Les pompiers bruxellois sont aujourd'hui encore victimes d'une guerre de tranchées entre pôles opérationnel et administratif. © DIDIER BAUWERAERTS/ISOPIX

Pourquoi la gestion du service d’incendie bruxellois est si défaillante

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La gestion défaillante du service d’incendie bruxellois, dénoncée dans un audit de la Cour des comptes, ne surprend pas en interne. Pointée : l’incompétence de directeurs généraux successifs, parachutés par le PS.

A quelques semaines de l’entrée en vigueur d’une grande réforme de ses structures, prévue en principe le 1er mars prochain, le Service d’incendie et d’aide médicale urgente de Bruxelles (Siamu) est dans la tourmente. Le groupe MR au parlement bruxellois a divulgué un audit accablant de la Cour des comptes sur la gestion des marchés publics au sein du plus gros corps de pompiers du pays. La liste des dysfonctionnements mentionnés dans ce projet de rapport de juillet dernier donne le tournis : achats de carburant, d’électricité, de télécoms, d’assurances et autres fournitures et services réalisés en dehors de toute procédure de marché public ; recours abusif et illégal à la procédure négociée ; dossiers sans bons de commande ; absence de registre des marchés publics ; formation sommaire des agents en charge des marchés publics ; pas d’appui des services administratifs ; service juridique inexistant dans les faits…

Comment expliquer de telles dérives au sein d’un organisme d’intérêt public (OIP) qui compte plus de 1 000 pompiers professionnels et près de 250 agents techniques et administratifs ? La Cour des comptes relève le manque de collaboration entre les deux directions du Siamu, le pôle opérationnel (les pompiers, chargés des secours et de la logistique) et l’aile administrative. La plupart des achats sont gérés non pas par la direction administrative, mais par la partie opérationnelle. Le personnel du service logistique se débrouille tant bien que mal pour compenser les déficiences de la direction administrative, qui n’assumerait pas son rôle, accusent certains pompiers. Toutefois, l’une de nos sources en interne juge cohérent que le pôle logistique s’occupe des marchés publics :  » Nous sommes bien placés pour évaluer la pertinence d’acquérir telle ou telle autopompe, échelle ou cagoule d’intervention. Le souci, c’est surtout le manque de personnel.  » Un autre homme du feu admet volontiers que les officiers logistiques en charge des appels d’offres ne sont pas compétents pour ce type de tâches financières.  » Cela dit, les commandes sont approuvées à l’échelon supérieur, celui du directeur général du Siamu, un civil chargé d’une mission de contrôle en tant que responsable administratif et financier. A lui de veiller à éviter les erreurs. Or, il n’a pas lui non plus de compétence financière !  »

La guérilla anti-Jordan

Pendant la période visée par l’audit de la Cour des comptes – les années 2012-2015 -, le poste avait pour titulaire la très controversée Chantal Jordan (PS), ex-responsable des ressources humaines du Siamu. Son mandat de directrice générale a été marqué par une guérilla interne contre sa gestion du personnel.  » Ancienne syndicaliste issue du « clan Moureaux », elle ne connaissait rien au terrain, accuse un capitaine. Elle a foutu une pagaille monstre au Siamu en agissant comme la supérieure hiérarchique de tous les pompiers, qu’elle considérait comme des incapables. Résultat : trois années de guerre à couteaux tirés. C’est la seule fois dans l’histoire du service d’incendie où nous avons manifesté en rue, avec pour seule revendication « Jordan dehors ! »  » En avril 2014, les pompiers ont bouté le feu à une poupée géante à son effigie sous les fenêtres du cabinet du ministre-président Rudi Vervoort. Finalement, Chantal Jordan s’est absentée pour raisons de santé, puis a démissionné, avant d’être recasée au cabinet Vervoort.

Son successeur, Thierry Mercken, fait partie des cabinettards socialistes parachutés ces dernières années à la tête d’administrations et d’OIP régionaux. Son ascension éclair dans la sphère publique bruxelloise est peu commune. Engagé comme attaché juriste de rang A1 au ministère régional en 2002, nommé en 2003, il est détaché dès 2004 au cabinet de la secrétaire d’Etat PS Françoise Dupuis. Il entre ensuite au cabinet d’Emir Kir (PS), puis est propulsé  » dircab  » adjoint de Rachid Madrane (PS) à la fin de la législature 2009-2014, avec mandats rémunérés à la clé. A l’avant-veille des élections régionales du 25 mai 2014, Thierry Mercken est, par arrêté du gouvernement sortant, parachuté au Siamu comme directeur juridique, avec rang A3.  » Un emploi sur mesure pour le remercier de ses dix années de bons et loyaux services dans les cabinets socialistes, commente un officier pompier. Nomination pas très légale, car elle est tombée le 23 mai 2014, dernier jour ouvrable de la législature, sans attendre la date de clôture de dépôt des candidatures, qui tombait après les élections.  »

Tanguy du Bus de Warnaffe, officier chef de service, à la tête de la direction opérationnelle.
Tanguy du Bus de Warnaffe, officier chef de service, à la tête de la direction opérationnelle.© THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

Le PS toujours aux manettes

Après la démission de Chantal Jordan, début 2015, il est devenu directeur général ff (A5).  » Depuis son arrivée, la tension est retombée au Siamu, acquiesce le capitaine déjà cité. Mais la gestion administrative et financière du service reste problématique. Le nouveau DG a fait engager au service administratif de nombreux juristes, comptables et autres fonctionnaires issus de cabinets socialistes sans que soient respectées les procédures légales.  » Après la publication de l’audit de la Cour des comptes, Thierry Mercken a reconnu les manquements commis lors de l’établissement de marchés publics, mais écarte l’accusation de malversations. Une certitude : la structure bicéphale du Siamu est source de conflits, surtout depuis cinq ans.  » Notre service est victime, aujourd’hui encore, d’une guerre de tranchées entre les deux pôles, indique un officier : d’un côté, le DG Thierry Mercken, de l’autre, l’officier chef de service, Tanguy du Bus de Warnaffe, à la tête de la direction opérationnelle depuis août 2016.  »

Ce découplage des fonctions est le résultat d’une décision politique prise en 1999. Quelques années plus tard, les directeurs généraux parachutés par le PS sont devenus les véritables patrons du Siamu. Cécile Jodogne (DéFI), la secrétaire d’Etat en charge du service d’incendie, a décidé de simplifier cette structure. Désormais, l’organisme d’intérêt public sera dirigé par l’officier pompier chef de service. Ce dernier sera promu au rang A5+, car le  » coordinateur administratif  » (ex-directeur général) conserve le rang A5. Par ailleurs, les dossiers d’achats seront remis aux fonctionnaires administratifs. Annoncée de longue date, la réforme devait entrer en vigueur le 1er janvier. Elle a été reportée de deux mois, les auditions de candidats en vue du recrutement de la nouvelle direction étant toujours en cours.

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