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Pourquoi la N-VA est-elle repartie à l’assaut du Palais ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Pour le Pr Vincent Dujardin, de l’UCL, la monarchie n’est pas le ciment du pays. Mais tant que la Belgique n’éclate pas en morceaux, elle a besoin d’un roi. Et pas à la mode suédoise.

La N-VA fera-t-elle de la monarchie l’une de ses principales cibles institutionnelles en 2019 ?

Dès lors que l’objectif final du parti de Bart De Wever est la fin de la Belgique et l’indépendance de la Flandre, ses revendications républicaines referont surface. La N-VA n’est d’ailleurs pas le seul parti flamand à souhaiter une réduction des pouvoirs et de l’influence du roi. Mais il y a un fossé entre les projets théoriques et le principe de réalité. Car la plupart des leaders politiques savent bien qu’une réforme ouvrirait la boîte de Pandore. Pas moins de cinq anciens Premiers ministres, Eyskens, Verhofstadt, Leterme, Van Rompuy et Di Rupo, issus de trois partis différents, ont estimé, en mars dernier, que la monarchie était utile en temps de crise. Quant aux ministres N-VA, il semble qu’ils aient des contacts corrects avec le Palais royal. On rappellera que Siegfried Bracke, le président N-VA de la Chambre, a tenu, le 15 novembre 2014, des propos soutenants à l’égard de la fonction royale.

Faute de majorité en Belgique pour abolir la monarchie, la N-VA rêve d’une royauté strictement protocolaire. Que penser du modèle néerlandais, vanté par le premier parti de Flandre ? Et du modèle suédois, souvent évoqué ?

La Belgique n’est pas la Suède, ni les Pays-Bas. Dans un pays comme le nôtre, soumis aux tensions communautaires, le besoin d’un arbitre asexué politiquement, philosophiquement et linguistiquement se fait sentir en période de crise gouvernementale. Le roi peut tenir ce rôle, pas le président de la Chambre. Comme le disait Achille Van Acker, on peut être républicain de coeur, mais monarchiste de raison. Car le souverain est un recours en cas de blocage politique. Je ne sous-entends pas que le roi est le ciment du pays. Mais l’inverse est vrai : tant que la Belgique n’éclate pas en morceaux, elle a besoin de sa monarchie. Et pas à la sauce suédoise ou hollandaise !

Le roi serait donc surtout utile lors des crises politiques ?

C’est ce qu’on constate. Lors des longues crises de 2007 et de 2010-2011, le pays a eu la démonstration par A+B de l’utilité du roi. Même si les initiatives du Palais se fondent évidemment d’abord sur l’arithmétique électorale et sur les choix des présidents de parti. En septembre 2007, Albert II désigne Herman Van Rompuy « explorateur » contre l’avis du CD&V, son propre parti. En décembre 2007, il demande à Guy Verhofstadt de former un gouvernement intérimaire de manière à sortir de la crise, choix qui ne correspond pas aux voeux de leaders de l’Open-VLD, son propre parti. En avril 2010, le roi reçoit en audience le président de la Chambre, Patrick Dewael. Du coup, la séance plénière de la Chambre sur la proposition flamande de scission de l’arrondissement BHV n’a pas lieu, alors que les francophones avaient déjà dû préparer la « sonnette d’alarme ». Le Palais a donc empêché ce qui aurait provoqué une dramatisation du bras de fer communautaire. Mais, en dehors de ces moments de crise politique aiguë, Albert II a été un roi déjà très protocolaire.

Plus encore que son père, Philippe semble prendre soin de ne pas trop investir le champ politique.

Il est très prudent dans ses discours. Philippe est néanmoins un roi à temps plein.

Hors période de formation du gouvernement, dans quelles circonstances le roi se montre-t-il utile au pays ?

