« Quelqu’un qui agonise n’a que faire de symboles politiques »

Après quatorze ans, il n’est pas mauvais de faire le point sur la loi sur l’euthanasie. « Tant que cela ne dégénère pas en lutte de symboles où tout le monde se met à hurler en même temps » écrit notre consoeur de Knack Ann Peuteman. « Il est grand temps de garder la tête froide. S’il n’est pas déjà trop tard. »

Deux femmes dénoncent la négligence qui a entouré l’euthanasie de leur soeur atteinte d’une maladie psychique et tout à coup, on se met à tout mélanger. Il faut abolir l’euthanasie pour souffrances psychiques, il est scandaleux que certaines institutions catholiques refusent toujours de pratiquer l’euthanasie, la commission d’évaluation n’est pas assez scrupuleuse, il faut revoir toute la loi, etc. Certains partis politiques et organisations qui n’ont jamais été satisfaits de la loi souhaitent rectifier les prétendues erreurs historiques alors que les pères spirituels de la loi veulent éviter coûte que coûte qu’on touche à l’esprit original. Il est grand temps de garder la tête froide. S’il n’est pas déjà trop tard.

Il est tout à fait logique que ces deux femmes dénoncent la fin déplorable de leur soeur. Personne ne doit accepter qu’un médecin aide un proche à mourir de façon totalement amateuriste. Quelle que soit la raison de l’euthanasie. Si cette affaire nous apprend quelque chose, c’est qu’il est tout sauf simple de pratiquer une euthanasie sans remous. Beaucoup de gens (et de médecins) ne s’en rendent pas suffisamment compte. Mais aujourd’hui, ce n’est plus une raison pour se montrer négligent ou nonchalant. Un médecin qui n’a jamais pratiqué d’euthanasie ou qui ne maîtrise pas les compétences nécessaires peut demander de l’aide à un confrère formé dans ce domaine.

Mais ce n’est plus le sujet de la discussion. Tout à coup, on se demande si la loi sur l’euthanasie est bien faite, s’il ne faut pas de règles pour éviter toute confusion. Eh bien, ce n’est pas faisable. Comme pour toutes les décisions médicales drastiques, il y aura toujours une marge d’interprétation. Jour après jour, les médecins doivent réaliser des évaluations difficiles et ils le font pratiquement tous en âme et conscience. Aussi la plupart des cas d’euthanasie se déroulent-ils sans problèmes et aujourd’hui, la très grande majorité de la population approuve que les personnes atteintes d’une maladie incurable et qui souffrent atrocement puissent demander à leur médecin de les aider à mourir. Du moins quand il s’agit de patients atteints de cancer ou de personnes qui souffrent physiquement pour une autre raison. Que les patients qui souffrent psychiquement aient également droit à l’euthanasie fait beaucoup plus débat, tant auprès de la famille de certaines personnes concernées, qu’auprès de médecins. Il y a quelques années, j’ai raconté l’histoire de mon vieil ami Lieven, qui s’est suicidé tout seul après un calvaire psychiatrique de plusieurs années parce qu’aucun médecin ne voulait l’aider. Pourtant, selon la loi, il entrait parfaitement en ligne de compte pour être euthanasié : ses psychoses, ses épisodes maniaques et ses dépressions devenaient de plus en plus dévastateurs et ne pouvaient être calmés par aucun médicament.

Quoi qu’on fasse ces prochains mois, ne laissons pas dégénérer la discussion en guerre de tranchées entre les idéologies et les théories.

Pendant des décennies, une lutte difficile a été livrée pour aboutir à une loi sur l’euthanasie humaine, éthique et fondée sur le plan médical. Elle n’est pas parfaite, mais elle fonctionne dans la très grande majorité des cas. Parce qu’une personne qui juge qu’elle a assez lutté peut demander de mourir, indépendamment de toutes les discussions sur le droit à l’autodétermination ou le respect ultime pour la vie. C’est finalement de cela qu’il s’agit. Entre-temps, la loi a quatorze ans et en soi, c’est une raison suffisante pour l’étudier et combler quelques lacunes. Mais on en bénéficiera uniquement si chacun cesse de vouloir obtenir gain de cause à tout prix. Si le but est uniquement d’assouvir sa rage, de mener une nouvelle lutte symbolique ou de rouvrir de vieilles blessures, personne n’en tirera avantage. Quoi qu’on fasse ces prochains mois, ne laissons pas dégénérer la discussion en guerre de tranchées entre les idéologies et les théories. Quelqu’un qui agonise n’a que faire de symboles politiques.

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