© Image Globe/BENOIT DOPPAGNE

« Pour survivre, les dirigeants minimisent la crise »

22 avril 2010 : l’Open VLD d’Alexander De Croo déclenche une tornade qui balaie Parlement et gouvernement. La Belgique ne s’en est toujours pas remise. Sa réputation, non plus : entre Flamands et francophones, le vernis de la coexistence harmonieuse a craqué.

Il fallait le faire. Même si, planifié de très longue date, le coup n’était pas voulu. Plus de 300 politologues du monde entier invités à cogiter trois jours durant, à Bruxelles, sur le thème « Etre gouverné au XXIe siècle » : vu l’état de santé politique du pays hôte, l’endroit devenait rêvé pour un tel brainstorming organisé par l’aile francophone de l’Association belge de science politique. Il n’était pas prévu de disséquer en particulier le malade belge. Deux orateurs, Pierre Verjans, politologue à l’université de Liège, et Dave Sinardet, politologue à la VUB et à l’université d’Anvers, prennent néanmoins le pouls du comateux.

Le Vif/L’Express : La Belgique, un beau cas d’école. Et un cas désespéré ?

Pierre Verjans : Elle ne l’est pas pour les Flamands les plus nationalistes. L’état de dysfonctionnement permanent au niveau fédéral répond à leurs v£ux : le pouvoir fédéral peut se passer de gouvernance démocratique, une gouvernance technique suffit.

Le pays peut-il tenir indéfiniment de la sorte ?

Non. On touche au principe même du fonctionnement de la démocratie quand on évolue dans un système où les ministres n’ont plus à craindre une sanction du Parlement.

La Belgique, longtemps vantée comme modèle d’accommodement et de coexistence entre ses communautés : une page se tourne ?

Dans quel sens évoluera le système ? Mystère. Les dirigeants politiques, pour survivre, considèrent que là n’est pas le plus important. Ils préfèrent minimiser l’impact de la crise sur le système. S’ils n’agissaient pas ainsi, ils ne pourraient accepter la situation actuelle.

Quand le « vivre ensemble » est confronté à une telle fracture, ne faut-il pas se rendre à l’évidence et s’incliner devant une scission du pays ?

On ne peut remplacer le système actuel par du vide. Envisager la scission aboutit au même constat : gérer la fin du pays serait encore plus difficile et prendrait un temps fou. Un déplacement du centre de gravité du niveau fédéral vers les entités fédérées pourrait faciliter une telle négociation. Mais dans une étape ultérieure.

En attendant, le ton monte. Le député CD&V Eric Van Rompuy parle de « langage de guerre » à propos d’un projet de Fédération Wallonie-Bruxelles. L’homme fort du PS bruxellois, Philippe Moureaux, invite les francophones à « creuser des tranchées. » Inquiétante escalade verbale ?

Elle n’impressionne plus l’observateur politique de longue durée. Disons qu’on en est au stade de la préparation d’artillerie, pas au moment de faire monter l’infanterie….

Les Flamands accusent les francophones d’être dans une logique de plan B avec leur projet de Fédération Wallonie-Bruxelles : c’est le monde à l’envers ?

Les Flamands feignent de croire aux intentions francophones. C’est bien le problème : à force de faux-semblants adoptés de part et d’autre, on risque de se laisser prendre au jeu.

Les francophones, de l’autre côté, ont été incroyablement lents à la détente avant de prendre la mesure de la volonté flamande d’autonomie. Comment expliquer cet aveuglement ?

Tout simplement par un manque d’intérêt réel. La vocation des politiques francophones est d’être élu et réélu par des francophones. L’urgence qui domine cette attention l’emporte sur l’intérêt que l’on peut prêter aux revendications de ceux avec lesquels on gouverne.

John Stuart Mill, penseur britannique du XIXe siècle, estimait quasi impossible qu’une démocratie stable puisse fonctionner dans un pays plurilingue. La Belgique ne lui donne-t-elle pas raison ?

Faux raisonnement. La Suisse est plurilingue et sa démocratie fonctionne. Le problème de la Belgique, c’est qu’elle cumule les handicaps : le clivage ethnico-linguistique recouvre un clivage gauche-droite. Et ces lignes s’additionnent au même endroit, à la frontière linguistique.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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