Le cabinet restreint et les partenaires sociaux lors d'une réunion en janvier. © BELGA

« Qui, dans le gouvernement Michel, est assez talentueux pour obtenir un accord social sans perdre la face? »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Aujourd’hui, le cabinet restreint décide du sort de l’accord entériné par les syndicats, les employeurs et le CD&V. En revanche, l’Open VLD et la N-VA se montrent moins enthousiastes. Trois questions sur la concertation sociale à notre confrère de Knack Walter Pauli .

On a l’impression que les syndicats ont déjà remporté de nombreuses victoires, entre autres sur les salaires lors de l’accord du « Groupe de 8 ». Est-ce exact ?

Walter Pauli: « Pour les syndicats, cet accord sur les « prépensionnés » est beaucoup plus important que l’augmentation salariale finalement très limitée qu’ils ont obtenue. N’oubliez pas qu’ils ont perdu la discussion sur l’index parce que le gouvernement a tenu bon.

Cependant, il était clair que le gouvernement devait faire une concession à la concertation sociale. Les employeurs, la FEB, Unizo, le Boerenbond (la Ligue des Paysans) et l’Union des Classes Moyennes participent également aux pourparlers.

L’accord de ne plus considérer les personnes d’un certain âge comme des chômeurs ordinaires est primordial pour les syndicats et une forme de pragmatisme pour les employeurs. Ils admettent qu’en pratique il n’y a pas assez d’emplois pour tout les employés d’un certain âge. Dans ce cas, pourquoi faudrait-il faire postuler (et sanctionner) ces personnes en permanence ? Donc d’un côté, les syndicats ont ce qu’ils demandent et ce qu’ils veulent et de l’autre les employeurs cèdent sur quelque chose qu’ils ne peuvent ni promettre ni réaliser : à savoir créer suffisamment d’emplois pour les employés d’un certain âge, ce qu’en jargon belge on appelle « un accord ».

Perdants: les idéalistes et les adeptes de la tendance dure

« Les perdants sont les idéalistes et les adeptes de la tendance dure. Les idéalistes trouvent sincèrement que le rejet d’employés est un scandale. Ils souhaitent voir ce groupe le plus possible au travail, afin que la Belgique puisse enfin faire état des mêmes chiffres que les autres pays européens. Les personnes de la tendance dure ne veulent « pas de pitié » pour les travailleurs d’un certain âge : ils n’ont qu’à postuler jusqu’à leur pension. Il y a un certain chevauchement entre ces deux groupes.

En politique, tous les partis (y compris ceux de l’opposition, hormis peut-être le PTB) défendent en principe la ligne « idéaliste ». Les jusqu’au-boutistes se trouvent surtout à droite. Dans un certain sens, cet accord social est donc effectivement une victoire politique des syndicats – le (centre) gauche contre la droite.

2. Avant même que la décision soit prise par le gouvernement, les syndicats menacent déjà d’actions et déposent des préavis de grève. Karel Van Eetvelt, le patron d’Unizo, a déclaré que « le discours de guerre » devait cesser si les syndicats voulaient maintenir l’accord et en conclure de nouveau. Que cache cette déclaration ?

Il y a quelques jours Karel van Eetvelt a loyalement défendu l’accord sur Radio 1, même si ses arguments étaient destinés à sa base, mais aussi aux partis du gouvernement et leur électorat : « Soyons pragmatiques. N’activons pas ce groupe pour qui il n’y a pas de travail ».

En revanche, le ton des syndicats est beaucoup plus musclé. Il est normal qu’ils défendent leur accord, mais ils argumentent en disant : « C’est un accord, donc le gouvernement n’a qu’à l’accepter », ce qui est allé un peu vite en besogne.

Dans le passé, les gouvernements ont encore continué longtemps les pourparlers après la conclusion des accords. Cependant, Michel I n’est pas le gouvernement préféré des syndicats, et certainement pas de la FGTB, même si Kris Peeters (CD&V) fait de son mieux pour faire office d’interlocuteur. Les syndicats voient surgir les contours de la N-VA, plus que le MR et l’Open VLD, derrière l’épaule de Peeters. Le rejet des syndicats est donc également motivé par la politique de partis.

