La tenue des élections, tous les quatre ou cinq ans, empêche une vision à long terme de la politique. C'est un enjeu majeur pour la réforme de notre démocratie. © LAURIE DIEFFEMBACQ/Belgaimage

Quelles sont les recettes d’un vrai renouveau politique ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Pour débloquer la société et restaurer la confiance, il est urgent de réformer en profondeur, au-delà d’une recomposition politique à court terme. Tel est l’appel d’un patron, d’une syndicaliste et d’un citoyen à la base d’un nouveau mouvement.

Le succès d’En marche ! donne des idées en Belgique. Certains, représentants politiques ou personnalités de la société civile, envisagent la création d’un mouvement citoyen pour bousculer la particratie traditionnelle. Fort bien. Mais ce ne serait là qu’une révolution de façade, estiment d’autres. Qui ne voient le salut de notre démocratie que dans une refonte en profondeur du système politique. Tel est le sentiment exprimé au Vif/L’Express par un patron, une syndicaliste et un citoyen.

 » Un sentiment d’urgence  »

Il y a un an, Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca, cosignait avec deux autres patrons – Johnny Thijs (ex-La Poste) et Baudouin Meunier, des Cliniques universitaires UCL Mont-Godinne – une lettre ouverte pour relancer la Belgique.  » Tout était parti d’un coup de gueule de Johnny Thijs dans la presse flamande pour dire que rien n’allait plus dans ce pays, rappelle-t-il. Cela m’a titillé parce que je trouvais moi aussi qu’il y avait un souci. J’avais l’impression, et je l’ai toujours, que si l’on ne réformait pas la société de façon harmonieuse, on aurait un retour de bâton brutal dans quelques années. Mais au-delà du constat, je voulais que l’on vienne avec des propositions constructives.  »

Dans leur lettre, les trois patrons conseillaient aux politiques de relancer la dynamique à partir de projets transversaux dans des domaines concrets : mobilité, énergie, vieillissement, compétitivité et emploi, sécurité…  » Ce constat vient de mon expérience personnelle, prolonge Bernard Delvaux. Je suis passé par des entreprises – dont La Poste et Belgacom – au sein desquelles il fallait mener une transformation d’envergure pour s’adapter aux évolutions technologiques, à l’apparition de partenaires privés et à la concurrence, tout en diminuant les coûts. Le tout avec une forte syndicalisation. Ce furent des succès…  »

Quatre conditions sont nécessaires à de telles réussites. Toutes ne sont pas remplies par le monde politique, loin s’en faut.  » La première, c’est une gouvernance forte. Dans une entreprise, le conseil d’administration doit être parfaitement aligné avec le comité de direction, le CEO doit avoir confiance dans son équipe, avec des objectifs clairs. Or, au niveau de l’Etat belge, après la sixième réforme de l’Etat, la gouvernance ne peut pas être pire. La lasagne institutionnelle permet à n’importe qui de stopper un projet.  » Une logique  » destructrice « , qui peut être contournée.

 » La deuxième condition, poursuit Bernard Delvaux, c’est ce qu’on appelle la burning platform : y a-t-il un sentiment d’urgence ? Est-on conscient que le statu quo n’est plus une option ? Cette notion vient de l’idée d’une plate-forme de forage au milieu de la mer du Nord prête à exploser. Il n’y a pas d’autre choix que de sauter dans l’eau froide. Aujourd’hui, je crois que les citoyens ont ce sentiment d’urgence. C’est une opportunité. Cela peut paraître cynique de dire que les politiques doivent surfer sur cela, mais c’est ce que font les populistes. Si des gens modérés et intelligents ne viennent pas avec des propositions concrètes et harmonieuses, ces populistes vont occuper l’espace avec des solutions simplistes.  »

Les gens ont besoin de partager un idéal commun vers lequel ils ont envie de travailler à moyen ou à long terme » – Bernard Delvaux

Trois : il faut donner un cap, une perspective.  » Les gens ont besoin de partager un idéal commun vers lequel ils ont envie de travailler à moyen ou à long terme, souligne le patron de la Sonaca. C’est important de faire rêver, de donner de la fierté.  » Enfin, chaque employé – ou chaque citoyen – doit sentir qu’il a sa place.  » Car la première réaction de ceux qui ne savent pas ce qu’ils vont devenir, c’est le blocage – c’est le chat qui se fige devant les phares de la voiture.  »

