Pub-chocs : la présence des people est-elle un plus ?

Sportifs, acteurs, politiciens : de plus en plus de people (pas toujours consentants !) prêtent leur image à des campagnes publicitaires. Avec quelle efficacité ?

Rocco Siffredi, star du X, condamnant la pornographie enfantine, à l’initiative de Child Focus. Jean-Claude Van Damme opposant un non catégorique au commerce de la fourrure, pour le compte de Gaia. Marine Le Pen, François Bayrou et Nicolas Sarkozy, tous les trois en phase terminale dans leur lit d’hôpital, censés booster la réflexion, en France, sur l’euthanasie. Et notre Elio di Rupo national, en otage de trois mafieux pro-nucléaires d’Electrabel, dénoncés par Greenpeace. Les deux premiers ont prêté volontairement (et gracieusement) leur visage pour la défense d’une cause en laquelle ils croient. Les autres, à leur corps défendant, ont vu leur image détournée par des photos montages, ou leur petite personne habilement rejouée par des comédiens, afin de donner plus de poids à divers messages… On ne compte plus, depuis qu’existe la publicité, le nombre d’affiches ou de spots mettant en scène une idole du sport ou de la scène : Eddy Merckx, Tia Hellebaut, Tom Boonen, Sandra Kim, Johnny Hallyday ont ainsi vanté, respectivement, les mérites de la poudre Ariel, du Pizza Hut, de l’essence Q8, des saucisses Mora ou des lunettes Optic 2000, en déclinant (souvent) l’humour au second degré – et en empochant quelque sou pour leur peine au passage. Les politiques, eux, sont rarement consentants. Ils peuvent même ne pas l’être du tout, comme l’a fait savoir – dans la foulée, seulement, des vives critiques émises par Joëlle Milquet et Didier Reynders – le Premier ministre lui-même, en condamnant, par la diffusion d’un communiqué du PS,  » la récupération de son image par Greenpeace, qui dupe les citoyens par des procédés de plus en plus douteux. « 

La chevelure d’ébène, le noeud pap’, la voix chevrotante haut perchée et le prénom  » Elio « , inscrit dans le slogan final, ne laissent, eux non plus, aucune place au doute :  » Ce n’est pas la personne du Premier ministre qui est visée, assure Michel Genet, directeur général de Greenpeace Belgique, mais l’ensemble de nos gouvernants. On aurait pu prendre des sosies de Leterme ou Dehaene, mais c’était un peu moins évident…  » S’il n’est pas dépourvu d’humour (les glouglous désespérés du Premier quasiment noyé, la pointe de ses souliers vernis qui rayent le sol…), le petit film, très caricature de série B, a surtout interpellé par sa vraie/fausse violence. C’est par ce biais qu’il entendait d’abord frapper les esprits.  » A côté de l’usage de l’humour et du sexe, la technique des publicités-choc est bien connue, constate Michael Ghilissen, professeur de marketing et de stratégie à HEC-ULg. Elle produit des résultats généralement significatifs.  » Les campagnes Benetton en lien avec le sida, le soft-porno des jeans Calvin Klein, les bronches gravement nicotinées du lobby anti-tabac, les clichés réalistes d’accidentés en bordure d’autoroute… tout ça n’a pas d’autre but que de choquer,  » par effet de surprise, par la violation des normes sociales attendues « . Objectif ? Obtenir, in fine, une modification du comportement du public. La  » sordide  » (ou ou , selon les avis) mise en scène de Greenpeace (conçue par le bureau Absoluut), ne pas autrement. Sauf qu’il s’en dégage un second message, peut-être plus sournois :  » On y voit un di Rupo à la solde de ses bourreaux : donc faible, en un sens, et incapable de prendre ses responsabilités, à savoir, respecter la loi de « sortie du nucléaire » telle que prévue dans l’accord gouvernemental « , estime le Pr Ghilissen.

Mais… est-ce que ça  » fonctionne  » ? Le danger de toute pub est d’en faire trop :  » Celles axées sur l’humour recourent systématiquement à des stéréotypes… qui blessent toujours quelqu’un. Celles qui font appel à l’érotisme risquent, elles, de heurter les femmes. Avec les pubs chocs, on peut vite aller trop loin dans le mauvais goût, l’inconvenant, l’outrageant, l’inacceptable. On perd alors en efficacité : les gens se bloquent, et se retournent finalement contre le message de base.  » Aucun danger, apparemment, avec le clip Greenpeace :  » Au lendemain de sa diffusion, un sondage internet a montré que 66% des francophones ne s’estimaient pas choqués par notre pub, assure Genet. En Flandre, le taux a même grimpé au-delà des 80 %.  » Il n’empêche : des employés d’Electrabel ont jugé le clip désobligeant, et le jury d’éthique publicitaire a instruit un dossier… Qu’elles emploient ou non des people, les publicités sont généralement testées au préalable, vu l’investissement financier qu’elles représentent. Le directeur de Greenpeace assure que ce ne fut pas le cas ici, faute de moyens :  » Le budget mondial de l’organisation, 220 millions d’euros, équivaut à celui du marketing de McDo France ! On a donc intérêt à être un peu… créatif et provocateur ! » Aux dernières Pâques, un autre spot Greenpeace, tourné avec Melchior Wathelet, n’avait pas eu le retentissement de la version « torturante  » avec di Rupo. L’ambiance glauque semble donc avoir porté ses fruits.  » Le message (uniquement informer et faire réfléchir, ici, pas inciter à occuper une centrale nucléaire !) est incontestablement passé « , assure Ghilissen. Geenpeace, de son côté, affirme sa satisfaction.  » Nous voulions qu’on parle plus du nucléaire dans les médias, qu’il sorte un peu des cénacles. Sans le clip, on n’aurait pas eu ce buzz « . Certes. Mais le ramdam n’est pas tout, rappelle le spécialiste en marketing, et il ne garantit jamais, à lui seul, le succès.  » Contrairement à ce qu’on croit, la pub ne fait pas vendre : elle crée de la notoriété, elle fait juste démarrer un processus. Après, faut voir la compétence du vendeur… » Pas sûr que cela consolera un di Rupo supplicié !

Valérie Colin

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