Prépensions : la conjuration des imbéciles

C’est entendu, un contrat est un contrat. Les travailleurs âgés qui ont accepté, souvent par égard envers leurs collègues plus jeunes, de partir à la prépension parfois dès… 52 ans ne l’ont pas toujours fait de gaieté de coeur. Nombreux sont ceux qui auraient voulu poursuivre leur activité. Et Etat, syndicat et patronat se doivent de garantir un minimum la parole donnée.

Reste que la situation ne s’annonce pas rose pour l’équilibre du budget des pensions. Et que depuis 25 ans, patrons et syndicats se sont accordés pour éviter les licenciements secs et la casse sociale largement sur le dos de l’Etat et de la sécurité sociale. Alors que depuis au moins dix ans, on tire la sonnette d’alarme à propos de la folie des prépensions sachant que les dépenses de sécurité sociale ont été multipliées par cinq en 30 ans, la moitié étant imputable au vieillissement. D’ici 2060, ce sont 20 milliards de dépenses supplémentaires à prévoir, soit la totalité du mal nommé Fonds argenté dépensée en moins d’un an.

Le taux d’activité des 55-65 ans belges est, en effet, un des plus bas d’Europe sans qu’en contrepartie, le taux d’activité des moins de 25 ans soit particulièrement reluisant, brisant en cela un des nombreux mythes qui entourent les prépensions, à savoir que débarquer les seniors crée de l’emploi pour les plus jeunes. En réalité, les deux courbes évoluent hélas plutôt en parallèle. Les uns et les autres ne sont pas interchangeables et en alimentant cette idée, on ne fait pas honneur aux plus âgés, les rendant en quelque sorte responsables du chômage des plus jeunes. Le départ massif du marché du travail des plus de 55 ans contribue au contraire à diminuer l’assiette des cotisations et reporter l’effort sur les travailleurs actifs[1].

« Lorsqu’en 2050, l’espérance de vie des personnes de 65 ans sera encore de 24 ans, il est inutile d’espérer arrêter de travailler à 59 ans, âge actuel effectif de départ à la retraite. Le système par répartition serait condamné. D’autant que le rapport entre actifs (20-60 ans) et population dépendante (les moins de 20 ans et les plus de 60 ans) s’est détérioré et s’aggravera encore à politique inchangée dans les années qui viennent.

Il faudrait selon des experts européens faire passer le taux d’emploi des 55-59 ans belges de 50% à 75% entre 2010 et 2020 et de… 18,79% à 50% pour les 60-64 ans (ceux-ci sont en effet plus de 80% à être sortis du marché du travail).

La poursuite de la politique de départ anticipé à la retraite serait donc suicidaire. Réactiver les prépensionnés va donc dans le bon sens, dans la mesure où c’est éthiquement possible.

Mais encore faudrait-il que les employeurs le souhaitent. Or, les travailleurs seniors conjuguent pas mal de handicaps. En Belgique, la courbe salariale évolue terriblement à la hausse à partir de 50 ans. Et les cotisations sociales également. Le gap brut-net est grandissant en fonction de l’âge. Les seniors coûtent très cher. Si on fixe à l’indice 100, la rémunération des 30-34 ans, les 60-64 ans belges touchaient en moyenne en 2006 un salaire de 140. Contre un peu plus de 80 dans l’Union européenne. Suède et Finlande qui connaissent une faible progressivité des salaires selon l’âge parviennent à des taux d’emploi des seniors plus élevés. CQFD.

Au surplus, en Belgique, il n’existe quasi pas de bonus-malus (incitants à rester sur le marché du travail et sanctions quand on le quitte prématurément) contrairement à la Suède ou l’Allemagne, cette dernière offrant un bonus de 8% par année supplémentaire travaillée après 65 ans versus un malus de 3,6% par année de départ anticipé avant 65 ans.

Notre pays est également très généreux en assimilant chômage, prépension, études, congé-maladie,… à des périodes travaillées. Selon le Pr Jean Hindriks[1], ces périodes dites « assimilées » représentent 30% de la masse totale des pensions. A partir de 50 ans, elles représentent une proportion équivalente aux périodes d’activité et à partir de 60 ans la quasi-totalité.

Les travailleurs âgés sont donc de plus en plus chers au fur et à mesure qu’ils avancent en âge, tout en ayant un niveau de scolarisation moins élevé, ce qui les rend encore plus vulnérables au licenciement.

Patrons, syndicats et gouvernement forment une u0022 conjuration des imbécilesu0022 et sont, chacun à leur niveau, responsables de l’exclusion des seniors du monde du travail

Pour le Pr Hindriks, patrons, syndicats et gouvernement forment donc une sorte de « conjuration des imbéciles » et sont, chacun à leur niveau, responsables de l’exclusion des seniors du monde du travail : l’employeur de par sa politique du personnel, l’Etat de par le traitement juridique de l’emploi et des pensions et les syndicats qui se battent pour maintenir des conditions de salaire et de licenciement toxiques aux travailleurs âgés. Pourtant, ceux-ci sont 53% à affirmer qu’ils seraient prêts à continuer à travailler via un aménagement de leur temps de travail.

Car les formules ne manquent pas : pension flexible (à mi-temps à 60 ans et à plein temps à 65), système à points (un point par année travaillée vaut 336 euros en Allemagne par exemple), aménagement du lieu de travail vers moins de pénibilité, et bien sûr, développement des pensions complémentaires avec la certitude qu’on ne nous les piquera pas dans 20 ans pour renflouer le système actuel de retraite.

Les solutions existent, mais elles sont basées sur la confiance et donc sur la stabilité des réglementations, ce qui n’est pas vraiment le cas actuellement dans notre pays. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

[1] Lire Jean Hindriks, « Quel avenir pour nos pensions ? Les grands défis de la réforme des pensions« , Editions De Boeck, 2015. La plupart des chiffres cités ici sont tirés de cet ouvrage.

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