En outre, tout accord est basé sur un équilibre précaire entre les mesures énumérées, mais également entre les exigences et étapes éventuelles qui ne sont pas reprises dans le texte. Ainsi, les employeurs n’aimeraient pas voir paraître une obligation ou un quota ou quelque chose de ce genre sur les employés âgés. Au cours de négociations, ce qui ne figure pas dans l’accord a également un prix.

« Toutes les balles manquées »

Cependant, le gouvernement risque de « manquer toutes les balles » si l’accord conclu est refusé et cela nuirait à l’image sociale du gouvernement. La paix sociale serait perturbée pour une période indéterminée à l’exaspération des employeurs qui ont fait de leur mieux pour obtenir un accord.

En théorie, le gouvernement a raison, mais il est difficile d' »activer » les prépensionnés alors que les employeurs et les employés ont fait comprendre ouvertement qu’en pratique ce n’est pas faisable. Les dommages électoraux peuvent s’avérer considérables. Les partis du gouvernement ont remporté les élections en argumentant que les travailleurs ne devaient pas être sanctionnés et de nombreuses personnes de plus de 58 ans qui ont travaillé toute leur vie trouvent cette « activation » sur le tard injustifiée et certainement si la FEB et Unizo disent eux-mêmes qu’il y a trop peu de travail adéquat pour ce groupe.

Par contre, les syndicats ont hurlé si fort que le gouvernement n’a plus rien à proposer, que la tentation est grande de le faire quand même. Reste à savoir qui dans le gouvernement Michel est suffisamment talentueux pour adapter des points qui ne font pas perdre la face au gouvernement et que les partenaires sociaux peuvent difficilement lâcher. Cependant, dans ce cas l’accord n’aura pas lieu et ils auront perdu tout ce qu’ils ont négocié.

Élections sociales

Les élections sociales de l’année prochaine ne facilitent pas la tâche du gouvernement. Si la CSC, la FGTB et la CGSLB sont alliées pendant les négociations, elles sont concurrentes au travail où elles doivent se profiler comme les plus ardents défenseurs des employés.

3. C’est un accord des syndicats et des employeurs et il est probable que le CD&V en est également satisfait. Kris Peeters a déclaré : « Ceux qui dédaignent cet accord et la concertation sociale se trompent. L’Open VLD et la N-VA sont-elles les perdantes de cette histoire ?

« Pas forcément. Près d’un Flamand sur trois a voté N-VA. Calculez combien de dizaines de milliers de travailleurs de plus de 55 ans ont voté Bart De Wever. Il est loin d’être certain que ces derniers peuvent ou veulent travailler jusqu’à 60 ans ou plus. De plus, un grand nombre d’entre eux savent qu’ils seront les premiers virés en cas de restructurations. Ils veulent donc continuer à profiter d’une protection sociale pour laquelle ils ont payé toute leur vie.

C’est à la N-VA à trouver un discours qui cadre dans la vision générale du parti : « Nous récompensons et soutenons ceux qui travaillent ». Il n’est pas très difficile d’étendre ce slogan à « ceux qui ont travaillé pratiquement toute leur vie ».

Évidemment, les syndicats n’ont pas rendu la tâche facile à la N-VA et l’Open VLD qui ne peuvent accepter l’accord tel quel. L’art suprême consisterait à rendre possible un accord social sans perdre la face. Les syndicats n’auraient plus de majeure raison de perturber la paix sociale, les entreprises et les PME seraient rassurées et on n’aurait plus le sentiment que « pour un gouvernement de changement, le pays est souvent paralysé ».

Voilà en tout cas le scénario le plus pacifique. Mais on peut jouer le jeu plus durement. On peut essayer d’enfumer les syndicats – ils ne peuvent continuer à faire la grève indéfiniment -et résilier l’accord social pour laisser le responsable Kris Peeters (CD&V) se casser la figure.

Le Groupe de Dix a eu son mot à dire. Maintenant, c’est au gouvernement Michel à montrer qu’il peut gérer cet accord ».

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