Quatre candidats pour un seul poste de recteur : de gauche à droite, Ann Lawrence Durviaux, Vincent Seutin, Eric Pirard et Pierre Wolper. Tous veulent éviter les bassesses du premier tour. © HATIM KAGHAT

Quand les élections pour élire le prochain recteur de l’Université de Liège s’annoncent impitoyables

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Un nouveau recteur aurait dû être intronisé en cette rentrée académique à l’ULiège. C’était sans compter sur le fiasco des élections organisées au printemps dernier. Alors, l’université doit retourner aux urnes, les 24 et 25 septembre. Quatre candidats sont en lice. Promis, ils se concentreront sur les programmes, plus sur les coups bas…

Les premiers rangs étaient, au mieux, clairsemés. Les vice-recteurs – qui, d’habitude, l’entouraient – s’étaient installés au fond de l’amphithéâtre de l’Europe. Albert Corhay n’aurait pu être plus seul, lors de ce conseil académique suivi d’une cérémonie de bons voeux, le 25 janvier dernier. Il entama son discours vers 17 heures ; coupettes et amuse-bouches ne devaient être servis qu’à 19 heures.  » Des questions ?  » lança le recteur de l’ULiège au bout d’une demi-heure. Silence. Pesant.  » Alors, je vais m’en poser moi-même !  » Meubler, plaisanter, réessayer.  » Toujours pas ?  »  » Ça ramait, j’avais mal pour lui « , se souvient un participant. Quand les petits fours firent enfin leur apparition, ceux qui n’étaient pas encore au courant des origines du malaise ne conversaient plus que de cette photo, postée le jour d’avant par Pierre Wolper, doyen de la faculté de sciences appliquées, proclamant sa candidature au poste de recteur. Réunissant, surtout, parmi les membres de son équipe, la garde rapprochée… d’Albert Corhay. Ses deux vice-recteurs, Eric Haubruge et Rudi Cloots, ainsi que deux de ses conseillers, Vincent D’Orio et Philippe Hubert. Bonne année et meilleurs désaveux.

Une université habituée au huis clos, confrontée malgré elle à une nouvelle époque.

Ainsi débuta la campagne rectorale à l’université de Liège. Le nouveau patron de l’institution aurait dû entrer en fonction cette rentrée académique. L’année 2018-2019 débutera plutôt par de nouvelles élections. Le premier tour, organisé en avril dernier, n’avait pas départagé les trois candidats, Albert Corhay (26,49 %, qui concourait pour un second mandat), Pierre Wolper (39,53 %, qui retentait sa chance après une défaite quatre ans plus tôt) et Eric Pirard (25,06 %, le challenger, professeur ordinaire à la faculté de sciences appliquées). Aucun gagnant non plus au deuxième tour, en mai : ni Pierre Wolper (45,47 %), ni Albert Corhay (26,72 %). Même le vote  » à personne  » avait fait mieux (29,58 %).

Retour aux urnes, donc, ces 24 et 25 septembre. Ce troisième tour pourrait être suivi d’un ultime quatrième (les 9 et 10 octobre), si aucun des quatre candidats en lice ne remporte d’emblée plus de la moitié des voix.  » Plus jamais ça « . Les aspirants recteurs (Pierre Wolper, Eric Pirard, mais aussi Ann Lawrence Durviaux, professeure ordinaire à la faculté de droit, et Vincent Seutin à la faculté de médecine) se rejoignent au moins sur ce point. Plus de coups bas, règlements de compte, insultes. Car des premier et deuxième tours, toute la communauté universitaire n’avait retenu que  » cette ambiance délétère, pas du tout le style de la maison « , observe Laurent Radermecker, président de la fédération des étudiants.  » Personne n’aurait pensé que des académiques tomberaient dans un tel bac à sable.  »

Menaces de divulgation, recours devant le Conseil d’Etat, pseudo- révélations dans la presse, débats, pugilats… Albert Corhay n’avait pas digéré la défection de son équipe et le camp adverse le lui avait bien rendu. Dire qu’il était persuadé de l’emporter ! Ses prédécesseurs n’avaient-ils pas tous enchaîné plusieurs mandats ?  » A la tête d’une institution, il faut prendre des décisions impopulaires. Peut-être a-t-on fait en sorte que je le sois, aussi « , confiait-il, fin mai dernier. Homme de chiffres plutôt que de représentation, il avait la réputation d’être  » quelqu’un d’agréable « , dixit un administrateur.  » Mais qu’il ne soit pas un grand orateur lui était souvent reproché.  » Son nom restera associé à celui de son plan stratégique, un chantier exigé des onze facultés pour définir les futures lignes directrices de l’université.  » Mais sa mise en application (NDLR : 12 objectifs prioritaires et 200 actions) était trop large, différente de ce que nous avions espéré. C’est pour cela que nous nous sommes distanciés « , explique Eric Haubruge quant à la genèse des dissensions qui l’avaient conduit, comme Rudi Cloots, à rejoindre l’équipe rivale. Ce plan stratégique fut mal vécu au sein de certaines facultés. Tant de réunions, d’épineuses discussions pour un tel résultat ? Celles de sciences et de philosophie et lettres digéraient également mal la volonté de créer une faculté en formation des maîtres, en collaboration avec les hautes écoles. Comme un piétinement sur leurs plates-bandes, elles qui diplôment tant d’enseignants.

