Olivier Mouton

Quand Milquet rêve d’un univers politique sans Reynders

Olivier Mouton Journaliste

En attaquant vertement le candidat du MR à la Commission européenne, la ministre humaniste confirme leur inimitié personnelle et témoigne d’une fracture politique profonde. Cette « pure conversation privée » en dit long sur sa volonté… de le voir dégager.

Joëlle Milquet a de l’expérience en politique, elle devrait savoir qu’un commentaire badin prononcé devant trois enregistreurs allumés, sans mention explicite du caractère confidentiel de ce qui est exprimé, est susceptible de provoquer une polémique. En flinguant la candidature de Didier Reynders au poste de commissaire européen, à la fin d’un entretien accordé au quotidien Le Soir au sujet de la rentrée des classes, la ministre CDH francophone de l’Education a envoyé plusieurs signaux clairs, fussent-ils inconscients, à l’occasion de ce qui aurait été une « pure conversation privée » usant du « second degré humoristique » comme elle le prétend aujourd’hui.

Voici la preuve qu’une petite phrase politique vaut parfois plus qu’un long discours…

Une inimitié personnelle

« Charles Michel serait très heureux que Didier Reynders dégage car sinon, il reste président et laisse Reynders vice-Premier avec la pollution complète qu’il fait de tout. Il y a un intérêt collectif majeur pour le MR, c’est presque une question de santé publique, mais je plaisante ! » Le ton de Joëlle Milquet est certes ironique, mais surtout peu gracieux à l’égard de son collègue libéral. C’est la énième confirmation de ce que tout le monde sait : Didier Reynders et Joëlle Milquet ne se supportent guère, leur inimitié est devenue au fil des années une donnée fondamentale de la politique francophone, qui complique la cohabitation entre leurs deux formations politiques.

Ces personnalités aux antipodes l’une de l’autre ont l’art de s’exaspérer mutuellement. Autant le premier est cadré, froid au premier abord, calculateur, organisé, implacable ; autant la deuxième est désorganisée, imprévisible, approximative, chaleureuse souvent, créative… Didier Reynders et Joëlle Milquet, ensemble vice-Premiers ministres au fédéral durant dix ans, ont transformé ce jeu de rôle psychologique en un positionnement politique. Assistez à un débat public où ils sont tous deux présents, regardez attentivement leurs sorties médiatiques, vous verrez combien le mépris ou l’exaspération s’expriment sur leur visage. Cette comédie humaine est devenue, aussi, un marketing politique.

Une fracture politique

Les confrontations Milquet – Reynders constituent la toile de fond métaphorique du choc frontal entre MR et CDH. Depuis vingt ans, le MR plaide pour un « déplacement du centre de gravité » du côté » francophone, aimerait détrôner le PS et rêve de tuer le CDH pour devenir la seule alternative de centre-droit dans un paysage politique à tendance majoritaire, comme en France. Si Joëlle Milquet s’est jetée dans les bras d’Elio Di Rupo en 2004, c’est d’abord en réaction aux tentatives répétées du MR de débaucher des personnalités humanistes pour manger l’aile droite du CDH. Depuis, l’amitié Milquet – Di Rupo est devenue profonde et le lien PS- CDH très fort.

Désormais, la guerre est ouverte et le MR espère profiter de la Suédoise pour démontrer définitivement que le CDH est scotché au PS

La petite phrase de Joëlle Milquet survient à un moment où MR et CDH sont plus à couteaux tirés que jamais. Les réformateurs ont été ulcérés par le mariage rapide PS – CDH qui les rejettent dans l’opposition au niveau régional. Les refus très fermes du président du CDH, Benoît Lutgen, à la coalition de centre-droit au fédéral ( à De Wever d’abord, à Peeters ensuite) ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Désormais, la guerre est ouverte et le MR espère profiter de la « Suédoise » pour démontrer définitivement que le CDH est « scotché » aux socialistes. Le CDH, lui, espère secrètement que le MR avalera bien des couleuvres dans l’aventure, qu’il perdra des plumes en étant l’otage d’un gouvernement asocial, anti-francophone, dominé par le nationalisme flamand. En attendant, Joëlle Milquet, qui incarne l’aile sociale humaniste, est sortie vainqueur du match post-électoral au sein de son parti. C’est sa ligne qui l’a emporté face à celle plus droitière de Melchior Wathelet.

Une part de vérité sur la rivalité libérale

« Charles Michel serait très heureux que Didier Reynders dégage… » Joëlle Milquet exprime en réalité un scénario qui circule depuis plusieurs semaines dans les coulisses de la rue de la Loi et qui contient, sans doute, une part de vérité. Ayant été informateur, puis co-formateur du gouvernement fédéral, Charles Michel maîtrise plus que quiconque les tenants et aboutissants de la « Suédoise ». Il pourrait être tenté de mener à bien son projet en devenant vice-Premier ministre quitte à laisser la présidence du parti, de façon intérimaire à la Di Rupo – Magnette, à Olivier Chastel ou à Willy Borsus. Ce faisant, il écarterait aussi sur la voie dorée de la Commission un Didier Reynders contre lequel il avait mené une fronde ouverte lorsqu’il était président de parti. La guerre interne n’est plus aussi vivace, elle a été apaisée par la victoire électorale de mai dernier, mais elle est susceptible de resurgir à l’occasion de la moindre tension.

Louis Michel, « père » du président et plus que jamais aiguilleur idéologique du MR, balayait du revers de la main ce scénario lors de l’entretien matinal de Bel RTL : « C’est absolument insultant. Ça n’a pas beaucoup de sens et ce n’est pas très classe. Et c’est faux en plus. Il y a une grande proximité entre Charles et Didier… » Dont acte. Si les deux hommes taisent pour l’instant leurs divergences dans l’intérêt du parti, il leur serait sans doute moins aisé de maintenir une telle harmonie lorsque le gouvernement fédéral sera en place. Le président Charles Michel, belle-mère du vice-Premier Didier Reynders : tout le monde n’est pas convaincu de la stabilité à terme d’une telle formule. D’où l’intérêt d’un Reynders commissaire européen – en plus du prestige de la fonction.

Une conviction féministe et sociale

La suite de la conversation « privée » de Joëlle Milquet témoigne qu’au-delà de la comédie humaine, cette opposition viscérale au candidat MR est ancrée au plus profond d’elle. « Juncker (NDLR – président de la Commission européenne) veut Marianne Thyssen (NDLR- candidate du CD&V), il déteste Reynders, ne veut pas d’un libéral et ne veut pas d’un homme, dit-elle. Il la connaît bien, il a confiance, elle est plutôt du centre, c’est une sociale. Les libéraux savent très bien que Juncker ne choisira jamais Didier Reynders. »

Joëlle Milquet est sociale, mais aussi profondément féministe et cela dicte souvent ses attitudes. Elle est convaincue que le 21e siècle a besoin d’un nouveau féminisme face aux ombres machistes qui continuent à planer. La nomination de Marianne Thyssen constituerait un autre symbole face à ce macho de Didier Reynders dont la ministre CDH aimerait visiblement qu’il cesse de « polluer tout ». Au fond, ne serait-elle pas tout simplement heureuse de le voir « dégager » de l’univers politique belge ?

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