Melchior Wathelet. © Belga

Qu’est devenu l’ancien ministre Melchior Wathelet ?

François Remy
François Remy Journaliste

Dans la rue, les gens l’appellent encore Monsieur le Ministre. Pourtant, Melchior Wathelet est officiellement devenu Monsieur le CEO. Un étonnant passage du public au privé, pas si insensé qu’il y paraît. Rencontre.

Quelle ironie. Depuis qu’il a abandonné ses mandats électoraux, Melchior Wathelet travaille à un jet de pierre de la rue de la Loi. Au siège de Xperthis, le leader belge des solutions informatiques pour hôpitaux. L’ancien prodige du cdH ne l’avait jamais caché, il voulait de l’opérationnel. Le voilà servi. Le représentant citoyen d’hier sert désormais des intérêts commerciaux. Le jeune patron assure ne pas avoir vendu pour autant son âme sociale. Car les logiciels de gestion fournis par son groupe influencent positivement la prise en charge du patient. Entretien.

C’est prématuré, mais quel bilan dressez-vous de ces premiers jours passés aux commandes d’une entreprise ?

Comme vous dites, c’est un peu difficile après si peu de temps. C’est le bilan d’une période d’observation et de premiers contacts. C’est enthousiasmant de voir des gens conscients d’apporter une plus-value dans le secteur médical. L’informatique peut apporter de vraies réponses quand on sait les enjeux auxquels les hôpitaux sont confrontés aujourd’hui en termes de gain d’efficience, de restructuration, d’adaptation à la vie du patient. Les gens que j’ai rencontrés sont fascinés par cet objectif et veulent totalement le relever.

L’ardeur de votre nouvel entourage professionnel, s’est-elle aussi transmise à vos clients ou est-ce que votre passé politique les a refroidis?

La discussion avec les clients commence souvent par « tiens, ça nous a surpris », « oh, quelle bonne idée » ou « c’est quand même bizarre ». Chacun a ses sensibilités, j’ai eu un petit peu de tout. Mais la différence entre le monde des affaires et le monde politique, c’est que cette partie-là dure 2 minutes, après on parle business : « vous connaissez la situation de mon hôpital », « j’ai encore eu une merde ce matin », « je veux développer tel produit ».

J’en parlais avec ma femme qui me demandait ce qui me change le plus : je peux enfin me consacrer intégralement sur ce pour quoi j’ai été engagé. Pas de guerres d’égo, pas d’agendas qui -pouf !- viennent d’on ne sait où, plus de bruit de fond médiatique ou luttes d’influence sans raison.

Ici, contrairement à la politique, vous êtes orienté solution, jugé sur résultats.

Oui, jugé à l’efficacité, mais il faut rester humble. Les produits qu’on développe, les ventes qu’on réalise, l’innovation qu’on porte dans l’ensemble de notre offre, j’en suis globalement responsable en tant que CEO mais je ne vais jamais le faire moi-même. Ce qu’il faut, c’est insuffler, alimenter la dynamique d’équipe pour avancer. Je peux dire aujourd’hui que nous allons de l’avant, mais c’est l’agenda de l’entreprise qui doit être respecté alors je ne veux pas dévoiler des éléments de stratégie ou de structure. Et j’insiste, c’est d’abord la stratégie puis la structure. Je crois que j’ai une vision claire, toujours à challenger ou discuter, mais le but n’est pas d’imposer. Ça, c’est vraiment grâce à la collaboration des membres. Et tout le monde fonce dans l’aventure.

Vous apportez quand même de votre ancienne vie certains atouts commerciaux. N’y a-t-il pas meilleur vendeur de tapis qu’un politique ?

(rires) En termes de marketing, de contact avec l’extérieur, d’un point de vue relationnel, il y a beaucoup de points communs. Mais des gens peuvent voter pour vous parce qu’ils vous aiment bien, personne ne va m’acheter un logiciel parce qu’il m’aime bien. C’est quand même très différent en termes de résultats. Dans les contraintes et les négociations qu’on a, le fait que quelqu’un vous apprécie fera peut-être en sorte que vous aurez un rendez-vous relativement vite, mais ce n’est jamais pour ça qu’il va allait dépenser de l’argent pour vous.

Pour prendre une comparaison potache, quelle est la différence entre les rapports que vous aviez avec un président de parti ou un chef de gouvernement, et ceux entretenus avec le boss de votre maison-mère, NRB ?

Dans le volet politique, il y a en fait peu de règles, ce n’est qu’un rapport de force. Ici, face au conseil d’administration, il y a des notes à défendre, des votes à obtenir, un calendrier à respecter, c’est beaucoup mieux encadré et donc plus rationnel que dans une relation politique. En politique, il faut toujours convaincre, mais avec pour uniques leviers ces fameux rapports de force.