Décret Corhay

Surtout, Albert Corhay l’avait promis, juré : un seul mandat, puis s’en va. Son âge (63 ans) l’y contraignait, à moins de rogner sur sa retraite. Sauf que  » quatre ans – en fait trois si l’on retire la mise en route puis la campagne – c’est court pour concrétiser ses projets, justifie-t-il. Je plaide, encore aujourd’hui, pour un mandat de six ans. J’espère que mon message passera.  » Ça n’avait pas été le cas auprès de Jean-Claude Marcourt, ministre de l’Enseignement supérieur (PS), à qui il demandait à prolonger de deux ans.  » Le ministre n’était pas contre mais il ne pouvait pas donner l’impression de juste aider le recteur « , relève un observateur avisé. L’art du compromis : un texte fut finalement voté en urgence en octobre 2017, autorisant les professeurs des hautes écoles et universités à prolonger leur carrière de deux ans. On peut être socialiste et favorable à la pension à 67 ans…

 » Décret Corhay « ,  » manoeuvres politiciennes  » propres aux  » républiques bananières  » : une carte blanche (signée des deux remuants académiques François Gemenne et Damien Ernst et publiée dans La Meuse) propagera l’idée qu’Albert Corhay,  » avait clairement pris un tournant autoritaire « , comme le résume cet observateur. Ce texte, largement relayé, propulsera également l’université dans l’arène publique, elle qui a toujours préféré la popote interne au déballage externe. Faut pas croire : les élections rectorales antérieures n’avaient pas toujours été tendres.  » Par deux fois dans le passé, les favoris s’étaient effondrés et les outsiders – Marcel Dubuisson en 1953 et Arthur Bodson en 1985 – s’étaient imposés, rappelle Bernard Rentier, recteur de 2005 à 2014. En 1993 aussi, l’opposition entre Arthur Bodson et Willy Legros était dure. Mais cela ne sortait pas des murs de l’institution.  » Une vraie élection papale : les professeurs s’enfermaient dans un amphithéâtre qu’ils ne quittaient que lorsqu’un gagnant émergeait. Ne manquait plus que la fumée blanche.

Depuis 2014, les nouvelles règles électorales accordent 15 % du droit de vote aux étudiants.
Depuis 2014, les nouvelles règles électorales accordent 15 % du droit de vote aux étudiants.© HATIM KAGHAT

Douloureuse démocratie

Seul le corps académique avait voix au chapitre. Pas les étudiants, ni même… le personnel. Les règles électorales ont été rééquilibrées en 2014. Le poids des 652 professeurs et chargés de cours est passé de 100 à 65 %. 15 % ont été accordés aux étudiants, 10 % au personnel scientifique (chercheurs, doctorants…) et 10 % au  » pato  » (personnel administratif, technique et ouvrier). Près de 25 000 personnes au total.  » L’équivalent d’une grosse commune, note Eric Pirard. J’avais sous-estimé le fait que, du coup, cela devient l’affaire d’une région, tout le monde se sent concerné. Ceux qui y ont étudié, ceux dont un proche y travaille…  » Et la presse, au taquet. Lors d’un conseil d’administration tendu organisé entre les premier et deuxième tours, la lettre de démission présentée par le vice-recteur Rudi Cloots s’était retrouvée illico sur le site de La Meuse. Quelques minutes plus tard, la directrice générale à l’enseignement, Monique Marcourt, recevait un sms d’un professeur la prévenant qu’un journaliste de la RTBF cherchait à en savoir plus sur l’ambiance délétère de la réunion.  » Quelqu’un donne des informations à la presse !  » accusa-t-elle. L’un proposa de confisquer téléphones et ordinateurs, l’autre de porter plainte pour divulgation de propos confidentiels. Anecdote symbolique d’une université habituée au huis clos, confrontée malgré elle à une nouvelle époque. Et assimilant mal une nouvelle démocratie.

Elle n’est pas la seule. En 2017, l’UGent n’a élu son recteur, Rik Van de Walle, qu’au bout de dix tours ( ! ), dans une ambiance digne d’une mauvaise série. Relents d’influences maçonniques, dépôt de plainte, obligation d’adapter le règlement interne pour sortir de l’impasse, erreur technique obligeant à annuler les résultats, retrait de candidats… Moins long mais pas plus apaisé à la KULeuven, la même année, où seules 48 voix ont départagé les deux candidats, Luc Sels et Rik Torfs. L’UNamur, qui a élu son grand patron en 2017, expérimentait le suffrage universel pondéré pour la première fois. Jusqu’alors, seule une quarantaine de personnes votait, pour ensuite envoyer les résultats au… supérieur général des jésuites à Rome, qui dévoilait alors le nom du vainqueur. A l’ULB, on ne chipote pas avec les expériences démocratiques : seuls les professeurs élisent le chef. L’Umons a elle élargit son corps électoral. Le vote a eu lieu cette année, sans encombre. Il n’y avait qu’un seul candidat.

Place aux programmes

Rebutante, la fonction de recteur ? Quatre candidatures à l’ULiège sur 181 professeurs ordinaires éligibles…  » J’aurais adoré qu’il y ait plus de candidats. Mais je pense que c’est un job prenant, qui n’intéresse pas beaucoup de monde « , constate Ann Lawrence Durviaux, première femme candidate depuis que l’université existe, c’est-à-dire 200 ans. Mais aussi la seule à rompre le schéma habituel, selon lequel un professeur tente sa chance avant sa pension, pour couronner sa carrière. Lorsqu’elle faisait partie de l’équipe d’Albert Corhay, beaucoup lui lançaient :  » Fais ton expérience de vice-rectrice, tu seras une bonne rectrice dans quatre ans.  » Pourquoi attendre ?  » Je me suis beaucoup investie dans les mandats institutionnels, j’ai 50 ans, je suis en forme ! Pour moi, c’était important de dépasser ce schéma-là.  » Si elle est élue, son premier objectif sera la simplification de la gouvernance, pour que les décisions ne soient plus imposées d’en haut mais inspirées par la base. Elle compte  » assurer un ancrage local fort « , basé sur les spin-off, comme  » point de départ d’un rayonnement international « . Puis, mener une réflexion sur l’université inclusive,  » qui tiendrait compte du vécu, du parcours de l’étudiant « .

Vincent Seutin, 57 ans, a été le dernier à déposer sa candidature, convaincu de son profil  » indépendant de toute obédience « . Il mise aussi sur la gouvernance, dans une autre acception.  » Un collège rectoral fort, composé du recteur, de vice-recteurs et de conseillers, qui valideraient toutes les décisions avant de les élaborer plus avant « . Très concret, il propose par exemple d’offrir des charges de cours au personnel scientifique qui le souhaite, ainsi que de travailler sur le sentiment d’appartenance des alumni et des entreprises liégeoises.  » A Harvard, ils donnent chaque année 100 milliards d’euros ! Si on parvenait à en faire un centième, j’utiliserais ces dix millions pour ouvrir des laboratoires provisoires permettant à de jeunes chercheurs de réaliser des projets conséquents.  »

Eric Pirard, 57 ans également, retentera sa chance. Son score au premier tour avait surpris, tout comme sa consigne de vote  » à personne  » pour le deuxième.  » Je sais qu’aux yeux de beaucoup, je porte une responsabilité.  » Son programme mise sur l’international.  » Nous devons nous afficher comme une institution européenne, soumet-il. En maîtrisant encore mieux l’anglais, en accompagnant plus de chercheurs à l’étranger…  » Selon lui, être une  » université complète ne veut plus rien dire « , il faut miser sur des domaines spécifiques. Il entend développer les outils numériques et faire en sorte que la recherche soit en adéquation avec des objectifs durables, socialement et environnementalement.

Pour Pierre Wolper, 63 ans, ce sera cette élection ou jamais. Il estime que  » beaucoup auraient été surpris ou déçus que je ne me représente pas « . Ses  » lignes de force  » : un  » retour à l’essentiel  » pour les mécanismes de gestion ( » tout le monde est submergé de réunions « ), une vision qui détermine la gestion financière (et non l’inverse), une remotivation des troupes en travaillant sur le cadre de travail et une meilleure communication des objectifs…

Le soir du 26 septembre, il saura – comme les autres – s’il s’est cette fois révélé le plus populaire. Le timing électoral est serré. Une petite semaine de débats, du 17 au 23, avant le vote. Ce n’est peut-être pas plus mal, histoire de se concentrer sur les programmes et non plus sur les tensions…

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