Est-ce aussi simple ? Bernard Delvaux ne prétend pas avoir trouvé la solution à tous les maux belges et sait qu’un Etat n’est pas une entreprise privée.  » On doit rester très humble…  » Il précise :  » Je n’ai pas de carte de parti… Et je n’ai aucune ambition politique !  » Mais, oui, il est intéressé par l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, en France.  » Je ne sais pas s’il va réussir, mais il fait rêver les gens autour de sa jeunesse, d’une espérance pour le futur.  »

En Belgique,  » où on est moins littéraire qu’en France « , travaillons sur des objectifs très concrets fixés par le politique, suggère-t-il. Puis, place aux administrations  » en essayant d’éviter toute politisation « .  » Prenons la mobilité, illustre Bernard Delvaux. On pourrait se fixer des objectifs clairs, avec le budget actuel : la durée d’un panier de trajets (Liège – Bruxelles en voiture, Anvers – Bruxelles en train…) doit être réduite de 30 % dans quinze ans, idem pour les émissions de CO2 et pour les accidents de la route… C’est positif ! Et c’est réaliste : les spécialistes de la mobilité disent que c’est possible, si on travaille ensemble.  »

Depuis la publication de leur lettre, il y a un an, les trois patrons ont rencontré des responsables politiques à tous les échelons de pouvoir. Résultat ?  » Des idées font leur chemin. Mais je suis globalement déçu. Peut-être est-ce dû à mon expérience dans les entreprises, liée à ce sentiment d’urgence… J’espère que le processus s’accélérera en vue des élections de 2019.  »

 » Un nouveau pacte social  »

Pour Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca, il faut une gouvernance forte et des objectifs clairs.
Pour Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca, il faut une gouvernance forte et des objectifs clairs.© Dieter Telemans/ID Photo Agency

Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, estime qu’il est grand temps de repenser les fondements de notre société, en impliquant tout le monde, y compris les plus faibles et les plus démunis. La priorité ? Créer un cénacle où une telle réflexion serait possible.  » Le néolibéralisme a gagné une bataille idéologique, analyse-t-elle. Il a irrigué toutes les tendances politiques. Face à cela, la social-démocratie progressiste se divise et est incapable de tracer de nouvelles perspectives sur le progrès,le travail, la protection sociale… On voit donc arriver des gens qui veulent sortir radicalement du système. Pour aller où ? On ne sait pas. Pour faire quoi ? On ne sait pas. Je n’ai pas de problème avec les révolutions, le problème, c’est le lendemain des révolutions. Comment reconstruire des bases solides ?  »

La patronne de la CSC insiste :  » Cette logique visant à renverser la table, ce n’est pas la nôtre.  » D’ailleurs, la ligne de son syndicat est claire :  » Nous voulons contribuer au débat avec des positions en matière d’emploi, de protection sociale, de fiscalité, de transition énergétique, de services publics… Mais dès qu’il s’agit d’une réflexion à visée purement politique, ce n’est pas notre boulot. Nous, nous parlons avec tout le monde, nous défendons nos propositions partout où on le peut, mais c’est tout. Et je pense que c’est plus sain comme ça.  »

Marie-Hélène Ska s’inquiète aussi de cette déconnexion de plus en plus forte –  » et pour moi très pénible…  » – entre les partis politiques et la majorité de la population.  » En France, il y a eu 11 millions de votes frontistes et 16 millions de votes blancs et nuls, relève-t-elle. En 2002, c’était beaucoup moins. Rien n’a été fait en matière de politique de logement, de quartier, de mobilité, de réponses concrètes… Pourquoi ? Parce que ces mondes-là ne se parlent plus ! Quel élu habite encore dans un quartier populaire en faisant autre chose que des permanences sociales ? Je ne vois pas ce dialogue dans les congrès de parti.  »

