© Johan Jacobs

Pourquoi vous n’avez pas le réseau routier pour lequel vous payez: « Les politiques espèrent que la catastrophe se produira après leur carrière »

Pendant des décennies, la Belgique a trop peu investi dans les infrastructures. Les conséquences apparaissent maintenant : il y a des débris qui tombent dans les tunnels et les routes sont dans un état lamentable. C’est l’histoire d’un état défaillant qui nourrit l’ambition d’être le pivot logistique de l’Europe. « Les tunnels bruxellois ne sont que la partie émergée de l’iceberg. »

Début novembre, une automobiliste a eu la peur de sa vie quand un bloc de béton de deux mètres sur un est tombé dans le tunnel Rogier. La conductrice était indemne, mais sa voiture était déclarée en perte totale. Si Inge Paemen, la porte-parole de Bruxelles Mobilité affirme que cet incident ne peut pas se reproduire à court terme, ce n’était pas le premier accident de ce genre, ni le dernier.

En janvier 2015, deux morceaux de plafond se sont détachés dans le tunnel Léopold II qui passe sous la basilique de Koekelberg. Début janvier 2016, il s’est avéré qu’il y avait des fissures dans le béton du tunnel Stéphanie qui passe sous la Place Louise. En raison de la perte de stabilité et du danger d’effondrement, le tunnel a été fermé pour un an. Un rapport d’inspection des tunnels bruxellois dévoilé la semaine dernière fait état de problèmes de stabilité dans 8 tunnels étudiés sur 26 et de « béton sonnant creux ». Jan Bosschem, CEO de l’Organisation professionnelle des bureaux d’ingénierie et de consultance en Belgique (ORI), estime que l’ampleur du problème est beaucoup plus importante. Et il est loin d’être le seul de cet avis.

La plupart des tunnels bruxellois ont plus de 50 ans. Six tunnels ont été inaugurés à l’époque de l’Expo 58. Ils devaient décongestionner les grands carrefours. Le tunnel Léopold II, où des fragments sont tombés l’année passée, est beaucoup plus jeune : il n’a été inauguré qu’en 1986. Le tunnel Belliard et le tunnel de l’OTAN sont encore plus récents. Les tunnels bruxellois, certainement ceux de la petite ceinture, jouent un rôle clé pour la fluidité – relative – de la circulation. Quotidiennement, le tunnel Léopold II voit passer 65 000 voitures.

Bien que les tunnels soient souvent fermés, c’est rarement pour des entretiens de fond, généralement reportés aux calendes grecques. En témoigne le tunnel Léopold II, d’une longueur de 2534 mètres. C’est le plus long tunnel du pays et il est clair depuis longtemps qu’il est en mauvais état. Il y a quatre ans, la Région bruxelloise avait envisagé de rénover le tunnel entre 2014 et 2018 avant de charger une firme privée de l’entretenir. Rien n’a été fait. Le prix élevé, chiffré à l’époque à 105 millions d’euros, a contribué à mettre le projet au frigo. Les embarras de circulation entraînés par une fermeture du tunnel ont également fait reculer les politiques.

« Évidemment que le gouvernement sait qu’un entretien fréquent est le meilleur moyen d’éviter le délabrement et la détérioration » estime Bosschem. « Et pourtant, ce n’est pas fait. Je ne vois pas de vision à long terme pour entretenir notre infrastructure publique. Il n’y a pas de projets d’entretien. Dans les budgets, on ne prévoit pas de réserves pour les réparations. La corrosion du béton ne touche pas uniquement les tunnels, mais aussi les structures de concertation belge. Les tunnels bruxellois ne sont que la parte émergente de l’iceberg. »

La Confédération Construction flamande a déjà indiqué que le budget nécessaire à l’entretien, les réparations et les rénovations est généralement sous-estimé. Pour une période de 30 ans, 70% du budget va à la construction elle-même, le reste doit suffire pour les grosses réparations, l’entretien et les frais de fonctionnement. « Ah » soupire Bosschem, « les politiques trouvent les nouveaux projets ou les rénovations globales pus sexy qu’un plan d’entretien approfondi. C’est souvent ‘après moi, le déluge’. Ils espèrent que la catastrophe aura lieu après leur carrière. »

Failed state

Le classement de la compétitivité de 140 pays établi chaque année par le forum économique mondial démontre que notre infrastructure recule. En matière d’infrastructure publique, la Belgique obtient de piètres résultats. En 2008, on était classé en 16e position, les Pays-Bas étaient douzièmes. Entre-temps, on a dégringolé de 5 places, la Belgique est 21e alors que les Pays-Bas ont remonté et figurent en 10e position.

Wim Moesen, professeur en finances publiques à la KUleuven sait pourquoi on recule: « Parce que les gouvernements mènent une politique budgétaire paresseuse. On économise sur les investissements publics, on n’investit presque pas dans les nouvelles routes ou dans l’entretien de routes existantes, ni en éclairage, ni en pistes cyclables ou en écoulement des eaux. En matière d’économies, les politiques belges choisissent la solution de la facilité, mais c’est celle de la moindre intelligence. La baisse d’investissements publics a entraîné une infrastructure inférieure. »

« Un pays civilisé consacre 3% de son produit intérieur brut aux investissements publics » déclare Moesen. « Ce n’est pas un hasard si l’Union européenne autorise un déficit de 3% sur le budget. Et combien de pour cent consacrons-nous aux investissements publics ? Tous nos gouvernements réunis ne dépensent que 1,7% du PIB. À long terme, cela se retournera contre eux. »

Fons Verplaetse, chef de cabinet du premier ministre Wilfried Martens à partir de 1982 et gouverneur de la Banque Nationale entre 1989 et 1999, a assisté à ce manque d’investissements depuis le premier rang. « Dans les années septante et quatre-vingt, l’état investissait entre 3 et 3,5 % du PIB en infrastructure. Au début des années 90, ce budget s’est réduit de moitié en quelques années. On devait absolument atteindre les normes de Maastricht pour pouvoir instaurer l’euro. Donc il fallait baisser les dépenses publiques. Quelle est la façon la plus facile de réduire les dépenses publiques? Baisser les revenus ou ne pas réparer une route » demande Verplaetse. « Les politiques ont toujours admis que l’insatisfaction de l’électeur serait moins grande s’ils diminuent les investissements en infrastructure, au lieu de toucher aux indemnités ou aux subsides. »

Nos pays voisins dépensent-ils tellement plus en infrastructure? L’OCDE a publié des chiffres affligeants : alors qu’au cours de la période 2010-2014, la Belgique n’a investi que 1,7% de son PIB en infrastructure, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, ce chiffre s’élevait à 2,2% en moyenne. La comparaison avec le Danemark, la Finlande et la Suède est encore plus douloureuse : ils sont à 3,5%. Depuis 25 ans, nos investissements en infrastructure sont en retard par rapport aux autres pays d’Europe.

Quand on pense que la Belgique possède les dépenses publiques parmi les plus élevés du monde, il faut bien conclure que le contribuable belge ne reçoit pas l’infrastructure pour laquelle il paie. Cela ne concerne d’ailleurs pas uniquement les routes et les tunnels. Il y a toute une série de bâtiments publics, le Palais de Justice de Bruxelles par exemple, en état de ruine suite à un manque d’entretien et d’adaptations. Après les attentats terroristes de Paris, la Belgique a souvent été traitée de « failed state », un état défaillant, parce que note pays manquait à ses devoirs politiques et administratifs et parce que la police et la justice ont commis de grosses erreurs. La négligence affichée à l’égard de notre réseau routier ne fait que renforcer cette image.

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