Marie-Christine Marghem © Belga

Prolongation de Doel : « c’est le jackpot pour Electrabel », selon l’opposition

Les négociations entre l’État belge et Electrabel autour de la prolongation des installations nucléaires Doel 1 & 2 jusqu’à 2025 sont bouclées, a annoncé mercredi la ministre de l’Énergie, Marie Christine Marghem. La contribution du secteur nucléaire que les gestionnaires comme Electrabel et EDF Luminus doivent verser à l’Etat, sera revue.

La ministre se réjouit d’avoir pu « trouver une solution équilibrée pour la redevance à verser à l’État en contrepartie de la prolongation de Doel 1 & 2 ainsi que pour la contribution globale du secteur nucléaire ».

La redevance et la contribution nucléaires seront fixées dans un projet de loi qui sera déposé à la rentrée parlementaire. L’État belge a fixé le montant de la contribution de répartition nucléaire en se basant sur l’étude de la CREG (Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz) du 12 mars dernier, évaluant le bénéfice nucléaire pour 2014 à 434 millions d’euros, et en tenant compte de la production et de la tendance structurelle à la baisse des prix de l’électricité sur les marchés de gros.

Electrabel et EDF Luminus devaient déjà verser cette contribution controversée les années passées. Au terme des négociations, un montant forfaitaire de 200 millions d’euros est notamment prévu pour cette année alors que pour le budget 2016, un montant forfaitaire de 130 millions d’euros est annoncé.

Ces montants sont largement en baisse par rapport à l’an dernier notamment, lorsque 469 millions d’euros avaient été réclamés, somme à laquelle s’opposent encore les groupes énergétiques.

La Cour des comptes, à la suite d’un rapport de la CREG, avait d’ailleurs mis en garde le gouvernement contre une surévaluation de la recette tirée de la rente nucléaire, fixée à 405 millions dans le budget 2015. Elle rappelait que les bénéfices avaient fortement baissé par l’effet combiné de la baisse du prix de l’électricité en Belgique et de l’arrêt, pour raisons de sécurité, de plusieurs centrales nucléaires.

Aux contributions s’ajoutent 100 millions d’euros pour 2015 et 20 millions d’euros pour 2016 à la suite d’une transaction entre l’Etat belge et Electrabel pour clore un litige portant sur les prélèvements imposés pour la non-utilisation des sites de production en vertu d’une loi du 8 décembre 2006.

Les années suivantes, la contribution ne sera plus forfaitaire mais variable. « A partir de 2017, l’État belge revoit la contribution de répartition selon une formule qui tient compte de l’évolution des coûts, du volume de production et du prix de l’électricité, le prélèvement s’établissant à 40% de la marge », détaille le cabinet de la ministre Marghem.

Dès 2016 et pour une durée de dix ans, Electrabel s’acquittera en outre d’une redevance versée en contrepartie de la prolongation de Doel 1 & 2, à hauteur d’un montant forfaitaire de 20 millions d’euros par an. Ce montant alimentera le fonds de transition énergétique. « Ce fonds servira à encourager la recherche et le développement dans des projets innovants dans le domaine de la production et du stockage d’énergie », précise la ministre.

Si l’on additionne l’ensemble des montants, cela représente un total de 300 millions d’euros pour cette année et de 170 millions pour l’an prochain.

L’accord dénote une capacité de négociation très relative de Marghem

La députée socialiste Karine Lalieux, membre de la commission de l’Economie de la Chambre, a estimé mardi qu’Electrabel était sorti grand vainqueur de la négociation avec le gouvernement sur les modalités de la prolongation des centrales nucléaires de Doel 1 et 2.

« Avec Marie-Christine Marghem, on allait voir ce qu’on allait voir dans les négociations avec Electrabel. Et bien, on voit: c’est le jackpot pour l’entreprise », a commenté l’élue de l’opposition socialiste mercredi midi. Karine Lalieux a fait observer que la rente de 550 millions d’euros passerait à 150 millions d’euros en 2016 ce qui est « bien joué pour des centrales amorties, et déjà payées par les consommateurs belges ».

Pour elle, les 20 millions d’euros fixés pour la contribution d’Electrabel pour la prolongation de Doel 1 et 2 dénotent « une capacité de négociation très relative » dans le chef de la ministre de l’Energie Marie-Christine Marghem.

Le conseil d’administration d’Engie avalise l’accord de principe

Le conseil d’administration d’Engie, la maison-mère d’Electrabel, a avalisé mercredi après-midi le projet d’accord conclu entre le gouvernement belge et Electrabel sur la prolongation des installations nucléaires de Doel 1 et 2 jusque 2025, a-t-on appris mercredi soir auprès d’une porte-parole de la société.

La ministre de l’Energie Marie-Christine Marghem avait rendu public mercredi matin l’accord de principe, parlant d’une « solution équilibrée ». La contribution que les exploitants de centrales nucléaires -Electrabel et EDF Luminus- doivent verser à l’Etat a été divisée de plus de moitié. Un projet de loi sera déposé devant le parlement à la rentrée.

