La brique bruxelloise explose tous les records. © JEAN-LUC FLÉMAL/BELGAIMAGE

« (Re)compose the city », cette expo qui met au jour des anciens projets bruxellois non réalisés

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

La question de l’urbanisation de Bruxelles n’a pas fini de faire couler de l’encre. Avec l’exposition (re)compose the city, le Civa examine le présent à l’aune de projets non réalisés sortis de l’imaginaire de grands architectes.

C’est Cédric Libert, directeur du département contemporain du Civa (le Centre international pour la ville, l’architecture et le paysage), qui déroule la toile de fond de la problématique que soulève (re)compose the city :  » Dans le passé, la ville constituait le théâtre stable d’une existence. Cette période-là est désormais révolue, tout s’accélère, et un individu est impacté de son vivant par les modifications du tissu urbain. Cette situation oblige à s’interroger sur ce que nous attendons du cadre dans lequel nous évoluons. Tout se passe comme si nous héritions d’un palimpseste, un manuscrit sur lequel de nombreuses histoires ont été écrites et effacées… Que voulons-nous en faire ?  » Afin d’alimenter ce débat crucial, la structure qui rassemble plusieurs associations culturelles bruxelloises (les Archives d’architecture moderne, la bibliothèque René Pechère…) a lancé un cycle d’expositions intitulé Unbuilt Brussels. L’idée ? Fouiller les archives et mettre au jour des projets non construits qui ont pour intérêt d’interroger la pertinence des choix architecturaux posés. Cédric Libert de préciser :  » C’est salutaire de sonder l’imaginaire des architectes, car savoir que l’on aurait pu faire autrement incite à se prémunir d’un certain fatalisme urbanistique.  » Le deuxième volet de la série  » déconstructive  » fait place à une proposition s’articulant autour de la fameuse  » jonction Nord-Midi « , une mutation profonde du tissu urbain, et un traumatisme réel pour une génération d’habitants, qui possède l’avantage de  » cristalliser le débat sur la transformation de Bruxelles « . On en doit les contours à l’architecte et curatrice Audrey Contesse. La jeune femme a choisi d’évoquer cette  » béance en forme de laboratoire d’études urbanistiques  » à travers une foule de documents originaux et d’archives dont 80 % jamais montrés au grand public. Au fil du parcours, le visiteur comprend que le tracé ferroviaire retenu et l’implantation prévue dans la foulée des gares et bâtiments (Cité administrative, bibliothèque Albert Ier) n’ont pas résolu les problèmes qui se posaient à la capitale… au contraire de certains projets non retenus. En écho à ce paradoxe, l’illustratrice Marie Trossat signe une série d’oeuvres graphiques intégrant ces propositions fantômes.

Quatre projets non construits sélectionnés et commentés par Audrey Contesse, architecte et curatrice.
Quatre projets non construits sélectionnés et commentés par Audrey Contesse, architecte et curatrice.© coll. aam/civa

L’îlot Ravenstein de Victor Horta

 » Dans la foulée du tracé de la jonction, Victor Horta reçoit, à la fin des années 1920, la commande d’un promoteur anglais, Municipal Developments, afin de réaliser l’îlot Ravenstein. Le projet ne verra jamais le jour car la société tombera en faillite. Ce qui est intéressant à constater, c’est que contrairement à ce que l’on croit trop souvent, il y a un véritable propos urbanistique chez Horta, il n’est pas seulement question d’un bâtiment formellement remarquable. Sur le plan, on constate qu’il y a un projet de galerie, une idée qui sera reprise et concrétisée par la suite. Même si c’est une erreur commercialement, c’est brillant d’un point de vue urbanistique : il y a là une liaison qui est faite entre le haut et le bas de la ville. C’est d’autant plus intéressant que Horta avait carte blanche, la seule contrainte qu’on lui avait imposée était des servitudes de vues. En clair, l’îlot en question ne devait pas empêcher de voir le beffroi de l’hôtel de ville depuis le parc Royal. Les documents que nous avons nous apprennent que, pour ses projets, Horta commandait des  » études de chemins parcourus », ce qui est novateur et prouve qu’il se souciait véritablement de connaître l’impact de ses réalisations sur le citoyen. « 

