A l'instar de l'experte anversoise Erika Vlieghe, les professionnels de la santé pointent l'organisation hybride du pays parmi les obstacles qui ont entravé la gestion de la pandémie. © BELGA IMAGE

Refédéraliser les soins de santé en Belgique, un leurre

Alors que l’infectiologue Erika Vlieghe désigne l’éparpillement des compétences de santé comme un killing factor, la coalition Vivaldi s’apprête à régionaliser davantage.

« L’éparpillement des compétences santé, le nombre de ministres, les tiraillements et les discussions sans fin entre niveaux de pouvoir ont été un killing factor dans l’épidémie », a déclaré l’infectiologue anversoise Erika Vlieghe devant la commission spéciale Covid-19 de la Chambre. Notre sondage exclusif réalisé en septembre dernier montre que 86% des directeurs généraux et médicaux des hôpitaux belges souhaitent une refédéralisation des soins de santé. Or, c’est tout l’inverse qui se profile à l’horizon. D’autant plus explicitement que, après la première vague de coronavirus, les remontées d’expériences ne laissaient planer aucun doute sur l’insatisfaction des professionnels face à l’organisation hybride du pays.

Au début de la crise sanitaire, il aurait peut-être été possible de changer de cap.

Le CD&V a tenu à mettre d’emblée son veto aux envies de recentralisation s’exprimant tant au nord qu’au sud du pays, parce qu’il s’agit, d’une part, de préserver son pilier associatif et, d’autre part, de ne pas offrir de prise aux critiques de la N-VA et du Vlaams Belang. L’accord de gouvernement du 30 septembre entend, certes, apporter « une contribution importante à la modernisation, à l’augmentation de l’efficacité et à l’approfondissement des principes démocratiques des structures de l’Etat ». Pour ce faire, le gouvernement De Croo lancera « un large débat démocratique impliquant notamment les citoyens, la société civile et les milieux académiques, ainsi qu’un dialogue entre les représentants politiques, sous la direction de deux ministres (un néerlandophone et un francophone) pour évaluer la structure existante« .

Une révision de la Constitution s’impose donc en vue de réaliser une nouvelle structure de l’Etat à partir de 2024, « avec une répartition plus homogène et plus efficace des compétences dans le respect des principes de subsidiarité et de solidarité interpersonnelle ». Pas d’illusion, cependant: la santé est exclue de ce mécanisme de consultation censé insuffler plus de légitimité démocratique au processus décisionnel. En toutes lettres: « Le gouvernement souhaite, en tout cas, pendant cette législature, intégrer des textes législatifs concernant une répartition plus homogène des compétences dans le domaine des soins de santé. L’objectif est de fournir des soins au plus près du patient (entités fédérées) sans affecter le financement solidaire. »

La coalition s’opposerait-elle à la télémédecine (« des soins au plus près des patients »)? Que nenni. La parenthèse « (entités fédérées) » est là pour dissiper tout malentendu. Il s’agit bien de régionaliser. Quoi? A voir. A moins que les directeurs d’hôpitaux ne renversent la table ou que la société civile impliquée dans « le large débat démocratique » ne se rebiffe, les jeux sont faits. Tous les partis de la Vivaldi, y compris le MR du très belgicain Georges-Louis Bouchez ou les Ecolo-Groen se définissant comme des passeurs de ponts, ont marqué leur accord pour défédéraliser des pans supplémentaires de la Santé.

Une occasion manquée

Au début de la crise sanitaire, il aurait peut-être été possible de changer ce cap. Même si cela ne figure pas expressément dans la loi sur la 6e réforme de l’Etat qui a régionalisé une partie de la Santé, l’exposé des motifs de celle-ci faisait pourtant de la gestion des mesures urgentes en cas de pandémie une compétence résiduelle du fédéral. Beaucoup de juristes soutenaient cette interprétation, mais la section de législation du Conseil d’Etat l’a balayée lors de l’examen des lois du 27 mars 2020 habilitant le roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus (pouvoirs spéciaux). Pas question que le fédéral empiète sur le domaine des entités fédérées, a tranché le Conseil d’Etat. Tropisme régionaliste ou aveuglement? L’impérieux besoin d’une unité de commandement n’avait pas alors acquis son caractère crucial.

L’ironie veut que ce 4 décembre où Erika Vlieghe stigmatisait à la Chambre l’éparpillement des compétences de la Santé, les ministres David Clarinval (Classes moyennes, MR) et Annelies Verlinden (Intérieur, CD&V) faisaient, à distance, leur exposé d’orientation politique devant la commission de la Constitution et du Renouveau institutionnel aux écrans clairsemés, répétant la volonté du gouvernement de « fournir des soins au plus près du patient sans affecter le financement solidaire ». De là d’interminables et ennuyeux « débats » dont émergent les prises de parole de Servais Verherstraeten (CD&V) et de Maxime Prévot (sans voix délibérative, CDH). Le premier a multiplié les protestations de « solidarité » pour rassurer ses partenaires sur le non-impact financier de la future réforme de l’Etat, – « C’est un chrétien-démocrate qui vous le dit » -, tout en se réjouissant que la refédéralisation ne figure pas dans l’accord de gouvernement – « Je me suis battu pour qu’il n’y ait pas ce mot ». Le député promet néanmoins d’aborder le sujet « sans tabou », mais malgré tout dans l’optique d’un renforcement de l’autonomie des Régions. « Je ne dis pas que ce que nous faisons nous-mêmes nous le faisons mieux, mais on le fait autrement, parce que les besoins ne sont pas les mêmes », a-t-il justifié.

Pour le président du CDH, la crise a montré « les limites de notre lasagne institutionnelle ». Même complexité dans la manière de procéder à une nouvelle réforme de l’Etat via la Plateforme de dialogue sur l’avenir du fédéralisme belge et de l’articuler (ou pas) à la consultation de la société civile belge. « Qui fait partie de la plateforme? Selon quelle méthodologie s’organisera la participation citoyenne? Sur quelles thématiques? Avec quels groupes de travail? » Des questions restées sans réponse. Le flou subsiste. Pour le dissiper, le ministre Clarinval s’en remet à « l’intelligence collective ».

La régionalisation accrue de la Santé n’est toutefois que l’arbre qui cache la forêt d’autres « avancées » dans le domaine de l’emploi et du climat à propos duquel le fédéral est invité à « coordonner sa politique sur celles des entités fédérées. » Au-delà de la faute de français – s’aligner aurait été un mot plus juste – , cela pourrait sonner le glas de toute ambition climatique.

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