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Pourquoi 600 000 francophones ne savent pas lire

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

15 % de la population de la Fédération Wallonie-Bruxelles est incapable de lire, ou très mal. Tant parmi les adultes que les enfants. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la situation empire-t-elle ? Comment endiguer le phénomène ? Le Plan lecture présenté ce jeudi par Joëlle Milquet peut-il y contribuer ?

« Que nos enfants soit moins bons en lecture que ceux de Singapour, ce n’est pas ce qui me préoccupe. Ce qui m’inquiète, c’est que des enfants de l’enseignement primaire ne comprennent pas un texte. Cette situation est alarmante ». Ce constat, Philippe Hambye, sociolinguiste à l’UCL et membre du Conseil de la langue française et de la politique linguistique, n’est pas seul à le poser. « C’est une catastrophe nationale, lance Benoît Dubois, éditeur et président de l’Association des éditeurs belges. Le nombre de gens qui ne lisent pas explose. » La Fureur de Lire, qui aura lieu du 7 au 11 octobre en Belgique francophone, ne touchera pas tout le monde. Hélas.

Les chiffres le confirment, en rafales. A la fin de la 4e primaire, un enfant sur quatre, en Belgique francophone, est un lecteur précaire, c’est-à-dire qu’il lit avec difficultés ou ne comprend pas le sens de ce qu’il lit, selon l’étude quinquennale PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study), qui date de 2011. Autrement dit, il aura perdu le sens de la lecture avant 18 ans ! « Personne ne voudrait que son enfant figure dans ces 24 % », insiste Philippe Hambye.

Le résultat enregistré par la Belgique est l’un des pires de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) : un quart seulement des élèves de 4e primaire sont des lecteurs confirmés et 6 % ne savent pas indiquer le titre du texte qu’ils sont supposés avoir lu. Cela place la Belgique, dans ce classement international, juste au-dessus de la Roumanie. Plus encore ? Quelque 6 % des enfants échouent à l’épreuve de français lors du CEB, le certificat d’études de base, dont 262 000 francophones sont dépourvus. Et 15 % des jeunes quittent l’école secondaire en cours de route, sans diplôme et sans l’usage fonctionnel de la lecture !

A l’échelon national, officiellement, l’illettrisme est supposé toucher 10 % de la population. Aucune statistique fiable ne peut pourtant assurer que ce n’est pas davantage : les acteurs de terrain soulignent tous que c’est un strict minimum. « Si on prend en considération les étudiants du secondaire qui sont en échec et les enfants qui n’ont pas décroché leur CEB, on arrive bien sûr à plus de 10 % de la population », calcule Cécilia Locmant, chargée de mission chez Lire et Ecrire. A la grosse louche, 600 000 francophones au moins ne seraient donc pas capables de lire, ou pas correctement, en 2015. Soit 15 % de la population bruxelloise et wallonne. Que se passe-t-il donc ?

Manifestement, il n’y avait pas de consensus politique, en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour prendre le dossier de la non-lecture à bras-le-corps. Les compétences qui concernent cette matière (enseignement, culture, petite enfance) étaient, il est vrai, réparties entre des ministres distincts. Les résultats d’un plan de relance de la lecture ne se voient pas non plus en une législature : il faut compter au moins dix ans, ce qui explique peut-être le moindre intérêt des responsables politiques pour ce dossier. Mais sous cette législature, Joëlle Milquet cumule les trois casquettes. L’occasion est trop belle pour ne pas élaborer un plan transversal.

En voici les grandes lignes :

  • La rédaction d’un programme de référence en matière de lecture pour les enseignants de l’école maternelle, inexistant aujourd’hui.
  • Le renforcement du programme de référence actuel pour les professeurs du primaire.
  • La possibilité d’un accompagnement personnalisé pour les élèves en difficultés de lecture.
  • L’utilisation de manuels et d’ouvrages de littérature jeunesse, en lieu et place des photocopies.
  • L’approfondissement, en secondaire, du travail sur l’écriture et la lecture.
  • L’accueil plus régulier d’auteurs dans les écoles.
  • Le renforcement des collaborations entre écoles, librairies et bibliothèques.
  • La rédaction et la diffusion d’un livre de sensibilisation à la lecture via les centres ONE. Traduit en arabe et en turc, il expliquera aux parents pourquoi il est important de lire aux enfants dès le plus jeune âge.
  • Le lancement d’un site Web qui permettra aux professeurs de partager leurs techniques d’enseignement les plus performantes en matière de lecture.

Ce dimanche 4 octobre, le Théâtre Le Public, en partenariat avec Le Vif/L’Express, la Foire du livre et le Syndicat des libraires francophones de Belgique, organise un évènement « spécial libraires ». A 16 heures, l’ensemble vocal Méli-Mélo y jouera le spectacle Page Blanche – Un opéra de bibliothèque. Un débat suivra, auquel participeront les différents acteurs du marché du livre.

Renseignements et réservations: 0800 944 44.

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