Tshisekedi

Pourquoi Tshisekedi est accueilli à bras ouverts par la Belgique

Erik Raspoet Journaliste Knack

Mardi, le président congolais Felix Tshisekedi sera en Belgique avec un objectif : arrondir les angles.

Fils du leader de l’opposition congolaise Étienne Tshisekedi, Félix Tshisekedi (56 ans) a passé la moitié de sa vie en exil en Belgique. Il gagnait sa vie comme livreur, entre autres choses, et va acquérir, sous le nom de Fatshi, une sérieuse réputation de fêtard. Ce n’est donc pas la première fois qu’il va atterrir à Zaventem. Mais, ce mardi 17 septembre, les choses seront différentes. C’est avec un plaisir non dissimulé que Tshisekedi va être reçu avec les égards protocolaires dignes d’un chef d’État, un honneur qui n’aura jamais été accordé à son défunt père. De l’aéroport, il sera escorté directement au Château de Val Duchesse, où l’attendra le Premier ministre Charles Michel. Après des salutations qui devraient sans aucun doute être sincères, le président congolais assistera à une réunion de travail avec le gouvernement fédéral démissionnaire.

Les passages officiels des présidents congolais dans notre pays sont rares. Le dernier remonte à 2007, lorsque Joseph Kabila a effectué une ultra-courte visite de travail. Cette fois, on met les petits plats dans les grands. En plus d’un déjeuner au Palais Royal, la visite de trois jours comprend une visite dans le quartier diamantaire d’Anvers et à l’université d’agronomie et de Bio-Tech de Gembloux. Le président va aussi rencontrer des hommes d’affaires, saluera la diaspora congolaise au Heysel et sera reçu par une haie d’honneur à l’École royale militaire. On devrait y annoncer la reprise de la coopération militaire entre la Belgique et le Congo. Depuis 2001, notre pays avait mis en place différents programmes de formation pour l’armée congolaise, mais, en avril 2017, le Président Kabila y a brusquement mis fin. Ce n’était là qu’une des nombreuses représailles de Kinshasa en réaction aux critiques belges envers le ralentissement délibéré du processus électoral et de la répression de la protestation populaire contre ces manoeuvres dilatoires.

Dans une communication officielle du ministère des Affaires étrangères, on ne fait d’ailleurs pas mystère du but de cette visite présidentielle. Celle-ci sera le coup d’envoi d’un renouvellement et même de l’intensification des relations bilatérales. C’est aussi dans ce cadre qu’il faut voir la visite de Tshisekedi au consulat congolais à Anvers. Ce dernier s’est rouvert après un an et demi de fermeture, tout comme le consulat de Belgique à Lubumbashi.

Léopold II

Pour Tshisekedi, qui a été élu le 24 janvier après des élections controversées, l’enjeu est encore plus important. Sa visite intervient peu de temps après la formation au Congo du gouvernement Ilukamba composé de 65 membres. Cette formation ne s’est pas faite sans heurts et aura été le cadre d’un bras de fer entre les camps du président Tshisekedi et de son prédécesseur Joseph Kabila. Le vrai vainqueur, Martin Fayulu, ayant été mis à l’écart, ils sont peu nombreux à douter que les deux hommes aient conclut un accord immédiatement après les élections. Tshisekedi, chef du parti historique d’opposition UDPS, sera président en échange de la sauvegarde des intérêts de Kabila et de son entourage.

Selon l’expert congolais Kris Berwouts, cela ne signifie pas pour autant que le nouveau président est l’homme de paille de Kabila. « C’est souvent ce qu’on prétend, mais la formation du gouvernement montre que la réalité est autre. Compte tenu de sa très faible position de départ, on ne peut nier que Tshisekedi a finement négocié. Cela se voit non seulement dans la composition du nouveau gouvernement, mais aussi, et surtout, pour ceux qui n’en font pas partie. Tshisekedi a opposé son veto à toute une série de dirigeants issus de l’entourage de Kabila et a éjecté plusieurs candidats Premiers ministres nommés par Kabila. D’autre part, la nouvelle équipe compte beaucoup de personnes relativement jeunes et inconnues. Ce qui a aussi fait l’objet de critiques, mais quelle est l’alternative ? À nouveau faire appel aux vieux crocodiles ? Donnons sa chance au nouveau gouvernement. »