D’après l’accord, Electrabel payera 300 millions d’euros à l’Etat belge cette année (une contribution nucléaire forfaitaire de 200 millions d’euros combinée à une transaction pour un montant de 100 millions d’euros relative à un litige portant sur les prélèvements imposés pour la non-utilisation des sites de production). En 2016, le montant sera de 170 millions d’euros: 130 millions via la contribution nucléaire, auxquels il faut ajouter 20 millions relatifs au litige sur les sites non-utilisés et 20 autres millions versés en contrepartie de la prolongation de Doel 1 et 2 (montant forfaitaire annuel).

A partir de 2017, l’Etat belge reverra la contribution de répartition « selon une formule objective qui tient compte de l’évolution des coûts, du volume de production et du prix de l’électricité », indique Engie. La marge sera prélevée à hauteur de 40%.

Engie assure mercredi soir qu’il investira en conséquence pour la prolongation de 10 ans de ses centrales: 600 millions d’euros à Tihange 1 et 700 millions d’euros à Doel (sous réserve de l’accord de l’Agence Fédérale de Contrôle Nucléaire concernant la prolongation des deux unités).

Un accord qui détricote les acquis du gouvernement précédent, selon le cdH

Le cdH a dit mercredi sa stupéfaction devant l’accord négocié par la ministre de l’Energie, Marie-Christine Marghem, et Electrabel. Selon les centristes, les acquis du gouvernement précédent, dont le cdH faisait partie, ont été détricotés.

« C’est un jour historique: pour la première fois, un gouvernement a négocié directement le montant d’un impôt – forfaitaire d’abord, proportionnel à partir de 2017 – avec le contribuable concerné. Et le gouvernement semble fier de l’annoncer, c’est hallucinant », a souligné le député Michel de Lamotte.

Le cdH s’étonne de la réduction de la rente annoncée entre 2015 et 2016 (de 200 millions d’euros à 130 millions d’euros) ainsi que du pourcentage de la marge bénéficiaire retenu pour établir la contribution variable à partir de 2017, à savoir 40%. Sous la législature précédente, le gouvernement avait fixé un pourcentage de 70% sur les recettes après que les propriétaires des centrales aient conservé 6,4 euros par mégawatt/heure.

Les centristes pointent du doigt la construction juridique de la nouvelle contribution.

« Si cette contribution est construite comme un impôt sur la marge bénéficiaire des producteurs, elle s’ajoutera à l’impôt des sociétés et sera automatiquement considérée comme une double taxation du même revenu, contrairement à une redevance », font-ils remarquer. Ils épinglent aussi le forfait de 20 millions d’euros pour la prolongation de Doel 1 et 2 qui ne tient pas compte du prix de l’électricité. « L’Etat se prive donc sans doute de recettes plus importantes ».

« Cette négociation au rabais avec le producteur d’électricité contraste violemment avec les augmentations d’accises, de TVA et d’autres taxes indirectes décidée par le gouvernement fédéral. C’est le tax shift inversé: on allège l’impôt de ceux qui ont capté la rentre nucléaire pour alourdir l’impôt de ceux qui l’ont financée! Alors que la taxation de la rente devrait permettre un retour vers le consommateur-citoyen, c’est exactement l’inverse que décide donc le gouvernement en l’espace d’une semaine », conclut le cdH.

Electrabel gagne le « win for life », dénonce Ecolo

La convention conclue avec Electrabel traduit une victoire de l’opérateur électrique sur l’Etat belge, dénonce Ecolo qui redoute l’étouffement de toutes les solutions de rechange à l’énergie nucléaire dans les années à venir.

« Tout cela s’apparente à un win for life pour Electrabel qui ne devra verser que 20 millions d’euros par an pendant dix ans pour prolonger les deux centrales », a souligné le chef de groupe des Verts à la Chambre, Jean-Marc Nollet.

Le député voit dans la convention tous les contours d’une aide d’Etat. Il demande donc que la Commission européenne puisse se prononcer afin de valider la rétribution telle qu’elle a été établie.

Plus généralement, les Verts jugent l’ensemble du dispositif trop généreux pour le secteur nucléaire. « Cela confirme ce que l’on craignait. La ministre s’est agenouillée devant Electrabel, elle a refusé toutes les alternatives qu’on lui proposait et, au final, Electrabel gagne dans des conditions telles que toutes les alternatives seront étouffées pendant dix ans », a ajouté M. Nollet.

Ecolo attend de voir le projet de loi qui sera déposé à la rentrée mais redoute déjà que les dispositions importantes de la convention conclue avec Electrabel ne demeurent secrètes. Il demande que la convention conclue soit rendue publique.

Groen s’étonne quant à lui du « transfert gigantesque de prospérité vers Paris » (où se trouve le siège d’Engie, maison-mère d’Electrabel). Le député Kristof Calvo attend des partis flamands de la majorité qu’ils ne laissent pas l’accord passer la rampe du parlement. « J’attends certainement cela de la N-VA, vu sa grande sensibilité au problème des transferts », a-t-il ajouté.

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