Jean-Luc Crucke © Belga

Réforme de l’État : les esprits wallons mûrissent-ils ?

À en croire notre confrère de Knack, les partis francophones ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’une nouvelle réforme de l’État. En même temps, ils prennent de plus en plus conscience qu’il faudra bien en parler un jour.

Si durant la campagne électorale, la Flandre a accordé très peu d’attention aux débats en Wallonie, les politiciens wallons ont très peu prêté attention à ce qu’il se passait en Flandre. Pour les journalistes, il était impossible de joindre les politiciens de l’autre groupe linguistique, à l’exception du Premier ministre sortant Charles Michel (MR). Surtout du côté francophone, où la majorité des partis sont en faveur d’une circonscription fédérale, ce manque de volonté de répondre aux interviews est remarquable.

Dans sa chronique du Soir, Ivan De Vadder, journaliste à la VRT, parle de « 300 mètres de déclarations » : le corridor de 300 mètres de long qui relie la RTBF à la VRT est le seul endroit où les leaders francophones se laissent approcher. Jean-Luc Crucke, ministre wallon du Budget et de l’Énergie au nom du MR, le regrette. Crucke, né à Renaix et bourgmestre de la commune frontalière linguistique de Frasnes-lez-Anvaing, est presque parfaitement bilingue. « Je lis encore tous les jours les journaux flamands et j’écoute la radio flamande, mais j’ai l’impression d’être l’une des derniers. Peu de responsables politiques wallons savent encore ce qui se passe en Flandre. »

Pour le MR, la priorité est claire : gouverner. « Nous ne demandons pas de nouvelle manche communautaire », souligne Crucke. « Je ne suis pas opposé à la négociation, mais nous ne pouvons pas arrêter de gouverner. Personne n’a intérêt à ce que le budget déraille parce que nous négocions le communautaire pendant un an. »

Crucke comprend qu’aucune porte ne doit rester fermée. « Nous ne pouvons pas encore passer des années sans parler de septième réforme de l’État ». Tout le monde comprend qu’il faut faire quelque chose dans ce domaine. »

Syndrome écossais

Au Parti socialiste (PS), les esprits semblent mûrir. Marc Uyttendaele, professeur de droit constitutionnel à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), qui, en tant que mari de Laurette Onkelinx, est étiqueté PS, qualifie le résultat de l’élection d' »agonie du modèle belge », dans une longue interview à la RTBF.  » C’est clair qu’aujourd’hui, avec une société flamande qui est à la droite et parfois à l’extrême droite, et une société francophone qui est à gauche et parfois à l’extrême gauche, on ne voit pas très bien comment gérer l’intersection. C’est l’agonie du modèle belge. »

Comme Bart De Wever, président de la N-VA, Uyttendaele estime que le confédéralisme est presque inscrit dans la sociologie électorale. « La seule certitude que j’ai aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de solution. » Uyttendaele ne voit donc qu’une seule possibilité : de nouvelles élections, où les partis proposent leurs plans communautaires. « La seule question qui se pose, c’est de savoir quand le monde politique admettra qu’il faut retourner aux élections, je crois que c’est l’hypothèse la plus probable, et cette fois sans la lâcheté qui a consisté à dire ‘On va aux élections, mais on bloque tout débat institutionnel' ».

Mais Uyttendaele fait aussi référence à ce qu’il appelle « le syndrome écossais » : quand l’indépendance approche vraiment, l’appétit séparatiste de l’opinion publique se perd parfois.

Le président du PS, Elio Di Rupo, ne se laisse pas déconcerter par les résultats des élections flamandes. A la RTBF, il a exprimé sa préférence pour un gouvernement avec le CD&V,le sp.a, l’Open VLD et Groen : sans nationalistes flamands, mais aussi sans majorité en Flandre. Son idée ne récolte pas beaucoup d’enthousiasme, pas même parmi les démocrates-chrétiens et les libéraux. Et le scepticisme prévaut aussi chez les francophones. « Je suis bien sûr heureux que Di Rupo soit à la recherche d’une solution « , déclare Jean-Luc Crucke. « Mais cela ne peut se faire que discrètement. La meilleure façon de faire échouer de telles idées, c’est de les mettre au grand jour. »

Sous Di Rupo, le PS embrassait le célèbre « union fait la force », mais depuis quelques années, les régionalistes du parti font un retour en force. L’un des plus éminents régionalistes est Christophe Collignon, ancien chef de groupe au Parlement wallon et bourgmestre de Huy. « De nombreux francophones sont évidemment attachés à la Belgique », explique Collignon. Et ils comprennent qu’ils dépendent de la Flandre pour leur bien-être socio-économique. Mais il est difficile de maintenir le système si les deux régions votent différemment. C’est ce que la population commence à comprendre. »

« Beaucoup de Wallons ne veulent plus d’un gouvernement fédéral minoritaire du côté francophone », dit Collignon. « Ils ont le sentiment que la Wallonie n’a pas reçu ce à quoi elle avait droit au cours des cinq dernières années ».

Au PS, qui ne faisait pas partie du gouvernement précédent, la situation actuelle entraîne une certaine frustration. Pierre-Yves Dermagne, chef du groupe PS au Parlement wallon, estime également que la Wallonie a été mal pourvue. « Ce n’est pas vrai que la N-VA a mis le communautaire dans le réfrigérateur », dit-il. « Dans les faits, ce parti s’est opposé à nous à plusieurs égards. Par exemple, nous voulions aménager une bande de covoiturage vers Bruxelles, mais le ministre flamand de la Mobilité et des Travaux publics, Ben Weyts, l’a bloquée. Nous avons un tel arrangement avec la ville de Luxembourg, mais pas avec Bruxelles. Ce parti joue son rôle dans la collectivité de nombreuses manières subtiles. »

Tout comme le MR, le PS n’est guère enthousiaste à l’idée d’une partie de poker institutionnel. Le confédéralisme proposé par la N-VA ne plaît guère aux francophones, d’autant plus qu’ils craignent de perdre leur influence en Europe. Nous avons une dette publique énorme, nous avons des engagements budgétaires envers l’Europe », déclare Christophe Collignon. Et il conclut lui aussi : « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une année de négociations communautaires ».

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