Tshisekedi
Tshisekedi© AFP

Le timing est cependant probablement une coïncidence puisque la visite en Belgique était déjà prévue avant que le gouvernement ne soit formé. Ensuite, « Tshisekedi a beaucoup voyagé depuis qu’il a prêté serment », dit Berwouts. Il s’est rendu dans les pays voisins du Congo, mais aussi aux États-Unis. Il n’est donc pas vrai que la Belgique était l’une de ses priorités. Pourtant, ce n’est pas un hasard si Bruxelles est sa première destination européenne. Laissons de côté ses liens personnels et familiaux avec la Belgique: la visite d’un président congolais en Belgique reste symbolique pour la plupart des Congolais. Ceci est d’autant plus vrai qu’il sera reçu par le roi Philippe, descendant de Léopold II. La dynastie belge évoque encore des sentiments ambivalents au Congo, mais il est certain qu’être reçu avec les honneurs par le palais royal ne porte pas atteinte au prestige d’un président congolais ».

Une telle visite n’est pas non plus mauvaise pour le prestige de la diplomatie belge. « Cette visite confirme notre rôle en Afrique centrale », reconnaît Berwouts. « Au Rwanda, nous n’avons plus rien à dire, mais en République démocratique du Congo et au Burundi, la diplomatie belge joue avec les grands. »

Principaux défis

Nadia Nsayi, chargée de mission pour Broederlijk Delen et Pax Christi Vlaanderen, vient d’effectuer une mission dans quelques villages isolés de la province de Kwilu : « La visite de Tshisekedi en Belgique n’intéresse pas exagérément les foules », dit-elle depuis Kinshasa. « Ce qui n’empêche pas de nombreux Congolais d’espérer que de meilleures relations bilatérales profitent à la population. En particulier la rencontre avec le roi Philippe marque les esprits, bien plus que celle avec le Premier ministre belge ».

Nsayi y voit une raison historique: Mobutu affichait son amitié avec le roi Baudouin. Joseph Kabila a rencontré le roi Albert au début de sa présidence et ira même jusqu’à louer Léopold II. Aujourd’hui, on s’aperçoit que Tshisekedi cherche la légitimité en Belgique, le premier pays de l’UE qu’il visite en tant que président « , dit-elle. Ce symbolisme compte dans un pays comme le Congo. Ce voyage peut renforcer sa position en interne et à l’international. Martin Fayulu doit avoir bien du mal à digérer cette visite en grande pompe, d’autant plus que le gouvernement belge avait initialement réagi de manière très critique à la fraude électorale.

L’un des hôtes belges, par exemple le Premier ministre Michel, abordera-t-il le sujet de Fayulu ? C’est le calme plat autour du chef du nouveau mouvement d’opposition Lamuka, qui, selon des observateurs neutres, a remporté les élections avec une longueur d’avance. « Cette page a été tournée « , dit Berwouts. « La Belgique, et par extension l’ensemble de la communauté internationale se sont résignées au changement de pouvoir. Les Congolais ont d’ailleurs fait de même. OK, les élections n’ont pas été justes, mais personne ne s’attendait à ce qu’elles le soient. Pour les Congolais, ce qui compte, c’est que Kabila ne soit plus président et que son dauphin ait été battu par un candidat de l’opposition. Peu auraient osé espérer une transition d’une telle ampleur sans que le pays n’explose. »

La question demeure, bien sûr, de savoir si Tshisekedi et son nouveau gouvernement sont capables de s’attaquer aux immenses problèmes du Congo. L’insécurité chronique dans l’est du pays, l’épidémie d’Ebola, la pauvreté et le sous-développement : les défis ne manquent pas. « Personne ne s’attend à ce qu’il s’attaque à tous les problèmes en même temps « , dit Berwouts. Les Congolais attendent de lui qu’il tienne sa principale promesse électorale : mettre fin à la kleptocratie et améliorer les conditions de vie. S’il peut créer une avancée dans ces domaines, il peut accumuler du crédit pour prendre d’autres mesures.

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