© Xavier Truant

Pourquoi un malade de longue durée peut bel et bien être licencié

Remettre un maximum de malades de longue durée au travail: c’était l’intention du gouvernement Michel quand il a lancé les trajets de réintégration fin 2016. Un an et demi plus tard, cette politique semble avoir causé l’effet inverse : beaucoup d’employés malades sont licenciés, et sont à la fois malades et au chômage.

Si vous ne pouvez travailler parce que vous êtes malade, votre employeur n’a pas le droit de vous licencier. C’est du moins ce que pensent beaucoup de gens. En réalité, les employés malades en Belgique ne sont pas protégés d’un licenciement. La conséquence, c’est qu’aujourd’hui des milliers de Belges sont à la fois en congé maladie et au chômage. On ignore leur nombre exact. « Nous connaissons le nombre de chômeurs demandeurs d’emplois et de bénéficiaires d’une indemnité de maladie, explique la juriste Miet Vanhegen (KULeuven) qui travaille à un doctorat sur la réintégration de malades de longue durée sur le marché du travail. « Mais nous ne savons pas combien de personnes ont quitté leur employeur suite à une maladie ni ce qu’il advient d’eux après. » Ils ont en tout cas beaucoup de mal à trouver un nouvel emploi. « Postulez un peu avec un trou de cinq ou dix ans dans votre CV », dit-elle.

Toutes les personnes malades sans contrat de travail n’ont pas, pour autant, été licenciées durant leur congé maladie. « Il y a aussi des personnes qui étaient déjà au chômage avant de tomber malades ou qui avaient un contrat temporaire. D’autres sont victimes d’une dépression ou de surmenage après avoir été licenciés », déclare Rudy Desiron, médecin-conseil de la mutuelle chrétienne. En outre, il y a bel et bien des malades qui ont perdu leur travail alors qu’ils récupéraient d’un cancer, de maux de dos persistants ou d’un burn-out. Ou qui ont été mis à la porte le premier jour où ils sont revenus de congé maladie.

« Légalement, la maladie ne peut jamais être une raison de licencier quelqu’un », déclare la professeure Anne Van Regenmortel (Université d’Anvers), spécialisée en droit de la sécurité sociale. « Cependant, cela ne signifie pas qu’un employeur n’ait pas le droit de rompre le contrat de travail d’un employé malade. Il a le droit s’il a une bonne raison. » Si l’employé ne s’acquittait pas dûment de ses tâches avant de tomber malade, par exemple, mais aussi si son absence de longue durée entraîne des conséquences négatives pour l’organisation du travail. Cependant, l’employeur doit alors respecter le délai de préavis légal ou payer une indemnité de préavis. Ill n’y a qu’une seule exception à cette règle : si un malade n’est pas capable de revenir un jour dans l’entreprise, on peut le mettre à la porte sans indemnité de préavis. « Pour cela, un médecin du travail doit décider que la personne concernée est définitivement incapable d’exercer son ancien emploi et qu’il n’est pas possible non plus d’adapter sa fonction », explique Vanhegen. « Si le travail adapté est possible, l’employeur doit partir à la recherche d’un autre emploi au sein de son entreprise. Mais s’il n’en trouve pas, il peut résilier le contrat de travail pour force majeure médicale et il ne doit donc pas payer d’indemnité de préavis. »

Si les employeurs ne réussissent pas toujours à proposer un autre emploi à leurs employés, ce n’est pas forcément une question de mauvaise volonté. Dans les petites entreprises, ce n’est pas toujours évident. « Si un ouvrier qui travaille pour une petite entreprise de cinq employés ne peut plus porter d’objets lourds, je comprends qu’il n’y ait plus de travail pour lui », déclare Herman Fonck de l’ACV. « Mais dans les grandes entreprises, cela ne pourrait pas être un problème. Pourtant, on en décide souvent autrement. »

Appeler un employé malade

Autrefois, les employeurs ne pouvaient pas faire convoquer un employé malade par le médecin du travail afin d’éventuellement le déclarer inapte à son travail. Mais depuis un an et demi, c’est possible, car l’État souhaite mettre un maximum de travailleurs de longue durée au travail par le biais des trajets de réintégration. Cependant, les chiffres du syndicat chrétien flamand révèlent que pas moins de 68% des personnes qui se présentent à un médecin du travail sont déclarés inaptes au travail qu’elles faisaient avant. Rien qu’en 2017, il y avait 11 500 personnes. Beaucoup d’entre eux ont également effectivement été licenciés pour force majeure médicale. Sans indemnités de préavis donc.

