Une intervention chirurgicale dans un hôpital aux moyens sommaires à Bangui, en République centrafricaine : c'est le quotidien des médecins en situation d'urgence. © Tomas Sebek

Première belge : former à la médecine de guerre et post-attentats

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Trois universités – UCL, ULB et ULiège – s’associent à Médecins sans frontières pour lancer un diplôme inédit en chirurgie humanitaire. Pour répondre à une pénurie de vocations. Et avoir une réserve, en cas d’attentat ou de catastrophe.

Raymond Reding a 58 ans et une curiosité débordante sur le plan médical. Ce chirurgien pédiatrique de formation termine peu à peu une belle carrière : il est chef de service du département de chirurgie digestive et transplantation aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles.  » Une activité très spécialisée, de la médecine occidentale de pointe « , sourit-il. Mais l’homme aime apprendre, sans cesse, et partager son savoir par-delà les frontières. Il voyage régulièrement au Vietnam pour y contribuer à l’amélioration des soins. C’est donc tout naturellement qu’il s’est investi, depuis deux ans, dans une belle aventure qui se concrétise aujourd’hui : la création d’un certificat interuniversitaire en chirurgie humanitaire. Une première en Belgique, qui fédère les énergies de l’UCL, de l’ULB, de l’ULiège et de Médecins sans frontières (MSF). Et qui accueillera trente étudiants, dès ce mois de novembre.

Une pénurie de chirurgiens belges

 » L’histoire est très simple, raconte Raymond Reding. Tout a débuté un peu par hasard en janvier 2016, quand j’ai été invité par MSF Belgique à modérer une séance d’information de ses activités de chirurgie humanitaire à destination de médecins belges. C’est une ONG dont je respecte énormément le travail de terrain, je ne pouvais pas refuser.  » Au cours des débats, les quarante personnes présentes identifient plusieurs obstacles à la participation des chirurgiens aux missions humanitaires.  » Il y a la disponibilité parce qu’il faut partir six semaines et ce n’est pas aisé d’abandonner ses patients aussi longtemps, résume Raymond Reding. Les aspects de sécurité, aussi : à ce moment-là, l’hôpital MSF de Kunduz, en Afghanistan, venait d’être bombardé, causant une trentaine de morts. Un traumatisme. Et enfin, la compétence. Là, nous pouvions agir. J’ai pris conscience qu’il fallait former des étudiants à la médecine de guerre. Nous, chirurgiens belges, sommes souvent hyperspécialisés dans des domaines très pointus. Mais nous ne sommes pas formés à exercer des pratiques médicales extrêmement polyvalentes dans un contexte humanitaire.  »

Pendant plus d’un an, des chirurgiens habitués au terrain et des universitaires se sont réunis pour construire ensemble un nouveau programme de cours contenant des modules de chirurgie de guerre, totalement absente des cours universitaires de nos jours, mais aussi des formations d’obstétrique, de chirurgie pédiatrique, avec des notions de balistique. Le tout à pratiquer dans les conditions précaires d’une mission en zone de crise, sans scanner, ni aucune de ces technologies de pointe largement présentes dans nos pays. La première saison de ce certificat interuniversitaire, en anglais, a été rapidement sold out, preuve de l’intérêt pour cette orientation nouvelle.

 » Nous sommes extrêmement demandeurs, déclare Sebastian Spencer, directeur médical de MSF Belgique, qui fut un des élèves de Raymond Reding à l’UCL. En raison de la surspécialisation actuelle en chirurgie, les jeunes diplômés n’ont plus les mêmes capacités généralistes que leurs aînés. Or, chez nous, le besoin est plus criant que jamais. Sur les 150 chirurgiens de la réserve à laquelle nous faisons appel pour répondre aux besoins sur le terrain, sept seulement sont Belges. C’est très peu. On peut parler de pénurie : pour certaines missions, nous avons des difficultés à trouver des chirurgiens disponibles.  » La formation fournira à MSF une réserve nouvelle et bienvenue.  » Nous espérons qu’elle fera naître des vocations « , s’enthousiame son directeur médical.

Une expertise utile en cas d’attentat

Ce certificat interuniversitaire a une autre vertu potentielle, à l’heure où nos contrées sont à nouveau confrontées à des attentats qui provoquent des blessures de guerre.  » L’effet secondaire, c’est en effet d’avoir, en Belgique, un certain nombre de médecins ayant une expertise en matière de chirurgie de guerre, acquiesce Raymond Reding. Le monde est devenu dangereux, un attentat peut malheureusement survenir à tout moment. A l’occasion des attaques de Paris ou de Bruxelles, nous avons été confrontés à des blasts(NDLR : lésions organiques provoquées par l’onde de choc d’une explosion), des plaies par balles… autant de blessures auxquelles nous n’étions plus habitués et qui nécessitent une approche chirurgicale particulière. Le patient a parfois traîné deux heures au bord de la route, sa température corporelle a chuté, il faut arrêter l’hémorragie, avant de le réanimer, puis le réopérer. Cette approche, que l’on appelle le damage control, on ne la connaît plus bien.  »

De là à dire qu’il s’agissait d’une lacune criante le 22 mars 2016.  » Je ne pense pas que l’on puisse parler de lacune, tempère Raymond Reding. Les chirurgiens ont fait de l’excellent boulot ce jour-là. Mais on pourrait avoir davantage de professionnels spécialisés dans ces domaines. Cette formation offrira une expertise utile pour les centres de traumatologie que la ministre de la Santé, Maggie De Block, va créer chez nous. A Paris, il y en a quatre. En Belgique, c’est une très bonne chose que l’on y songe aussi. Imaginez qu’un avion s’écrase à Zaventem : c’est un accident auquel nous ne sommes pas assez préparés.  »

En choeur, le professeur et l’élève soulignent à quel point ils sont heureux qu’une telle formation permette, en outre, de revenir à  » une chirurgie qui retourne à l’essentiel « , à la médecine d’Hippocrate.  » Dans la chirurgie humanitaire, le médecin travaille simplement avec sa bouche, ses oreilles et ses dix doigts, relève Raymond Reding. J’ai fait récemment une mission à Bujumbura et cela m’a marqué : c’est une médecine proche du malade, on va le voir, on l’interroge, on l’examine et on prend des décisions. En lieu austère, on n’a pas le choix ! C’est une démarche très inspirante, féconde pour les étudiants.  »

 » Nous sommes, nous, médecins des pays occidentaux, extrêmement privilégiés, prolonge Sebastian Spencer. Et nous avons parfois tendance à oublier que nous travaillons dans d’excellentes conditions. Or, à quelques heures d’avion à peine, on se retrouve en Syrie ou en Sierra Leone où l’accès aux soins est extrêmement précaire.  »

A les entendre, une question vient immanquablement aux lèvres : comment une telle formation n’existait-elle pas encore ?

www.humanitarian-surgery.be

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