Carles Puigdemont (à dr.), président catalan déchu, reçu à dîner chez le député N-VA Lorin Parys ( à sa dr.). © TWITTER

Pourquoi les élus francophones sont muets sur la Catalogne

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

L’émoi causé au parlement flamand par la crise catalane n’a d’égal que le silence assourdissant observé par les élus de l’espace francophone. Saisissant contraste.

 » Des grands-pères, des grands-mères, des parents avec de jeunes enfants, des moins valides. Des bastonnades, des coups de poing et des coups de pied, des femmes tirées par les cheveux dans les escaliers.  » Il s’interrompt, pour mieux contenir son émotion.  » Excusez-moi, chers collègues, mais pendant que je vous parle, les images me reviennent. Une pure horreur. Rien à voir avec une démocratie mais avec une dictature brutale et sans pitié.  » Jan Van Esbroeck, député nationaliste flamand, a laissé parler son coeur qui saigne abondamment. Sa tirade arrache des applaudissements sur les bancs de la majorité N-VA -CD&V – Open VLD comme de l’opposition SP.A et Groen. Le 4 octobre dernier, sous la grande verrière du Vlaams Parlement, chaque représentant du peuple flamand s’est senti un peu, beaucoup, passionnément catalan.

Qu’ils soient malmenés par la police espagnole pour avoir voulu faire entendre leur voix par référendum, que leurs dirigeants indépendantistes soient emprisonnés pour avoir voulu franchir le Rubicon, le sort des Catalans remue les tripes des députés régionaux flamands, tous partis confondus quoique divisés sur les responsabilités du clash. A leur actif, déjà deux débats d’actualité en séance plénière et une résolution adoptée à l’unanimité pour flétrir  » avec force la violence incontrôlée des autorités espagnoles  » et appeler au dialogue.

Pendant ce temps, en bord de Meuse, les élus vaquent aux affaires intérieures wallonnes. Vue de Namur, la Catalogne en ébullition, c’est loin. Une terra incognita au parlement de Wallonie. Qui n’inspire pas plus l’assemblée de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), indifférente à la présence dans son rayon d’action de ministres catalans  » en exil « .

Vue de Namur, la Catalogne portée à ébullition reste une  » terra incognita  » au parlement de Wallonie

Où çà, la Catalogne ?

Non pas que les élus francophones soient sans coeur et sans convictions. S’ils détournent le regard de Barcelone, ils partagent volontiers leurs sentiments lors d’une discussion de couloir.  » Ce n’est pas une question de désintérêt, assure Pierre-Yves Dermagne, chef de groupe PS au parlement de Wallonie, nous en parlons beaucoup entre nous.  »

Inutile d’y soupçonner un manque de courage ou une fuite de responsabilités. L’embarras à rompre le silence viendrait plutôt d’une difficulté à se saisir de la question :  » Je ne vois pas trop la porte d’entrée qui permettrait de relier le dossier catalan au champ de compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles « , plaide Hamza Fassi-Fihri, député CDH, membre de la commission des relations internationales. Nul besoin de se donner tout ce mal, le parlement de la FWB n’hésite jamais à s’emparer de sujets qui bouleversent la planète. Comme récemment l’assassinat d’une journaliste maltaise, ou le traitement réservé aux Rohingyas par le régime birman. Au MR qui s’étonnait que cette question soit jugée recevable, Rudy Demotte (PS), ministre- président, rappelait sa disponibilité à se porter au chevet des droits de l’homme partout dans le monde :  » Etant interpellé sur le Burundi, le droit des Palestiniens ou encore la question des minorités chrétiennes persécutées au Moyen-Orient, il est légitime que je m’exprime sur les événements inacceptables qui ont cours en Birmanie.  »

Le tour de la Catalogne et de ses déboires avec Madrid n’est pas encore venu. Ni prévu. Ce mutisme observé avec une remarquable unanimité a bien sûr ses raisons. La base militante et la vox populi ne poussent pas à mettre le sujet à l’agenda. Mais surtout, le contentieux hispano- catalan est chasse gardée du pouvoir fédéral : c’est là que le Premier ministre Charles Michel (MR) est sommé, y compris par les députés du groupe linguistique français, de s’expliquer sur la position de son gouvernement et les sorties répétées de son partenaire N-VA, le meilleur ami des indépendantistes catalans.

 » L’instruction du MR est claire : hors de question de faire de la crise catalane un enjeu de politique intérieure, décode Jean-Benoit Pilet, politologue à l’ULB, et le seul angle d’attaque qui intéresse les autres partis francophones, c’est de montrer que les libéraux se font encore manipuler par la N-VA. Cette approche ne peut être portée qu’au niveau fédéral.  »

Tout concourt donc à maintenir le brûlot catalan éloigné des capitales de la Wallonie et de la Communauté française et à dispenser les ministres-présidents, le wallon Willy Borsus (MR) et le francophone Rudy Demotte (PS), de faire rapport à ce sujet.  » Ce n’est ni une question d’indifférence ou de recevabilité, ni le fruit d’une consigne du parti, insiste Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo au parlement wallon, mais je ne vois pas la plus-value que pourrait apporter, au niveau régional, une interpellation parlementaire sur la crise catalane. Si ce n’est ajouter du bruit au bruit.  » Et se donner de l’importance, comme on aime le faire au nord du pays.

Pierre-Yves Dermagne (PS), député wallon :
Pierre-Yves Dermagne (PS), député wallon :  » Ne pas tomber dans le piège des nationalistes flamands. « © THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Alignés sur le camp des non-alignés

En mettant les pieds dans le plat catalan, la Flandre politique se pique de jouer dans la cour des grands. Son chef de gouvernement peut prendre des airs de chef d’Etat, pas peu fier de l’effet produit.  » C’est très exceptionnel au sein de l’Union européenne et c’est remarqué « , se réjouit le ministre-président en rendant compte de ses démarches : Geert Bourgeois (N-VA) s’est entretenu avec l’ambassadrice d’Espagne, a pris contact avec le président déchu Carles Puigdemont, a mis en état d’alerte les attachés diplomatiques flamands en poste en Espagne. Et les élus en redemandent : à quand l’audition de Madame l’ambassadrice et d’un représentant de la Catalogne ?

 » C’est le parlement flamand qui se singularise, parce que le parti dominant a décidé de politiser l’enjeu catalan « , poursuit Jean-Benoit Pilet. Il est un fait que la N-VA mène le bal et donne le tempo, que le Vlaams Belang souffle sur les braises, que les autres formations flamandes n’ont pu qu’entrer dans la danse. Et que les francophones refusent de se joindre à cette sarabande endiablée. Pierre-Yves Dermagne en convient :  » Notre souci est de ne pas tomber dans le piège des nationalistes flamands.  » Quitte à priver les députés sudistes de disserter sur les questions existentielles qui taraudent leurs homologues flamands : les atteintes à l’immunité parlementaire, l’emprisonnement d’élus pour des opinions et des actes posés dans le cadre de leur mandat démocratique.

Il ne reste plus aux élus francophones qu’à s’aligner sur le camp des non- alignés. Député bruxellois et à la FWB, Alain Destexhe (MR), farouche partisan de la cause espagnole, s’en porte fort bien :  » L’absence de débat sur un projet de résolution qui ferait la part belle aux nationalistes catalans m’arrange très bien.  » Ne pas prendre position, c’est aussi prendre position.

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