Tina Martens, actuelle collaboratrice au cabinet Vervoort : un cumul de casquettes qui pose problème. © Philip Reynaers/photo news

Pourquoi l’Ecole régionale d’administration publique est en délicate posture

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Plusieurs formateurs de l’Ecole régionale d’administration publique siègent dans ses instances. Conflit d’intérêts avéré ou simple haussement de sourcils éthique ? Malaise, à tout le moins.

Bruxelles est un confetti. Y trouver des professionnels compétents pour former les agents des services publics locaux n’est pas simple. La tâche est encore plus ardue si l’on veut éviter un conflit d’intérêts ou un cumul de fonctions malsain. Voilà le défi permanent auquel est confrontée l’Erap, l’Ecole régionale d’administration publique, créée en 1994 à Bruxelles pour assurer la formation de ses agents.

L’Erap lance régulièrement des marchés publics à destination de formateurs susceptibles d’y dispenser des cours qui vont d’une demi-journée à quelques jours. Parmi ceux qui postulent figurent des sociétés privées, des indépendants, des fonctionnaires, des asbl, des agences d’interim, et Bruxelles Formation.

On y trouve aussi Tina Martens, ancienne secrétaire du CPAS de Molenbeek et jusqu’il y a peu cheffe de cabinet adjointe du ministre bruxellois Pascal Smet (SP.A). Depuis le 16 avril dernier, elle travaille pour le ministre-président, Rudi Vervoort (PS). Commissaire du gouvernement bruxellois au Samusocial, elle siégeait aussi, en 2014, au conseil d’administration de l’Erap. Depuis septembre 2015, elle en était devenue commissaire. Elle vient de démissionner du poste, en raison de son transfert au cabinet Vervoort.

A l’Erap, Tina Martens n’était toutefois pas  » que  » chargée du contrôle de cette structure publique : elle y dispensait des formations depuis 2007. Selon les informations du Vif/L’Express, Tina Martens a ainsi remporté, dans le cadre d’un marché public, au moins un lot de deux jours pour 1 260 euros par session donnée, à dispenser entre 2017 et 2019. Elle a également soumissionné à l’époque, via une association momentanée dans laquelle figure un autre candidat formateur : Paul-Marie Empain. Pour la période 2018-2020, elle a aussi remporté quatre autres lots liés à ses compétences en matière de CPAS : deux d’une valeur de 760 euros/ journée/ session, et deux de 380 euros/ demi-journée/session.

Certaines de ces offres chiffrées sont strictement égales à celles de Paul-Marie Empain .  » Il était convenu avec Tina Martens qu’elle pouvait donner du temps à des formations, si cela n’avait pas d’impact pas sur son travail au cabinet, ce qui n’était pas le cas « , précise le porte-parole du cabinet Smet.

Les sommes en jeu sont faibles. Mais ce cumul de casquettes crée un malaise. Même si, précise l’Erap,  » Mme Martens n’a pas reçu la comparaison des offres et n’a pas assisté aux discussions et aux décisions prises en CA concernant l’attribution d’un marché pour lequel elle soumissionnait « . Ce que confirme l’intéressée.

S’il n’y a pas légalement d’interdiction d’assurer parallèlement ces deux types de fonction,  » la situation n’est pas très saine « , relève Jacques Bouvier, secrétaire communal honoraire de Schaerbeek et formateur à l’Erap.  » Il vaudrait mieux que l’intéressée ne postule pas ou qu’elle démissionne de son poste de commissaire, même si ce n’est pas légalement obligatoire, embraie François Tulkens, professeur en droit public et en droit administratif à l’université Saint-Louis. Le risque de conflit d’intérêts est réel. Mais c’est plus une question éthique que légale.  »

A l’Erap, on confirme que  » cette situation n’est pas confortable « .  » Ce n’est pas nous qui avons choisi Tina Martens comme commissaire « , rappelle Valérie Dierkens, la directrice.

En vase clos

Paul-Marie Empain, membre du collège scientifique de l'Erap.
Paul-Marie Empain, membre du collège scientifique de l’Erap.© dr

Depuis 1998, Paul-Marie Empain, secrétaire communal de la commune bruxelloise de Jette, dispense également des cours dans cette école, parfois payés jusqu’à 1 000 euros/jour. Ce cumul lui serait interdit en Région wallonne, sauf dérogation accordée par le collège communal. A Bruxelles, rien de tel. Le cumul d’activités professionnelles y est ou non autorisé en fonction des règles en vigueur dans chaque commune. A Jette, le statut administratif stipule qu’aucune demande ne doit être adressée au collège pour l’exercice d’une fonction accessoire dans l’enseignement.

Mais Paul-Marie Empain est aussi membre du collège scientifique de l’Erap qui a pour mission, précisent ses statuts,  » de prodiguer des conseils en matière de profil des enseignants à contacter dans le cadre des projets de formation.  » Cet organe dont fait partie Paul-Marie Empain suggère donc le profil de formateurs à contacter alors qu’il en est un lui-même.

En date du 19 décembre dernier, le conseil d’administration de l’Erap a toutefois décidé de suspendre temporairement les réunions de ce collège, en attendant d’en savoir plus sur la future collaboration entre l’Erap et l’administration Bruxelles Pouvoirs locaux.  » Cette décision permettra d’éviter d’éventuels conflits d’intérêts, précise le porte-parole de l’école : car les membres du collège scientifique, qui discutent les orientations et le contenu des cahiers spéciaux des charges, peuvent, potentiellement, vu la taille du marché des experts en fonction publique bruxelloise, être amenés à soumissionner.  »  » On tournait en vase clos, confirme Valérie Dierkens. En matière de formateurs en droit administratif, expérimentés et bilingues, nous n’avons pas tellement le choix. Et comme nombre d’entre eux faisaient aussi partie du collège, on était obligé d’en faire sortir la moitié lors des réunions, pour éviter les conflits d’intérêts.  »

Avant la suspension du collège scientifique, en décembre 2017, Paul-Marie Empain a décroché plusieurs formations, qu’il se soit porté candidat en son nom propre via sa société Empaincoaching, dans le cadre d’associations momentanées, parfois avec Tina Martens, via la structure Impact Cooremans ou via Médiations asbl.  » L’attribution des heures de cours est effectuée par le conseil d’administration, rappelle Paul-Marie Empain. Je n’ai aucun contact avec cet organe. Je ne vois pas où il y aurait conflit d’intérêts.  »

Jusqu’au début de 2018, son volume de travail à l’Erap était d’environ 10 heures par mois. Depuis lors, dans la perspective de sa mise à la retraite au 1er août prochain, il a déposé une offre pour plus de cours, ce qui le conduit à enseigner dès à présent davantage.

Les secrétaires communaux n’étant pas tenus de respecter un horaire de travail précis, ni soumis à la pointeuse, il leur est loisible de dispenser de telles formations, payantes, pendant leur temps de travail.  » Paul-Marie Empain rentre régulièrement des demandes de congé, répond Hervé Doyen, bourgmestre de Jette. Ce qu’il en fait ne me regarde pas.  » Paul-Marie Empain assure, lui, qu’il prend bien congé pour aller donner cours. Certains agents jettois se souviennent en tous cas que le bourgmestre demandait régulièrement où était le secrétaire communal et ajoutait en boutade :  » A l’Erap, certainement.  »

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