quelque sorte. Il s’agirait de renforcer les mesures incitatives destinées aux entreprises et aux travailleurs pour permettre une inclusion par le travail contractuel. La littérature économique met en évidence que les coûts et les bénéfices spécifiques d’une régularisation des sans-papiers sur l’économie nationale semblent fort proches de ceux de l’immigration légale, à savoir un impact positif, ainsi que le confirme tant l’exemple d’autres pays comme l’Allemagne que la dernière étude de la Banque Nationale belge. Ces diverses observations mettent en avant que les migrations permettent au marché du travail de s’adapter à l’évolution des contextes économiques, à condition que les migrants puissent y contribuer à travers leurs compétences. Ce potentiel est cependant trop peu valorisé chez nous, particulièrement dans le cas des travailleurs sans-papiers.

Les mobilisations syndicales, associatives et citoyennes de soutien aux travailleurs sans-papiers, ainsi que les négociations en cours avec les Régions en charge de la question de l’emploi se heurtent à un obstacle, celui de l’octroi d’un titre de séjour, une compétence en principe fédérale.

La possibilité d’une régularisation sur base du travail, critère introduit durant la campagne de 2009, ne constitue qu’une partie de la solution. Cette mesure est critiquée en raison du rôle qu’elle accorde à l’employeur, subordonnant le droit de séjour au bon vouloir de ce dernier, disposé ou non, à signer un contrat de travail. Il faut donc poser certaines limites à cette orientation pour éviter l’écueil de l’utilitarisme. Par ailleurs, la régularisation des sans-papiers répond avant tout d’enjeux humanitaires, sociaux et, comme la crise du Covid-19 le montre, sanitaires.

L’obtention d’un titre de séjour correspond cependant à la condition sine qua non du respect des droits fondamentaux des personnes sans-papiers et de leur inclusion formelle dans la société à laquelle ils contribuent déjà : il s’agit de continuer à porter fermement cette revendication. Si les initiatives solidaires et citoyennes sont indispensables, force est de constater que la question des travailleurs sans-papiers doit être abordée par l’État et les acteurs politiques, en particulier régionaux. Outre la possibilité d’une régularisation massive — dont les nombreux exemples précédents montrent qu’ils n’ont pas créé d' »appel d’air » –, une multitude d’acteurs d’horizons divers interpellent les institutions politiques à faciliter l’accès à l’emploi et à la formation, notamment en élargissant les conditions d’octroi du permis unique, comme dans le cas de M. Marouf, à garantir le droit de séjour des personnes en situation irrégulière lors de circonstances exceptionnelles comme la crise du Covid-19 ou encore à ouvrir l’accès aux formations prestées par, notamment, les organismes d’insertion socioprofessionnelle. Les initiatives citoyennes actuelles en économie sociale et solidaire prouvent que des solutions existent, elles devront être approfondies et, en tout cas, endossées par des mesures politiques pour permettre de résoudre l’inéquation que constitue la question des travailleurs sans-papiers.

Le masculin est utilisé comme épicène : les personnes dont on parle sont des femmes et des hommes.

Une carte blanche signée par :

  • ASBL « CAP Migrants » de Liège
  • ASBL « F41 » de Liège
  • Centre d’Action Interculturelle de Namur
  • Centre d’Action Laïque de la Province de Liège
  • Centre d’Education Populaire André Genot
  • Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms en Wallonie
  • Centre des Immigrés Namur-Luxembourg
  • Centre Interculturel de Mons et du Borinage
  • Centre Régional d’Action Interculturelle du Centre
  • Centre Régional d’Intégration de Charleroi
  • Centre Régional d’Intégration de la Province de Luxembourg
  • Centre Régional d’Intégration du Brabant wallon
  • Centre Régional de Verviers pour l’Intégration
  • Centre Régional pour l’Intégration des Personnes Étrangères ou d’origine étrangère de Liège
  • Collectif de Résistance Aux Centres Pour Étrangers
  • Collectif liégeois de soutien aux sans-papiers
  • Comité de soutien à la Voix des Sans-Papiers de Liège
  • Concertation des Ateliers d’Insertion Professionnelle et Sociale
  • Coordination d’Associations Liégeoises d’Insertion et de Formation
  • Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers
  • Coordination Wallonne des Collectifs et Associations en Soutien aux Migrants en Transit
  • Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration de Wallonie
  • École des Solidarités
  • Fédération Générale du Travail de Belgique — Wallonie
  • Femmes Prévoyantes Socialistes de la Province de Liège
  • Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations
  • Le Monde des Possibles
  • Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie
  • Point d’appui — Service d’aide aux personnes sans papiers
  • Présence et Action Culturelle — Namur
  • Voix des Sans-Papiers de Liège

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