Il assume un rôle de représentation pour encourager tout ce qui renforce l’image de la Belgique dans le domaine économique, environnemental, culturel ou sportif. Philippe assiste aux matchs des Diables Rouges au Brésil, en France et ailleurs à l’étranger, alors que son père ne se rendait qu’au stade Roi-Baudouin. Philippe téléphone à l’entraîneur des Diables, Marc Wilmots, la veille d’un match important. Il reçoit la famille Borlée au Palais… Mais son règne se distingue surtout par la reconnaissance du fait régional, à l’intérieur du pays comme lors de ses voyages. Les ministres-présidents régionaux ont été associés aux visites d’Etat en Chine et en Pologne et les ministres des Communautés et Régions ont participé aux journées d’étude en Allemagne sur la formation en alternance. A chaque fois, la présence du roi confère de l’unité à une délégation belge plurielle, où figure le fédéral et les entités fédérées.

Philippe se consacre surtout au domaine socio-économique, ce qui dérange la N-VA.

Tout N-VA qu’il soit, le ministre-président flamand mesure l’intérêt des voyages royaux pour les entreprises du nord du pays. Lors de ses visites officielles, Philippe ouvre des portes à un haut niveau pour nos entreprises. On l’a vu dans le cas d’Alibaba, le numéro 1 chinois de la vente en ligne.

La N-VA estime que les liens ont été coupés entre la monarchie et les entités fédérées, et qu’il n’y a pas à les restaurer.

L’initiative de Philippe d’associer les Régions à ses visites fait écho à une demande politique, formulée au nord comme au sud du pays. En juillet 2013, le CD&V Kris Peeters, alors ministre-président flamand, avait invité le futur roi à s’intéresser à la dimension régionale et communautaire du pays. Philippe a saisi la perche. De leur côté, le socialiste Jean-Claude Marcourt et le libéral Didier Reynders encouragent le fait que les visites d’Etat comportent un gros volet économique. Ce qui permet de compenser l’exigence flamande de réduire de quatre à deux par an le nombre de missions économiques conduites par la princesse Astrid.

Mathilde traitée d' »usurpatrice », Philippe accusé de ne pas avoir respecté la Constitution… Pourquoi la N-VA est-elle repartie à l’assaut du Palais ?

Le procès fait à la reine, accusée d’avoir outrepassé son rôle en recevant en audience le président de la Banque mondiale, est surprenant. Car son attitude n’a rien d’inédit. Elle s’inscrit dans la continuité de l’action sociale de toutes les reines depuis Elisabeth. Fabiola prenait elle-même de telles initiatives dans les années 1992-1993, époque où elle cherchait à promouvoir la cause des femmes rurales. Elle a reçu Boutros Boutros Ghali, secrétaire général des Nations Unies, et s’est entretenue avec François Mitterrand. Elle a même poursuivi son engagement alors qu’elle n’était plus l’épouse du roi régnant. Notons que l’attaque contre la reine Mathilde a fait couler plus d’encre dans les médias du sud du pays qu’au nord.

Philippe, lui, a-t-il violé la Constitution en donnant, sans avoir consulté les Chambres, son consentement au mariage du prince Amedeo ?

Disons qu’il y a eu entourloupette lors de la régularisation. La présence du roi au mariage d’Amedeo, à Rome, ne suffisait pas pour qu’il y ait consentement. De même, lors du mariage du prince Albert et de Paola, en juillet 1959, un député socialiste francophone avait relevé qu’il n’y avait pas eu de contreseing ministériel. L’avis publié au Moniteur n’était pas suffisant pour cautionner l’union. Il a fallu publier un arrêté royal marquant le consentement du roi, du Premier ministre et du ministre de la Justice.

La Constitution n’est-elle pas obsolète dans ce qu’elle dit des pouvoirs du roi ?

Pour une bonne part, évidemment ! A l’heure où le gouvernement envoie des F-16 belges en mission en Irak et en Syrie, il est clair que le roi ne commande plus l’armée. De même, la grâce royale peut être débattue. Toutefois, l’enjeu majeur, quand on suggère de réformer la Constitution, est le rôle du roi dans la formation du gouvernement fédéral. Une réforme de la monarchie passe par l’adoption d’une déclaration de révision, préalable à la dissolution des Chambres. Si les articles en vertu duquel le roi nomme et révoque les ministres et signe les arrêtés royaux sont supprimés, son implication dans la formation du gouvernement disparaît.

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