© Image Globe

Pourquoi Bart De Wever protège Alain Mathot

Suspecté de corruption dans le dossier Intradel, le bourgmestre PS de Seraing bénéficie de soutiens flamands inattendus pour échapper à la justice. Le fonds de pension liégeois Ogeo Fund est très présent dans le secteur immobilier anversois via Land Invest Group. Ceci expliquant cela ?

La scène se déroule en avril 2015. Lors d’une réception donnée au cercle De Warande (qui se veut La fenêtre de la Flandre à Bruxelles) apparaît le bourgmestre de Liège et président de la fédération liégeoise du PS, Willy Demeyer (PS), flanqué de sa compagne, Michèle Lempereur, lobbyiste professionnelle, et de l’ex-beau-fils de celle-ci, Alain Mathot, député fédéral socialiste et bourgmestre de Seraing. La famille, le pouvoir et l’argent (des intercommunales) réunis au QG de l’élite flamande ? Une scène pas si incongrue que ça.

Depuis novembre 2011, Alain Mathot, 43 ans, est inculpé pour corruption et blanchiment d’argent dans le cadre du dossier Intradel : 13 millions d’euros auraient été distribués à des intermédiaires par la société française Inova en vue d’obtenir le marché de la construction du nouvel incinérateur de l’intercommunale Intradel, à Herstal. Le corrupteur présumé est passé aux aveux. Il charge Mathot, qui ne parvient pas à justifier l’origine de certaines de ses dépenses en cash mais qui nie toute forme de corruption.

Il y a un an, déjà, le parquet général de Liège demandait la levée de l’immunité parlementaire du député, dernière étape avant la demande de renvoi de la vingtaine d’inculpés (personnes physiques et sociétés) devant le tribunal correctionnel de Liège. Alain Mathot et ses avocats (dont certains sont également ceux de la fédération liégeoise du PS) ont été auditionnés par la commission des poursuites, le 26 novembre 2015. Christian De Valkeneer, le procureur général de Liège, a eu droit à sa séance, le 27 janvier dernier. Ensuite, Mathot et ses avocats sont revenus plaider, le 17 février.

Selon toute apparence, un « pré-procès Mathot » s’est déjà tenu à huis clos, entre pairs, sans respecter les règles du débat contradictoire qui exige notamment un jeu de ping-pong entre l’accusation et la défense devant un « tribunal » impartial. Les députés se sont plongés dans l’épaisseur du dossier répressif bien au-delà de ce que la loi commande, qui est de vérifier l’absence d’instrumentalisation politique de la justice. En 2014, pour un écart de conduite automobile, le député wallon Sébastian Pirlot (PS) avait vu son immunité levée, à sa demande, et il a bénéficié d’un non-lieu. Pourquoi en irait-il autrement avec Alain Mathot ? On capte des bribes de justification. Cet homme politique est la garantie de bonne fin de la rénovation urbaine de Seraing, à laquelle il se consacre corps et âme. Le dossier du juge d’instruction liégeois Philippe Richard est mal ficelé. Le garçon est gentil. Il a fait l’objet d’un acharnement judiciaire et médiatique, il est temps d’arrêter le supplice. Et d’envoyer un message au Parquet. Sévère.

Lors de la dernière réunion de la commission des poursuites du Parlement, les sept membres qui la composent ont dévoilé leurs intentions. En faveur de la levée : un MR (Denis Ducarme) et un CD&V (Raf Terwingen). En défaveur : une PS (Karine Lalieux), un S.PA (Hans Bonte), une Open VLD (Carina Van Cauter) et deux N-VA (Hendrik Vuye et Zuhal Demir). Le compte est bon, la messe est dite. Sauf si les députés changent d’avis le 18 mars, ou qu’en séance plénière, le Parlement s’émancipe de ce 5-2, le procès dit de l’ « affaire Mathot » se tiendra sans celui qui lui a donné son nom. Des 13 millions payés à des intermédiaires, les 720 000 euros dédiés (ou pas) au fils de Guy Mathot resteront orphelins. Les autres inculpés devront s’expliquer sans l’héritier : Philippe Leroy (le corrupteur présumé, ex-PDG d’Inova-France), l’homme d’affaires Léon-François Deferm, grand ami de la famille Mathot (également du temps du père), Roger Croughs (ancien collaborateur de Guy Mathot et directeur-général d’Intradel), un ancien échevin PS de Honnelles (Hainaut) Alain Basilien, les consultants Dominique Cerutti et Adelio Tarchini…

L’explication du soutien N-VA

La question se pose légitimement. Pourquoi des Flamands de droite se mobilisent-ils pour un député qui représente tout ce que la Flandre profonde dit détester (le socialisme wallon) et qui justifie la conception de deux démocraties au sein de la Belgique chère à Bart De Wever ? Attardons-nous sur le cas N-VA et Anvers.

En 2013, le site d’investigation indépendant Apache révélait la présence du capitalisme public liégeois dans la Métropole via le fonds de pension Ogeo Fund, dont l’administrateur délégué est Stéphane Moreau, patron de Tecteo-Nethys et bourgmestre d’Ans (PS). Ogeo est l’un des cinq premiers organismes de financement de pensions du pays, avec un milliard d’euros d’actifs sous gestion en 2014. Il est particulièrement gourmand d’immobilier, gage de rentes régulières et plantureuses pour ses affiliés.

A Anvers, Ogeo et Elba Advies (Paul et Marc Schaling) sont actionnaires du Land Invest Group (Lig), lequel possède la société Kattendijkdok et une partie de la Société d’investissement foncière (Sif). Les projets du bras armé d’Ogeo sur Anvers sont ambitieux : construction d’une tour de 44 mètres sur le site de l’ancien garage Renault, rénovation d’un quartier du Port (Westkaai-Kattendijkdok), revitalisation du site Slachthuis et, via Immpact Vastgoed (dont Land Invest possède la moitié), mise en valeur de l’ancien terminal ferroviaire Park Spoor Oost… Land Invest Group a aussi d’autres projets dans le reste du pays (Namur, Forest) mais Anvers est sa place forte.