Vous arrivez chez NRB, sur 400 ou 500 personnes, tout le monde vous dit bonjour et vous dites bonjour à tout le monde. Même chose chez Xperthis. Ce n’est pas ça qui vous fait avoir des contrats, mais c’est nettement plus agréable et plus fort de pouvoir travailler dans des circonstances pareilles. Il y a une vraie culture d’entreprise.

Puis les hôpitaux, les 160, vous en avez partout en Belgique, ça m’a permis de me refaire un petit cours de géographie belgo-belge, qui fait du bien en soi. Mais cette culture d’entreprise, je l’ai retrouvée partout.

Des rencontres sont donc à envisager ou ont déjà eu lieu avec les décideurs politiques ?

Bien sûr, j’ai déjà rencontré Maggie De Block, Maxime Prévôt, Monsieur Gosuin, Vandeurzen… c’est normal et en même temps assez original. En ce qui me concerne, ça a toujours un côté clin d’oeil. La rencontre la plus insolite était celle avec Maxime Prévôt puisque, outre le fait qu’il soit ministre de la Santé wallon, c’est un ami, un ancien collègue, du même parti…

Mais ces rencontres sont normales, nos solutions apportent une plus-value pour l’ensemble des prestataires de soins, pour les patients et participent à l’intérêt général. Et elles impliquent quand même beaucoup d’argent public. On doit s’efforcer de l’utiliser au mieux parce que c’est gage de qualité pour les patients et de pérennité pour les hôpitaux.

Votre nomination, ce passage de la politique au privé, n’est donc pas si insensée. Il suffit pour s’en convaincre encore de regarder du côté de l’actionnariat de Xperthis. On y trouve Nethys, une société liégeoise assez politisée, non ?

Le secteur des hôpitaux, des soins de santé, le caractère prégnant du cadre régulatoire, cela fait que les solutions informatiques deviennent de plus en plus un tout : il y a un vrai marché, il faut faire des contrats, ce n’est pas une société philanthropique, il y des obligations de gestion et de résultats. Mais il faut avoir une vision où l’on appréhende l’intégralité de la question. Vous ne rencontrez pas un gestionnaire d’hôpital qui ne vous parle pas de son mode de financement, de la manière dont il le perçoit lit par lit…

Ou de la politisation de certaines décisions de gestion…

Ou de la politisation de certaines décisions, de sa philosophie par rapport à une intégration avec d’autres hôpitaux qui eux sont plutôt dans un contexte plus politique d’asbl. Notez qu’il y a des hôpitaux dans lesquels j’ai été inclus dans leur gestion quelque part. Pour rester viables, ces établissements doivent implémenter toute une série de paramètres politiques, réglementaires, technologiques, qui s’imposent.

Avec la gigantesque refonte du financement des hôpitaux, le développement de la télémédecine, il y a un véritable momentum pour vous, à ce poste.

C’est on ne peut plus clair. Le gain d’efficience, tous les acteurs hospitaliers en sont conscients. La réglementation évolue sensiblement, il reste quelques incertitudes sur, je dirais, le moment, le comment et l’ampleur du changement de cadre, mais l’impulsion est donnée. Quant au patient, il va être de plus en plus mouvant. Et on passe d’un système où il allait à l’hôpital à un système où les services hospitaliers viennent chez lui. Avant, l’élément central, c’était l’organe de gestion des soins. Aujourd’hui, c’est le patient. Ce n’est évidemment pas l’informatique qui va apporter toutes les solutions à ce changement, mais on peut, grâce aux technologies et à la R&D, fournir une partie des outils pour ce modèle hospitalier changeant, pour le rendre vivable.

Ça rend le défi enthousiasmant. Car en informatique, si vous voulez rester au goût du jour, il vous faut au moins 5 ans d’avance. Il faut prévoir et répondre aux demandes des hôpitaux avec une solution opérationnelle au moment où ils font face au problème. Il faut réussir à anticiper et précéder les évolutions du marché et il va y en avoir énormément. Ce n’est jamais nous qui allons le driver, mais l’accompagner, le soutenir.

En synthèse, l’environnement vous est plus que favorable. Vous vous étiez fixé de quitter la politique avant 40 ans, à quel âge alors estimez-vous que vous aurez fait votre temps en tant que patron d’entreprise ?

(rires) J’ai compris que dans une vie il ne faut jamais dire jamais et donné des perspectives qu’on ne peut pas tenir. Ici, le défi sera longue haleine parce que les investissements en informatique prennent du temps, que l’évolution des hôpitaux est essentielle pour les années à venir. Donc je vois mon futur ici.

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