Il est vital, selon Marie-Hélène Ska, de conclure un nouveau pacte social, à long terme, rétablissant la confiance entre le citoyen et la politique.  » Les fondations ne peuvent être posées par dix ou vingt personnes de bonne volonté. Un travail de refondation idéologique ne se fait pas en six mois. Plutôt qu’une recomposition politique à court terme, il faut un lieu où l’on peut approfondir des débats fondamentaux. Je suis frappée du blocage au sujet du revenu universel. Où et avec qui poser sereinement le débat de l’articulation d’un revenu décent pour chacun et d’une protection sociale qui ne soit pas minimale ?  »

On a compliqué à tel point le système que les citoyens s’en sont désintéressés » – Stéphane Michiels

L’enjeu ? Créer un socle résistant aux changements de majorité d’une élection à l’autre…  » La population est anxieuse de voir les perspectives sans cesse chamboulées, insiste Marie-Hélène Ska. Cela participe à la déception, à la rancoeur…  » Le nouveau pacte social doit dépasser les clivages politiques.  » Les Danois ou les Suédois ont un système éducatif performant parce qu’ils ont un socle de base endossé par tous les partis politiques.  »

Pour Marie-Hélène Ska, ce nouveau corpus idéologique fort doit s’enraciner dans la réalité, pas dans un monde fantasmé.  » Le gouvernement Michel ne cesse de répéter que l’on crée de l’emploi, ce qui est vrai, mais la population augmente aussi, donc, le chômage ne diminue pas. Si je m’exprime de façon brutale, cela veut dire que le stock de personnes sans emploi est le même depuis les années 1990. Va-t-on continuer à prétendre que l’on veut le plein emploi ? Que va- t-on faire pour ces dizaines de milliers de jeunes qui sortent chaque année, condamnés à être au chômage et exclus des allocations d’insertion ? De même, il y a 1,8 million de pensionnés et leur nombre va encore augmenter. Aucune société ne peut vivre s’il n’y a pas de contrat générationnel. Où sont posés ces enjeux qui différencient fondamentalement une société d’une entreprise ?  » Il y a un manque, un vide…

La patronne de la CSC se désespère de l’incapacité actuelle des politiques à réfléchir en dehors des schémas établis. Elle craint que des partis ne soient jamais en mesure de mener des réflexions nécessaires dès lors qu’ils se mettent eux-mêmes en danger.  » Je ne suis pas défaitiste, sinon je ne serais pas là, sourit-elle. Tout n’est pas noir, loin de là. Il y a une aspiration de plus en plus large de la population, tout le monde en a marre des défaitismes, des reculs, d’une société bloquée depuis les années 1980. Il faut parvenir à capter cette aspiration et lui donner des débouchés positifs.  » Structurer l’impatience citoyenne, au fond.

 » Une vigilance citoyenne  »

Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, déplore qu'élus et citoyens ne se parlent plus.
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC, déplore qu’élus et citoyens ne se parlent plus.© Tim Dirven/ID Photo Agency

Stéphane Michiels sait de quoi Marie-Hélène Ska parle. Ce chef de famille comblé, père au foyer depuis qu’il a revendu ses activités dans l’Horeca, vient de créer un mouvement citoyen baptisé Belvox. Sa motivation ? Exercer une vigilance citoyenne pour inciter le monde politique à se réformer après les affaires à répétition, qui témoignent d’une dérive systémique.

 » J’ai commencé il y a deux mois, naïvement, avec l’enthousiasme du néophyte, après une réflexion faite par ma fille devant le journal télévisé, raconte-t-il. On parlait, une fois de plus, de Publifin… Quand François De Brigode annonce le salaire de Stéphane Moreau, ma fille de 12 ans me demande : « Papa, c’est normal de gagner autant d’argent, comme ça ? » Je n’ai pas voulu diaboliser, je lui ai répondu que cela pouvait être normal quand on est patron d’une grosse entreprise. Mais dans ce cas-ci, c’est vrai que c’est un peu bizarre : il s’agit de l’argent public et les sociétés qu’il gère ne sont pas toutes bénéficiaires. Alors, elle me répond : « Mais il faut faire quelque chose, ce n’est pas possible… »  » Ses parents, désarçonnés par cette spontanéité, lui rétorquent :  » Tu as raison, Coline, mais qu’est-ce que tu veux que l’on fasse ?  »  » Peu après, je me suis dit que c’était là un très mauvais signal qu’on lui donnait, prolonge Stéphane Michiels. Et j’ai décidé de passer à l’action.  »