Le jardin suspendu de René Pechère
Le jardin suspendu de René Pechère© coll. aam/civa

Le jardin suspendu de René Pechère

 » En 1955, l’architecte paysagiste René Pechère se met à réfléchir sur les jardins de la Cité administrative. Il y travaillera jusqu’en 1973, imaginant de nombreuses variantes… c’est dire si la question l’obsède. Il se fera connaître en raison du Mont des arts, le premier jardin suspendu de Bruxelles. Ce type de réalisation consacre l’image d’un paysagiste rigide acquis à la cause de la symétrie. Quand on découvre ce croquis plein de couleurs, on mesure le côté onirique de son approche. Cela illustre parfaitement ce que Pechère a confié à propos du projet :  » J’aurais aimé noyer ce bâtiment moderne dans un immense tapis de fleurs parsemé asymétriquement de nombreux bassins carrés comme un tableau de Paul Klee. Ils auraient été reliés par une promenade dallée également symétrique.  » Sa conclusion est assez emblématique :  » J’ai fini par me ranger à la volonté unanime d’un projet rythmé.  » On peut comprendre sa déception : sur les 6,4 hectares de terrain, seul 1,6 hectare a été construit et 2,5 hectares aménagés en jardin suspendu. « 

Il s’agit de s’interroger sur la pertinence des choix architecturaux

Le restaurant-verrière de Renaat Braem

 » Le projet que Renaat Braem signe pour la bibliothèque Albert Ier est celui que je préfère, sa réalisation et sa situation auraient été plus que souhaitables. L’oeuvre est magnifique. Ce que l’on découvre sur l’image c’est le restaurant- verrière qui devait se tenir à l’une des deux extrémités du bâtiment, un peu à la façon d’une proue flottante. Braem avait en ligne de mire une implantation ouverte sur les jardins du Botanique. A côté de cette vue aboutie, l’exposition montre de nombreux schémas, des quasi-gribouillages très émouvants car ils retracent le processus de spatialisation à l’oeuvre dans la tête de l’architecte. Tout se combine pour aboutir au plan final. Il y a aussi des dessins qui montrent l’entièreté de l’édifice qui est d’une grande pureté. Le bâti est imaginé comme un temple qui s’étire. C’est très abouti et tout en mesure. A l’avant-plan, un voile donne de l’élan à l’ensemble. On est bien loin de l’allure, à tout le moins « martiale », de la construction finalement retenue. « 

Le restaurant-verrière de Renaat Braem
Le restaurant-verrière de Renaat Braem© coll. aam/civa

La jonction aérienne de Luc Deleu

 » Ce projet de Luc Deleu est spontané : il ne résulte d’aucun concours. C’est une initiative personnelle, celle d’un architecte qui rêve sa ville. Sa proposition émane d’un certain contexte : en 1986, l’arrivée du TGV est planifiée à Bruxelles. Deleu imagine une jonction aérienne, hors-sol, suspendue. La maquette qu’il signe fait passer les trains au-dessus de la cathédrale Saint-Michel, ce qui est assez iconoclaste.

La jonction aérienne de Luc Deleu
La jonction aérienne de Luc Deleu© coll. aam/civa

Reste qu’il y a un vrai propos dans cette provocation : il entend redorer le blason de la ville, l’inscrire dans le futur. Il imagine pour elle un destin de capitale international, ce qui dans un Etat qui se décompose lentement n’est pas anodin. En voyant ça, on ne peut s’empêcher de se dire :  » pourquoi pas ? « . Surtout que cette construction en trois dimensions montre que, en théorie du moins, l’impact sur le sol est limité. C’est délicat. Il y a aussi cette verrière qui surplombe la ville et qui permet de l’embrasser du regard. C’est comme lorsqu’on arrive à Marseille, on est ébloui par la perspective urbaine.  »

Unbuilt Brussels #2 (re)compose the city, au Civa, à Bruxelles, jusqu’au 14 octobre prochain. www.civa.brussels.

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