A l’époque des révélations d’Apache, le chef de cabinet du bourgmestre Bart De Wever était Joeri Dillen, un architecte urbaniste contesté à ce poste car, dans une vie antérieure, il avait joué un rôle opérationnel dans trois sociétés dépendant d’Ogeo Fund : Land Invest Group (Lig), Kattendijkdok et la Sif (dont le conseil d’administration était présidé par Luc Vanden Bossche, ancien ministre socialiste flamand reconverti dans les affaires et président de Optima Global Estate, active dans l’immobilier). Joeri Dillen avait même été, pendant huit mois, sur le pay-roll du fonds de pension liégeois. Alain Mathot figurait dans cette galaxie immobilière anversoise. « Nos informations n’ont jamais été démenties », confirme au Vif/L’Express, Georges Timmerman, fondateur d’Apache.

Si Dillen n’est plus le chef de cabinet de De Wever depuis l’été 2014 et qu’il s’est retiré de Land Invest Group, les intérêts en présence n’ont pas fondamentalement changé. Un autre lobbyiste s’active dans l’entourage de Bart. Il est proche d’Alain Mathot en dépit de leurs généalogies politiques opposées. Eric Van der Paal est, en effet, toujours selon Apache, le fils de Rudi Van der Paal, qui fut le financier du nationalisme flamand dans toute sa splendeur (Volksunie, Vlaams Belang, N-VA). Van der Paal est aussi un partenaire de la famille Schaling, associée à divers étages à Land Invest Group.

Les Anversois ne sont pas en roue libre. Le Vif/L’Express a vérifié, à travers les comptes annuels 2013-2014 déposés par Land Invest Group à la Banque nationale de Belgique, que des Liégeois(e)s y étaient fortement impliqués. Michel Stultjens, qui a été le secrétaire communal de Seraing pendant dix-neuf ans et qui était considéré comme le second homme fort de la commune après Guy Mathot, est administrateur de Land Invest Group, via sa société MG Co. Il est également administrateur de Jambes-Magondeaux (propriété de Land Invest Group) active dans l’immobilier namurois, ainsi que dans la Kattendijkdok (filiale de Land Invest Group). Marc Beyens, membre du comité de direction d’Ogeo Fund jusqu’en 2014, est administrateur de Land Invest, ainsi que de l’immobilière anversoise Immpact Vastgoed, semble-t-il, en son nom propre. Emmanuel Lejeune, membre du comité de direction d’Ogeo Fund, figure au CA via sa société ELJ Consulting. On retrouve également, dans le conseil d’administration, une ancienne collaboratrice de Stéphane Moreau à la commune d’Ans, Valérie Dardenne. Les non-Liégeois sont également intéressants. Outre Marc Schallling, se trouve représentée la Luc Vanden Bossche Management. Plusieurs de ces mandats ont expiré le 19 février 2016.

Intérêts financiers croisés

Apparemment, Land Invest Group n’intervient pas à Seraing, où les projets Cristal Park (sur le site des cristalleries du Val-Saint-Lambert) et Gastronomia semblent au point mort. Le bourgmestre Mathot va les représenter au Mipim de Cannes, ce qui n’est pas de très bon augure (les bases du projet avaient été jetées par Guy Mathot, décédé en 2005).

Certes, à Seraing, Ogeo Fund a positionné un million d’euros dans le projet Cristal Park mais sans prendre de risque : cet argent est garanti par la Ville de Seraing. Donc, par les contribuables sérésiens. En revanche, Ogeo Fund et Land Invest Group voient grand au Canada. Ils veulent investir dans le projet Aspotogan Ridge : un luxueux condominium en bordure d’Atlantique où seront nichées 470 villas, avec golf et dispositif de santé et d’éducation intégré. Un îlot de prospérité hors-sol, avec ses propres règles de vie en commun. Le 7 août 2014, Marc Beyens, Emmanuel Lejeune et Michel Stultjens ont signé un accord entre Ogeo Fund et Land Invest Group en vue de financer Aspotogan Ridge. Marc Beyens est l’opérateur de cet investissement à travers Aspotogan Ridge Limited Partnership. Des dispositions ont été prises, le 30 janvier 2015, pour ne pas mettre en péril le fonds de pension Ces intérêts financiers croisés forment la toile de fonds de la défense d’Alain Mathot. Ce tableau en clair-obscur montre que la Belgique de papa n’est pas morte et que les ennemis d’un jour de rentrée parlementaire peuvent très bien se rejoindre pour bâtir des gratte-ciel au soleil. Willy Demeyer n’était pas un intrus au cercle huppé De Warande.

Lors de la séance plénière de la Chambre qui devra se prononcer sur la levée de l’immunité parlementaire du député liégeois, le rapporteur de la commission des poursuites, Raf Terwingen, prendra la parole. Ensuite, s’il le souhaite, Alain Mathot, s’exprimera, ainsi qu’un orateur « pour » et un orateur « contre ». Quel sera l’attitude de Bart De Wever ? Ses parlementaires suivront-ils la ligne Vuye ? Et les autres ? Pour éviter ce moment de vérité potentiellement embarrassant et humainement cruel, Laurette Onkelinx (PS), cheffe de groupe PS à la Chambre, tente de convaincre les autres partis de suivre la position de la commission des poursuites « par consensus », sans passer par un vote nominal. Une formule qui n’est pas exclue.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire