Guillaume Dos Santos

Pourquoi je ne suis pas Nuit Debout

Guillaume Dos Santos Citoyen et jeune père de famille

J’étais présent ce jeudi soir, le « 52 mars » selon une sorte de calendrier révolutionnaire, à la Nuit Debout de Louvain-la-Neuve : une bonne occasion, pensais-je alors, de découvrir cette initiative qui a connu à ses débuts un certain succès en France et en Belgique.

On la dit inspirée des Indignados espagnols ou encore du mouvement Occupy Wall Street à New York. Ses partisans affirment vouloir se réapproprier l’espace public qu’on leur a confisqué. Saine idée s’il en est, ce dernier n’étant que trop occupé par les tenants habituels du crachoir… A posteriori toutefois, j’ai davantage eu le sentiment d’une sorte de célébration nostalgique d’une gauche essoufflée, ou au mieux d’une mise en scène caricaturale de ce que fut la démocratie.

Ceux qui s’attendaient à trouver ce soir-là, à la Grand-Place de Louvain-la-Neuve, un rassemblement populaire prêt à prendre le flambeau pour renverser les élites capitalistes, seront vite rassurés. En pleine semaine, rares en effet sont les travailleurs exploités qui trouvent le temps et/ou l’énergie pour passer la « nuit debout ». On ne peut toutefois s’empêcher de remarquer la forte homogénéité sociale et idéologique du mouvement: outre les bobos traditionnels, étudiants youkous et jeunes décroissants, vegan, vege, sans-gluten et autres amateurs de bio, je note la présence du logo « Tout Autre Chose« , de quelques représentants de COMAC (jeunesse du PTB) et d’autres organisations de la gauche radicale (liste non-exhaustive).

Je ne sais pas exactement ce que j’espérais, mais je voulais voir un vrai débat citoyen. Je voulais voir l’espace public réinvesti par le citoyen lambda qui, en ayant assez que l’on parle en son nom avec des idées qui ne sont pas les siennes, aurait décidé de reprendre la parole, de se mêler à nouveau de la politique pour débattre de fond, avancer des propositions concrètes, argumenter.

Au bout de quelques minutes, l’un des premiers participants déclare quelque chose comme: « J’ai besoin d’amour. On a tous besoin d’amour. Merci d’être là. » Le ton, mâtiné d’un vieux relent hippie/soixante-huitard, est donné. Les orateurs se succèdent, babillant des messages creux, récitant des lieux communs, communiant dans la critique du système. C’est comme une longue suite de doléances, tantôt sur les politiciens, tous pourris et corrompus, tantôt sur le consumérisme et les banquiers qui nous volent notre argent.

Ceux qui veulent s’exprimer notent leur nom sur un bout de papier, mais de toute évidence la spontanéité fait défaut: toutes les dix minutes environ, l’un des organisateurs doit exhorter l’assistance à prendre la parole, faute d’avoir suffisamment de participants qui veulent s’exprimer. Un représentant de COMAC (jeunesse du PTB) prend le micro, déplore l’achat par le gouvernement d’avions F16, fait la pub d’une manifestation (sans préciser, bien sûr, l’association qui l’organise). Une de ses camarades viendra prendre la parole un peu après, l’air de rien.

On parle des lois, forcément instaurées par d’obscures élites pour mieux asservir les plus faibles, de notre système éducatif qui nous formate et gomme nos identités -comme si l’identité, justement, ne se construisait pas par l’éducation. On entend par moment des envolées aux accents rousseauistes: « Pourquoi tout réguler partout tout le temps, alors que l’Homme est bon par nature? ».

On critique Coca-Cola et le grand capitalisme, les multinationales qui exploitent les ouvriers du tiers-monde et détruisent les éco-systèmes. Mais quand, au moment de prendre une photo de l’assistance, l’organisateur demande « Qui a un smartphone?« , tout le monde en dégaine un de sa poche avec un naturel stupéfiant. Qu’importe que la fabrication d’un tel appareil ait nécessité le travail d’enfants ainsi que la mise à sac de lointaines régions du monde pour leurs ressources en minerais! Même ici, les plus nobles idéaux d’écologie et de défense des droits de l’Homme ne semblent pas prévaloir sur le droit à disposer de son smartphone.

Durant presque trois heures, je reste assis, au cours de cette Nuit Debout, assis à écouter. J’hésite longtemps à me lever pour prendre la parole, mais finalement, peut-être à tort, je renonce. Que dire? Quels arguments avancer quand c’est le cadre même du débat qui semble faire défaut? Que proposer, lorsque le débat de fonds est absent et qu’il manque de toute évidence la condition la plus élémentaire à son existence: la pluralité d’opinions.

À l’instar de « Tout Autre Chose« , Nuit Debout est un mouvement qui est né par opposition avec la chose politique telle qu’elle existe aujourd’hui. Le politicien, vénal et corrompu, est conspué avec force vivats. « Ici, on ne veut pas des politiques! » martèle-t-on plusieurs fois au cours de la soirée, comme un credo.

Pourtant, à mes yeux de jeune engagé, raviver la conscience citoyenne ne peut se faire, au contraire, qu’en décloisonnant le politique du champ restreint où on l’a mis et donc en s’appuyant sur les institutions politiques actuelles.

Réinvestir l’espace public reste bien évidemment un enjeu capital pour le citoyen du XXIe siècle. En ce sens, le concept même de Nuit Debout marque un pas dans la bonne direction. Mais recréer un vrai débat citoyen ne peut pas se faire comme ça, dans son coin, dans un entre-soi bien-pensant, avec ceux qui le veulent bien – et dont on veut bien! Une telle mise en scène de démocratie ne sert plutôt qu’à nous donner une bonne conscience… mais tellement pauvre.

Voilà pourquoi je n’ai pas pris la parole lors de cette Nuit Debout.

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