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Réforme des pensions :  » Ne perdons pas notre temps à tout réinventer « 

Le Vif

Installée par le gouvernement sortant, la « Commission de réforme des pensions 2020-2040 » vient de publier son rapport et invite à revoir le système « en profondeur ». Fin connaisseur de la question, Michel Jadot en fait une lecture critique. Très critique.

Les pensions, ça le connaît. Ex-chef de cabinet notamment aux Pensions, ex-patron du SPF Emploi, Michel Jadot (73 ans) préside aujourd’hui l’Union nationale des mutualités socialistes en même temps que le Comité de gestion globale de la Sécurité sociale. Pour Le Vif/L’Express, il a décortiqué le rapport de la « Commission de réforme des pensions 2020-2040 » concocté par 12 experts académiques emmenés par Frank Vandenbroucke, ministre SP.A des Pensions de 1999 à 2004. Un rapport qui laisse Michel Jadot sceptique, à plus d’un titre. « Pour commencer, il ne s’agit pas d’une réforme aboutie mais de pistes qu’il faut encore explorer, dit le rapport. Mais que peut en faire le futur gouvernement ? Pas grand-chose à mon avis. Je suis d’accord que ces matières sont très complexes, mais avancer des recommandations tout en disant qu’on n’est pas sûr de son coup, qu’il faudrait creuser davantage et qu’en même temps il faut agir vite, je trouve cela étonnant. Je ne suis pas certain qu’on fasse vraiment avancer le schmilblick. »

Le Vif / L’Express : La Commission part du constat que le système actuel de pension « n’est pas soutenable financièrement ». C’est votre avis aussi ?

Michel Jadot : C’est ce qu’ils disent mais sans en apporter la preuve. On sait que les dépenses en matière de pensions vont augmenter plus vite que le produit intérieur brut, du fait du vieillissement de la population. Le Comité d’étude sur le vieillissement en chiffre le coût à 5,4 % du PIB à l’horizon 2060 (voir aussi notre dossier en pages 36 à 43). Franchement, est-ce que c’est insoutenable financièrement ? Et puis, on peut revoir les dépenses mais on peut aussi revoir les recettes. Jusqu’à présent, on a essayé par tous les moyens de diminuer les recettes en matière de sécurité sociale, au nom de la compétitivité des entreprises. Considérant le coût salarial comme trop élevé, on a soustrait des cotisations sociales un certain nombre d’éléments de rémunération : assurances groupe, voitures de société, chèques repas, GSM, etc. La liste est longue. N’y a-t-il pas moyen de revoir toutes ces exemptions, pour en revenir à un financement normal de la sécurité sociale ? La soutenabilité financière, c’est une question de volonté politique, on peut décider d’affecter à la sécurité sociale un financement durable et sérieux. J’observe qu’en la matière, les experts ne proposent pas grand-chose, sinon qu’il faudrait un financement plus large et notamment faire intervenir les revenus du patrimoine. Cela fait vingt ans que l’on dit ça mais concrètement, on fait quoi ?

Il y aurait un parti pris ?

J’entends depuis des années, notamment auprès des banques et des compagnies d’assurance, que le régime de pension légal n’est pas finançable à terme et qu’il vaudrait mieux privilégier les systèmes de pension complémentaire, qui eux seraient soutenables parce que supportés individuellement. Mais la réalité, c’est que dans les deux cas, ce sont les gens qui paient. La seule différence, c’est qu’avec les systèmes complémentaires, la responsabilité de la collectivité est dégagée. Je n’ai pas d’objection à ce que l’on étende les pensions complémentaires à des secteurs qui y échappent. Mais il ne faut pas qu’elles prennent le pas sur le système légal. Car il faut bien voir les risques : en cas de crise financière, qu’est-ce qui assure la soutenabilité des fonds de pension et autres assurances groupe ?

La Commission estime qu’une réforme « en profondeur » est nécessaire. C’est votre avis aussi ?