Nettoyer la liste de personnel

Pourquoi les entreprises désirent-elles tant se débarrasser de leurs employés malades? « Parfois, c’est uniquement dans l’intérêt de ce membre de personnel malade », déclare Vanhegen. « S’il s’avère qu’il n’est plus capable de retourner chez son ancien employeur, il vaut mieux qu’il parte à la recherche d’un autre travail. Mais à côté de cela, les employeurs veulent de la sécurité aussi. Tant qu’ils ne savent pas si un employé retournera un jour, ils peuvent évidemment difficilement le remplacer. » En outre, les malades de longue durée peuvent toujours coûter de l’argent à leur patron. Même si après un mois il ne doit plus lui payer de salaire, certains avantages extra-légaux, tels qu’une cotisation patronale dans l’assurance-groupe, peuvent continuer.

La longueur de la liste de personnel détermine aussi si une entreprise doit organiser des élections sociales pour la création d’un comité pour la prévention et la protection ainsi qu’un conseil d’entreprise. « Ce n’est pas un hasard si on organise des séminaires juste avant les élections sociales pour apprendre aux employeurs à optimaliser leur fichier personnel, comme ils disent », déclare Fonck. « L’une des possibilités, c’est de résilier le contrat de malades de longue durée, et la nouvelle législation l’a rendu nettement plus facile. »

Mais parfois, c’est l’employé malade qui souhaite se débarrasser de son employeur. En allant voir le médecin du travail de son propre chef, il espère être déclaré inapte pour son ancien emploi. Souvent, il s’agit de gens qui se rendent très bien compte qu’ils ne retourneront jamais dans leur entreprise. Si le médecin interdit à un quelqu’un qui souffre du dos d’encore se tenir sur une échelle, ce travailleur ne peut plus grand-chose pour le laveur de vitres indépendant pour qui il travaille. À côté de cela, il y a aussi des personnes atteintes de burn-out, de dépression ou d’autres affections psychiques, qui aimeraient faire résilier leur contrat. « Très souvent, ces problèmes de santé sont liés à la culture de l’entreprise », déclare Herman Fonck. « Quand quelqu’un a succombé au stress ou à la pression du travail, il craint souvent de revenir auprès du même employeur, même si je me demande si cela suffit pour déclarer quelqu’un définitivement inapte au travail dans cette entreprise. »

À cela s’ajoute qu’il y a aussi des personnes qui veulent être licenciées parce qu’elles ont trouvé un autre travail ou parce qu’après leur congé maladie, elles veulent avoir droit à des allocations de chômage. « Autrefois, ces abus étaient plus fréquents », déclare Vanhegen. « Mais à présent, l’état fait tout pour limiter ces pratiques. »

Beaucoup de gens qui ont longtemps été en congé maladie doivent partir à la recherche d’un nouvel emploi. Et ce n’est pas une sinécure. « Pour commencer, ils n’ont plus l’habitude de postuler », déclare Vanhegen. « En outre, ils peuvent difficilement déterminer ce qu’ils sont encore capables de faire. C’est pour cela qu’ils ont intérêt à demander conseil à un médecin qui leur expliquera comment se remettre à travailler sans mettre leur santé en péril. » S’ils intègrent un trajet de réintégration, il est primordial de reconstruire leur confiance en eux. « Plus ils restent longtemps chez eux, moins ils ont de chances de retourner au travail » déclare le docteur Desiron. « Déjà après trois mois, ce retour se complique. Pas tant parce qu’ils ne veulent plus travailler, que parce qu’ils n’osent pas. Ils ont très peur de ne pas être à la hauteur. » Et c’est évidemment aussi ce qui inquiète les employés potentiels. Que se passe-t-il s’ils engagent quelqu’un qui rechute après un mois et doit rester longtemps chez lui ? » En soi, on n’est pas obligé de déclarer lors d’un entretien d’embauche qu’on a été malade pendant longtemps. Un employeur potentiel ne peut vous interroger sur votre santé », déclare Miet Vanhegen. « Mais si vous n’avez pas travaillé pendant des années, cela soulève des questions. »

Avantages fiscaux

Après, un employeur n’a évidemment pas le droit de discriminer des candidats sur base de leur état de santé, mais ce n’est pas toujours visible. « Il est évident que de nombreux employeurs n’ont pas tendance à engager des gens qui vont peut-être rapidement tomber malades », déclare Vanhegen. « C’est pourquoi l’état devrait les stimuler à coup d’avantages financiers ou fiscaux. Sinon, on ne remettra jamais ces gens au travail. »

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