Questions royales: Le Palais saisit le Conseil de Déontologie Journalistique

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Le Palais a saisi le Conseil de Déontologie Journalistique (CDJ) sur d’éventuels manquements déontologiques de l’auteur du livre « Questions royales ». Le Palais a chargé Maître Alain Berenboom d’introduire cette demande, ce qui a déjà été fait. Le comte Thomas de Marchant et d’Ansembourg, cité comme ayant eu une relation intense, hors normes, avec le prince Philippe – sous-entendu homosexuel -envisage aussi de saisir le (CDJ).

Maintenant que le CDJ est saisi du dossier, la procédure sera la suivante : le Conseil lit ou finit de lire le livre de Frédéric Deborsu ; il vérifie si des erreurs ou des manquements déontologiques sont avérés dans le livre (l’insinuation injurieuse, le propos qui porte atteinte à la vie privée en sont) ; il vérifie qu’il est bien compétent, dans ce cas – le CDJ statue d’ordinaire sur des pratiques journalistiques utilisées dans un support produit par un éditeur de presse, ce qui n’est pas le cas avec Question(s) royale(s) ; s’il est compétent, et s’il déclenche la procédure, il constitue une commission d’instruction ; la commission convoque en audience (à huis clos) le journaliste, qui peut être assisté d’un avocat, comme le plaignant d’ailleurs – plaignant qui peut être n’importe quel citoyen, même s’il n’est pas concerné par le contenu de l’ouvrage, pour autant qu’il fournisse une argumentation minimale sur les enjeux déontologiques ; le Conseil rend son avis. La durée d’une procédure moyenne du CDJ est de 4 à 5 mois.

Dès la parution, le 20 octobre, d’extraits du livre, dans la presse, le Palais avait publié un communiqué affirmant que Question(s) royale(s) contient « de nombreuses informations totalement erronées et injurieuses ».

Jusqu’ici, la famille royale n’a jamais attaqué un éditeur belge. Il n’a porté plainte que deux fois, contre des éditeurs étrangers, et français en l’occurrence. En 1995, la princesse Liliane Baels et son fils, le prince Alexandre de Belgique, – n’appartenant donc pas à proprement parlé « au Palais », et constituant en fait plutôt des personnes privées – intentent à Pierre Mertens un procès pour diffamation.

C’est son livre Une paix royale, publié au Seuil, mêlant fiction et réalité, et évoquant notamment le destin de Léopold III, qui est l’objet de leur courroux. Et particulièrement les propos que fait tenir à Liliane, dans son roman, l’auteur belge, qui avait rencontré la princesse et son fils au domaine d’Argenteuil. Sur quatre pages (l’ouvrage en compte 500), Mertens – qui avait été reçu sept fois en quinze mois par la princesse de Réthy – décrit Alexander comme un personnage patibulaire, vieux loubard usé sans doute par une sorte de débauche » et met dans la bouche de la princesse, comme résume bien Laure-Elisabeth Lorent dans Revue nouvelle « une longue tirade où elle critique méchamment le roi Baudouin  »qui n’a jamais été amoureux ni malheureux. Longtemps, il fut quasi illettré. Il ne lisait que des bandes dessinées. Léopold a été furieux d’imaginer son fils se mariant sans amour, sous l’influence du cardinal. Il aurait dû être curé […] Il fut un roi dont la modestie frisait l’inexistence et qui ne ferait pas de vagues. » Le Seuil fut d’abord condamné à retirer les passages incriminés, puis à les conserver dans le livre mais avec en page de garde un communiqué stipulant que Liliane et Alexandre considèrent ces passages injurieux.

La deuxième plainte date de 2001 et émane du roi Albert II en personne. Il réclame l’insertion d’un rectificatif dans Dossier pédophilie, le scandale de l’affaire Dutroux, le livre de Jean Nicolas et Frédéric Lavachery, paru chez Flammarion et qui insinue que le roi, qualifié d’amateur de parties fines, aurait protégé des réseaux pédophiles. Albert II et l’Etat belge demandent en référé au Tribunal de grande instance de Paris d’ordonner l’insertion immédiate d’un communiqué démentant formellement les accusations qui les visent dans tous les exemplaires encore invendus et dans tous ceux qui pourraient être encore imprimés.

L’éditeur français est contraint à insérer dans les huit jours, entre les pages 7 et 8 de l’ouvrage, un communiqué contestant les allégations rapportées sous peine d’astreinte par infraction constatée. La mesure n’épargne pas les ouvrages déjà déposés en librairie.

Le tribunal considère les allégations contenues dans le livre comme des attaques personnelles et n’estime pas que le conditionnel et les « assertions faussement dubitatives » utilisés par les auteurs les autorisent à tout. Albert II et l’Etat belge auraient pu exiger la saisie du livre mais ils ont préféré réclamer une mesure qui n’entrave en rien la liberté de la presse. Flammarion présente alors des excuses publiques au roi, lui verse quelques milliers d’euros de dommages et intérêts que le Palais reverse à Child Focus.

En une semaine et demie, la parution de Question(s) royale(s) a donc provoqué :

1) de très bonnes ventes du livre (le cap des 15 000 exemplaires est clairement envisageable et l’ouvrage est actuellement le 3e meilleur vendu en Belgique francophone, derrière Cinquante nuances de Grey et le dernier Ken Follett

2) la plainte « pour vol de livre sous embargo » déposée par son éditeur, La renaissance du livre, contre Sud Presse, dont les journaux ont publié les extraits le samedi 20 octobre dernier

3) « la mise au vert » de Frédéric Deborsu, décidée par son employeur, la RTBF, comme son règlement interne le lui autorise : depuis ce lundi, le journaliste est affecté au service documentation (Infodoc) de la radio-télévision publique, pour rétablir autour de lui « un climat de sérénité », vu le nombre, l’ampleur et la teneur des polémiques qui font rage autour de son livre. Mesure « temporaire et reconductible après un mois »

4) un communiqué de la Société des journalistes RTBF qui « rappelle à chacun son nécessaire devoir de réserve »

5) une « analyse plus fine » du livre, « à charge comme à décharge », par la direction de l’info du service public (dont le patron, Jean-Pierre Jacqmin, lors d’une réunion avec les journalistes, a admis que « certaines affirmations de ce livre n’entrent pas dans la ligne éditoriale de la RTBF)

6) l’ouverture, au sein de l’Association des journalistes professionnels (AJP), de « consultations [en son sein] pour envisager les réactions les plus appropriées »

7) la requête du Palais pour que le Conseil de déontologie journalistique se saisisse du dossier. Conseil qui nous disait, mardi soir, qu’il « n’ignore pas que des questions sont posées à propos du livre et vérifie s’il s’agit réellement d’enjeux déontologiques ». Question(s) royale(s) ? Le livre belge de l’année, à l’évidence.

Thierry Fiorilli

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