C’est toujours la même histoire. Quand on crée une commission, elle conclut qu’il faut tout changer. Mais ici, honnêtement, je me demande où est la profondeur.

Tout de même, il y a cette proposition d’un système à points : au fil de la carrière, chacun accumule des points sur un compte individuel, en fonction de la durée de la carrière et des revenus du travail. L’idée est de rendre le calcul de la pension plus lisible pour le citoyen…

Peut-être ne suis-je pas assez malin pour le comprendre mais c’est d’une complexité ! Vous collectez des points en fonction de la durée de la carrière et de la rémunération mais vous en percevez plus si vous êtes au-dessus du revenu moyen avec un maximum toutefois, vous en percevez moins si vous êtes en dessous du revenu moyen avec un minimum toutefois. Tout cela pondéré différemment en fonction du régime (indépendants, salariés ou secteur public), de la pénibilité du travail, des périodes assimilées, etc. Beaucoup de variantes et de dérogations sont prévues. Je ne suis pas sûr que ce soit plus simple au bout du compte, ni plus prévisible. Car les circonstances évoluent avec le temps : si demain une nouvelle crise financière éclate, gardera-t-on les mêmes paramètres ? Tout ça est très beau en théorie mais j’ai de sérieux doutes sur la praticabilité. On ferait mieux d’améliorer le système actuel.

Comment ?

A l’heure actuelle, on fait une projection à partir de 50 ans, à législation et fonction constantes. On devrait faire cela plus tôt et faire une projection après chaque année, qui intègre ce qui est acquis. C’est possible. Ne perdons pas notre temps à tout réinventer.

Les experts avancent l’idée de repousser l’âge légal de la pension à 67 ans en 2030. Utile ?

Ce qui compte, c’est la durée effective de la carrière, le rapport de la Commission y insiste d’ailleurs justement. Une carrière complète, c’est 45 ans. Ça, c’est un repère valable. Je peux comprendre que l’on resserre les conditions nécessaires pour une pension anticipée. En revanche, repousser l’âge légal de la pension, ça ne sert pas à grand-chose. L’important est de maintenir les gens au travail plus longtemps. La Commission reconnaît que le problème essentiel est le taux d’emploi des plus âgés (NDLR : en Belgique, l’âge moyen de départ à la retraite est de 59 ans), tout en disant que cela sort de son champ d’étude. C’est étonnant.

Que faire sur ce plan ?

C’est un problème de mentalité. Dans les années 1970, la prépension a été mise en place – j’y ai contribué – pour permettre aux plus âgés de quitter le monde du travail dans des conditions intéressantes et aux jeunes de trouver du boulot. Assez rapidement, ce système a été dévié, le départ anticipé a fini par devenir normal, presque un droit. La retraite à 65 ans s’est éloignée… Il est difficile de revenir là-dessus, à la fois pour les syndicats qui y voient une atteinte aux acquis sociaux et pour les employeurs qui y trouvent une possibilité de restructurer aux frais de la collectivité. Pourtant, avec une espérance de vie qui augmente, on ne peut plus raisonner en termes de carrière de 35 ans. Il faut l’accepter.

Et cette idée de créer un Comité national des pensions tripartite associant partenaires sociaux et responsables politiques ?

Comme toute commission qui se respecte, elle suggère de nouvelles structures à mettre en place. Si j’ai bien compris, ce Comité aurait une compétence, d’avis, de recommandation et budgétaire et ce, sur les trois régimes – salariés, indépendants, secteur public. Cela m’inquiète. Le risque est de marginaliser les structures paritaires existantes, qui gèrent les régimes séparément et qui fonctionnent bien quoi qu’on en dise, au profit d’un Comité traitant de tout à la fois. Le désordre est garanti. On va rajouter une couche, qui à mon avis remet en cause la gestion paritaire et la représentativité des organisations syndicales et patronales. Croyez-moi, le conflit sera alors immédiat.

Entretien : Paul Gérard

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