Wim Vermeersch

« Pourquoi se fout-on du climat alors qu’on sait tous qu’il y a un problème ? »

Wim Vermeersch Rédacteur en chef de Sampol

Si la plupart des gens reconnaissent qu’il y a un problème climatique et que cela les inquiète, ils ne sont que peu à tenter d’y faire quelque chose. Wim Vermeersch, rédacteur en chef du magazine Samenleving en politiek, se demande pourquoi.

La Conférence de Paris sur le climat (qui se tient du 30 novembre au 11 décembre 2015) doit aboutir à un nouvel accord global pour limiter l’émission mondiale de gaz à effets de serre et maintenir la hausse de la température en dessous des 2 degrés Celsius. C’est nécessaire pour éviter que le climat change de manière irréversible. Les mouvements écologiques sont également prêts à affronter le problème. Le 15 août dernier, 1500 activistes de toute l’Europe ont occupé la mine de lignite Garzweiler en Allemagne. En Belgique, l’ASBL Klimaatzaal poursuit l’état en justice pour négligence et Climate Express tente de persuader 10 000 citoyens de se rendre à Paris en décembre.

Même s’il y a des choses qui bougent, l’intérêt du grand public reste limité. Souvent, la discussion sur le climat se borne à un affrontement entre les « believers » et les « non believers ». Entre les deux, il y a un grand groupe de personnes qui reconnaissent qu’il y a un problème et qui s’en inquiète, sauf que parmi eux, il y en a peu qui essaient de faire quelque chose pour faire cesser ce réchauffement ou qui obligent leurs leaders à s’attaquer au problème.

Le changement climatique est complexe, abstrait et lointain

Pourquoi le changement climatique n’est-il pas une priorité?

Il y a plusieurs raisons à cette indifférence. Nous en avons détecté trois.

1. Le changement climatique est complexe, abstrait et lointain

Les mécanismes du changement climatique sont surtout très complexes. Les analyses viennent surtout du domaine scientifique. Le caractère très spécialisé du problème et son approche multidisciplinaire le rendent vulnérable à la manipulation. Comme le changement climatique n’est pas aussi clair et bien expliqué que d’autres débats, il ouvre la porte aux idées simplistes des sceptiques (par exemple « Comment ça réchauffement climatique ? On n’a jamais eu d’hiver aussi froid que cette année »).

Le changement climatique est un phénomène complexe. Il se développe sur des années – d’abord lentement, puis plus rapidement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus moyen de l’arrêter. L’époque post-CO2 qui nous attend est pleine d’incertitudes et sans scénario. En outre, l’impact du changement climatique est souvent considéré comme « éloigné ». Les climatologues parlent également dans ces termes. James Hansen, une autorité américaine en la matière, a baptisé son traité Storms of my Grandchildren (2009), un problème qui concernera donc ses petits-enfants.

Sortez le sujet de la sphère scientifique

Les académiciens ne sont pas les meilleurs communicateurs et le mouvement climatique souffre parfois du même problème. Ils parlent trop souvent de mécanismes climatiques techniques et trop peu des endroits où nous avons grandi et qui risquent de se perdre. C’est pourtant prouvé : quand on pense à l’environnement, on visualise d’abord les lieux où nous habitons, comment ceux-ci évoluent et pâtissent du changement climatique. Il est nettement plus difficile de se sentir impliqués dans les grandes questions climatiques abstraites. Que l’océan se réchauffe et que les gaz à effets de serre s’accumulent dans notre atmosphère ne nous évoque pas grand-chose.

Il faut plus d’histoires sur le changement climatique et moins de rapports, car comme le dit l’Américain Jonathan Gottschall dans son bestseller « The Storytelling Animal. How Stories Make Us Human (2014) », ce sont les histoires, avec des héros et des scélérats, avec des personnages et des querelles, qui font bouger les gens.

2. Le changement climatique n’a pas de véritable « ennemi »

Le « problème », c’est que pour l’instant, le changement climatique laisse une empreinte très légère dans nos régions. Les inondations, la sécheresse et les incendies de forêt se produisent surtout ailleurs. Même si on se rend compte de l’ampleur du défi climatique, et même si on est inquiets, c’est la distance physique qui fait décrocher.

Cette constatation nous amène à poser une question importante: faut-il vivre une expérience pour agir en conséquence ? Quelques exemples nous apprennent que non. Certains pays sont très concernés par la menace terroriste alors qu’il n’y a eu aucune victime sur leur territoire. Pendant la Guerre froide, chacun craignait la menace soviétique même si celle-ci n’exerçait aucun impact sur la vie quotidienne. Et la peur du « migrant » est souvent plus importante dans les communautés rurales où l’on n’en voit pratiquement pas.

L’indifférence au problème climatique pourrait s’expliquer par le manque d’ennemi « précis ». Le changement climatique n’a pas de visage. Il n’y a pas d’État islamique, de Khrouchtchev ou de Roms qui personnifient l’inquiétude. Non, la vérité qui dérange c’est que tout le monde, vous et moi compris, contribue au changement climatique. Et sans raison : on conduit nos enfants à l’école, on chauffe nos maisons, on prépare à manger. Tous ces agissements « neutres » contribuent à l’émission de gaz à effets de serre.

Il faudra donc remettre en question les valeurs clés de notre système économique actuel. Tant que nos habitudes ne changent pas, les émissions de CO2 ne diminueront pas. Il ne faut pas pour autant vivre éthiquement 24 heures sur 24, mais réaliser qu’en tant que consommateur, nous faisons partie du problème, ne peut faire de tort.

Ce n’est pas évident. Il est dans la nature de l’homme d’avoir peur d’un ennemi externe. Quand l’ennemi est à l’intérieur de nous, nous sommes moins enclins à agir.

3. Le changement climatique nous submerge et nous paralyse

C’est vrai qu’on peut facilement se laisser submerger par l’ampleur du problème. Car comment nos agissements futiles pourraient-ils empêcher la montée du niveau des mers ou combler le trou dans la couche d’ozone ?

Les scénarios catastrophes, aux solutions peu réalisables, nous font peur. C’est pourquoi le problème d' »action collective » en matière de changement climatique ne sera résolu que si l’on retrouve l’emprise sur notre propre univers. Ce n’est que si on a le sentiment d’avoir plus d’impact, qu’on peut à nouveau réfléchir au changement climatique.

C’est pourquoi les « petites révolutions », que nous voyons surgir un peu partout, sont tellement importantes. Si à première vue, les initiatives locales, telles que l’agriculture urbaine, les projets de partage et de troc, la culture d’alimentation locale, les Repair Cafés ont l’air de poches de résistance qui n’ont pas beaucoup de rapport entre elles, elles peuvent mener à un monde meilleur. Elles nous donnent de l’emprise sur le monde.

Tant qu’on ne retrouve pas d’emprise sur notre univers direct, on n’arrivera jamais à contrer la hausse du niveau de la mer.

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