Il réunit quelques amis pour entamer une réflexion. Regarde sur les réseaux sociaux ce qui existe déjà. Et tombe sur des initiatives très négatives où les gens rouspètent sans arrêt.  » Je ne veux pas de ça, insiste le fondateur de Belvox. Mon objectif n’est pas d’organiser une chasse aux sorcières ou voir des têtes tomber… Nous voulons proposer de nouvelles règles de gouvernance ou corriger celles qui ont dérivé. Le système politique actuel n’est pas mauvais en soi, mais les responsables politiques l’ont compliqué à un point tel que les citoyens s’en sont désintéressés. Les intérêts partisans ou l’attrait du pouvoir prennent le dessus sur la résolution effective des problèmes. L’intérêt des partis prime sur l’intérêt général. Comme Macron en France, je suis persuadé qu’il y a des bonnes choses à droite et à gauche.  »

Stéphane Michiels et ses amis créent un site Internet pour sensibiliser les internautes.  » Je ne veux pas faire de la politique, explique-t-il. Si j’ai un pied dedans, je ne vais plus être crédible, je ne pourrai plus parler au nom du citoyen. Mon idée, c’est de fonder une forme de contre-pouvoir, un lobby du peuple, avec des contre-propositions. Nous avons déjà élaboré une série de points que je tiens à valider avec des politologues. Ensuite, nous proposerons cette charte via notre communauté sur Facebook ou nous l’enverrons sur les boîtes mails des députés, comme cela se fait aux Etats-Unis. Et je compte bien en suivre l’exécution, mener une vigilance citoyenne.  »

En tant que citoyen engagé, Stéphane Michiels veut fonder une sorte de
En tant que citoyen engagé, Stéphane Michiels veut fonder une sorte de  » lobby du peuple  » qui ferait des contre-propositions.© SDP

Les propositions à court terme concernent le comportement des élus. Il s’agit de leur interdire d’exercer des activités de conseiller et d’administrateur dans une société privée parallèlement à leur mandat.  » Le cas de la cheffe de cabinet de Didier Reynders, administratrice chez Ackermans & van Haaren, dont vous avez parlé dans Le Vif/L’Express, me semble inacceptable : je ne peux pas imaginer que l’on ne voit pas le conflit d’intérêts.  » Il s’agit aussi d’interdire le cumul de plus de deux mandats identiques successifs.  » Cela créerait une forme de roulement. Le principe de la carrière politique, en soi, est dérangeant.  » Les fondateurs de Belvox veulent aussi mettre en place des dispositifs d’évaluation du travail parlementaire,  » soit par des jurys citoyens, soit par des comptes rendus des mandats, ou via les réseaux sociaux « .

A plus long terme, l’ambition serait de mettre en place un système électoral plus juste.  » Je relaie la volonté de supprimer la case de tête, mais je défends aussi l’idée de listes électorales par ordre alphabétique pour obliger les gens à choisir un nom précis, expose Stéphane Michiels. J’irais jusqu’à créer la possibilité de déposer des listes citoyennes indépendantes. Aujourd’hui, si je veux m’engager en politique, je n’ai pas d’autres choix que de me retrouver dans les partis actuels.  »

Plus tard encore, il faudra songer à  » réviser le statut et le champ d’action des partis politiques qui ont pris beaucoup trop d’importance « .  » Après l’affaire Agusta, on avait décidé de leur dotation publique afin qu’ils ne soient plus dépendants de l’argent privé, résume le fondateur de Belvox. Les affaires récentes montrent que rien n’a changé. Par contre, les partis ont reçu une manne financière qui les ont transformés en machine de guerre. Ce n’est plus de la communication politique, c’est de la propagande. On se fait broyer par une machine payée par le citoyen….  »

Le leitmotiv de Belvox ? Recréer un lien de confiance.  » Je ne prétends pas qu’ils sont tous pourris, mais les règles avec lesquelles nos élus fonctionnent ne sont plus bonnes. Je n’ai pas envie que mes enfants me disent au moment où ils seront en âge de voter : « Merci pour ce pays dans lequel tu nous fais vivre… »  »

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