Tamim bin Hamad Al Thani avec le roi © Belga

Que fait le très controversé émir qatari en visite en Belgique ?

Muriel Lefevre

Tamim bin Hamad Al Thani, l’émir du Qatar, est actuellement en Belgique. Celui qui est aussi le plus jeune monarque du monde n’est pas vraiment un personnage neutre. Les autres pays du Golfe lui reprochent de soutenir le terrorisme et boycottent son pays.

Tamim bin Hamad Al Thani, 37 ans, est en visite dans notre plat pays. Si on ne peut parler d’une visite d’état, elle n’en est pas moins officielle puisqu’il a été accueilli à « bras ouverts » par notre gouvernement, dit De Standaard. Lors de son séjour de plusieurs jours, il est venu accompagné de ses trois femmes et a notamment rencontré le roi. Une visite de courtoisie donc , mais qui n’est pas anodine pour autant. Le Qatar est en effet accusé par ses pays voisins de servir de « Club Med pour les terroristes ». Il n’entretiendrait pas seulement des liens chaleureux avec des groupes radicaux tels qu’Al-Qaïda, l’État islamique, le Hamas et les Frères musulmans, il aurait également offert l’asile à des terroristes en fuite et chercherait par ce biais à se rapprocher de l’ennemi juré qu’est l’Iran. La crise est telle que l’Arabie saoudite et ses alliés ont rompu en juin toutes leurs relations avec Doha.

Toutes ces allégations sont réfutées avec fermeté par l’émir Tamim depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2013. L’émir actuel du Qatar a succédé à son père quelques mois seulement avant la crise de 2014. Formé à la prestigieuse académie militaire britannique de Sandhurst, il a rompu avec la politique de son père et alloué plus de moyens à la défense, domaine qui a été « sous-financé pendant plusieurs décennies », selon Andreas Krieg, conseiller auprès du gouvernement qatari jusqu’à l’an dernier. « Les dirigeants du Qatar essaient de prévoir l’imprévisible », souligne David Roberts, professeur au King’s College de Londres. « Même si une action militaire leur semble peu probable, leurs prédictions se sont constamment avérées fausses, et le Qatar doit ainsi se préparer au pire », ajoute-t-il. Au-delà de l’aspect purement « défense », la signature des contrats militaires revêt également un volet diplomatique pour l’émirat gazier qui veut renforcer ses relations avec certains pays clés.

Ce n’est pas la première visite de l’émir en Europe puisqu’en septembre il était déjà venu en Allemagne et en France. Pour la porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères, Lulwa al-Khater, les accords de défense bilatéraux aident « à renforcer ces partenariats ». Le Qatar veut que Paris, Londres et Washington jouent un rôle croissant dans le maintien de sa sécurité et stabilité, ajoute pour sa part M. Roberts.

En visite en Belgique

La visite d’aujourd’hui en Belgique s’effectue probablement dans cette même optique. Et apparemment avec succès, puisque l’émir a été reçu ce matin par le Premier ministre Charles Michel (MR), avant de rencontrer le roi Philippe et la reine Mathilde. Cet après-midi, une visite est prévue au Parlement et au Sénat, toujours selon de De Standaard. Malgré le boycott et le fait qu’il se trouve dans une zone géopolitique sensible, le Qatar a, pour la Belgique, un certain intérêt économique et reste un partenaire important. Par exemple diverses entreprises belges, telles que Besix, travaillent à la construction d’infrastructures sportives pour la coupe du monde de 2022. Ensuite notre pays importe du gaz naturel du Qatar. On devrait aussi signer de nouveaux partenariats économiques, notamment dans le domaine de l’aviation et de l’éducation dit encore De Standaard.

Une frénésie d’achat militaire

Depuis le début de la crise avec ses puissants voisins du Golfe qui tentent de l’isoler, le riche émirat du Qatar s’est lancé dans une frénésie d’achats militaires pour parer à toute éventualité et montrer qu’il continue à faire affaire avec l’Occident. Le Qatar a ainsi annoncé la signature d’une série de contrats militaires d’une valeur totale de 20 milliards d’euros (25 mds de dollars). « Bien que les dépenses en matière de défense du Qatar soient en hausse depuis plusieurs années, le pic récent semble être directement lié à la crise », estime David Roberts. Juste après le début de la dispute, Doha a acheté des avions de chasse F-15 aux États-Unis, et en décembre, l’émirat gazier a signé un contrat pour l’achat de 12 avions de combat Rafale supplémentaires lors de la visite du président français Emmanuel Macron. Il aussi confirmé une commande de sept navires de guerre à l’Italie, et a lancé des négociations pour acheter des systèmes russes de défense antiaérienne S-400.

‘Investissement massif’

« Il y a un investissement massif dans le domaine militaire », résume Andreas Krieg. Jusqu’à 2013, le Qatar dépensait quelque 3 milliards de dollars (2,4 mds d’euros) par an pour la défense, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Mais le récent boom des dépenses militaires révèle la crainte d’une invasion. Des responsables qataris ont admis en privé n’avoir pas du tout vu venir la crise du Golfe.

« Il y avait une crainte que les premières mesures économiques et diplomatiques imposées au Qatar le 5 juin soient le prélude à une intervention militaire », note Kristian Ulrichsen, analyste du Golfe à l’Institut Baker de l’Université Rice aux États-Unis.Selon M. Krieg, la peur d’une invasion remonte à 2014 lorsque l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn avaient brusquement rappelé leurs ambassadeurs au Qatar. Cette crise avait été résolue –ou tout au moins mise en sourdine– mais son souvenir demeure vivace. Malgré les efforts du Qatar visant à renforcer son armée, ses capacités restent bien en deçà de celles de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

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