Attribuer un même avantage fiscal pour chaque enfant plutôt que privilégier la rêgle nataliste. © CATHERINE FALLS/GETTY IMAGES

Pour l’égalité fiscale des enfants

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Exclusif : la Ligue des familles propose de supprimer le « rang » de l’enfant dans les réductions fiscales pour enfant à charge, comme pour les allocations familiales. Les droits acquis seraient maintenus. Une réforme a priori pleine de bon sens.

C’est d’une logique implacable. Difficile de prétendre le contraire. Alors que la réforme des allocations familiales est sur les rails ou presque dans toutes les entités fédérées, la Ligue des familles s’attaque à un nouveau chantier en faveur des parents. Un chantier fiscal, cette fois, dont la Ligue a réservé la primeur au Vif/L’Express. Les parents qui remplissent leur déclaration d’impôt chaque année connaissent bien cette case, dans le chapitre  » charge de famille  » : la 1030-37, où il faut indiquer le nombre d’enfants qui, fiscalement, sont totalement à leur charge. Elle donne droit à une réduction d’impôt non négligeable, qui augmente en fonction du rang de l’enfant. Elle devient particulièrement intéressante pour le troisième enfant à charge.

L’objectif est de mieux soutenir les parents d’un ou deux enfants.

La Ligue des familles veut supprimer ce système de rang, à l’instar de ce qui se fait pour les allocations familiales, afin d’instaurer une plus grande égalité entre les enfants. Pour bien comprendre, reprenons depuis le début. Il y a plusieurs années, la sixième réforme de l’Etat a consacré le transfert de nouvelles compétences aux Communautés et Régions, dont celle des allocations familiales. La Ligue a profité de l’occasion pour militer en faveur d’une réforme en profondeur de ce système de redistribution. Depuis la nuit des temps, le montant des allocations évolue avec le rang de l’enfant, soit (hors majoration) 95,80 euros pour le premier enfant, 177,27 euros pour le deuxième, 264,67 pour le troisième, etc. L’idée de la réforme était de rebattre les cartes de cette règle nataliste qui favorise les familles nombreuses et d’attribuer un même montant pour chaque enfant.

La Ligue a obtenu gain de cause. Lentement mais sûrement, la réforme est en cours dans toutes les entités du pays. Côté francophone : à partir de janvier 2020, en Région bruxelloise et en Région wallonne, les familles recevront un montant de base identique, de 150 euros à Bruxelles et 155 euros en Wallonie, pour chaque enfant jusqu’à 17 ans, et un peu plus pour les 18 à 24 ans. Ce qui, par rapport au système actuel voué à disparaître, revient à augmenter l’allocation pour les parents qui ont un ou deux enfants, soit la grande majorité des familles belges. Les familles de trois enfants et plus verront, elles, leur allocation globale diminuer. Mais le maintien des droits acquis pour les enfants nés avant 2020 est prévu dans les deux Régions.

Pour Philippe Defeyt, économiste, le système de redistribution
Pour Philippe Defeyt, économiste, le système de redistribution  » est devenu illisible « .© DR

Mieux pour les familles d’un ou deux enfants

C’est également pour mieux coller à la réalité sociologique d’aujourd’hui, que la Ligue s’attaque désormais à la fiscalité familiale, souvent grande oubliée des chantiers des politiques. Suivant la même logique égalitaire, elle propose, ici aussi, de supprimer le système de rang pour la quotité exemptée d’impôts pour enfant à charge. En effet, plus le nombre d’enfants est élevé, plus l’avantage fiscal est important. Il augmente de manière particulièrement conséquente à partir du troisième enfant. Ainsi, pour l’exercice d’imposition 2019, la quotité exemptée (donc, la partie de revenus sur laquelle on ne paie pas d’impôts) est de 1 580 euros pour un enfant à charge, 4 060 euros pour deux enfants, 9 110 euros pour trois enfants…

A nouveau, cela ne favorise pas la grande majorité des familles (84 %) qui ont un ou deux enfants. Celles avec un seul enfant – soit près de la moitié des familles belges (48 %) – sont particulièrement peu soutenues fiscalement. Notre tableau montre les économies d’impôt réelles réalisées en fonction du type de famille et du nombre d’enfants. Ce calcul a été réalisé par SD-Worx en 2016 à la demande de l’ex-ministre N-VA des Finances, Johan Van Overtveldt, qui voulait analyser l’impact des différentes formes de cohabitation sur la fiscalité, mais n’a rien entrepris par la suite. Comme le dit l’économiste Philippe Defeyt, l’un des experts consultés par la Ligue des familles :  » La différence de traitement en fonction du nombre d’enfants est encore bien plus importante sur le plan fiscal que sur celui des allocations avant la réforme du rang. Changer ce principe est une question de bon sens, d’autant qu’en Belgique on a construit un système de redistribution qui est devenu illisible.  »

Caroline Tirmarche, responsable du service d'étude de la Ligue des familles.
Caroline Tirmarche, responsable du service d’étude de la Ligue des familles.© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Un véritable crédit d’impôt, sans limite

La Ligue propose dès lors d’appliquer le même avantage fiscal par enfant quel qu’en soit le nombre par famille. Mieux encore, elle souhaite transformer la quotité exemptée actuelle en un véritable crédit d’impôt, dont le montant serait forfaitaire par enfant.  » Contrairement à la réduction d’impôt, le crédit d’impôt est remboursable, sans limite, explique l’économiste Christian Valenduc, professeur à l’UCLouvain, également consulté par la Ligue. Cela permettrait à tout le monde de bénéficier de l’avantage fiscal, y compris ceux qui ne paient pas ou trop peu d’impôts que pour pouvoir en être exempté.  » Le crédit d’impôt est d’ailleurs appelé impôt négatif car il est  » remboursé  » au contribuable même si celui-ci ne paie aucun impôt parce que, par exemple, ses revenus sont très bas.

Dans les hypothèses envisagées par la Ligue, cet avantage fiscal pourrait se concrétiser soit en un montant identique par enfant calculé en fonction d’une répartition du budget actuel, soit en un montant simple et transparent par enfant de 100 à 150 euros par mois, selon le choix politique pris. Comme pour les allocations familiales, cela permettrait de mieux soutenir les parents d’un ou deux enfants. Cette réforme reviendrait, en réalité, à octroyer une allocation supplémentaire aux familles. Ce crédit d’impôt pourrait être versé chaque mois, plutôt qu’annuellement. Les possibilités sont multiples. L’employeur pourrait lui-même verser le montant sous forme de précompte négatif et être ensuite remboursé par le fisc. Cela pourrait aussi passer par les caisses d’allocations familiales qui ont l’avantage de déjà bien connaître les ménages parentaux.

Pour que personne n’y perde, la Ligue prévoit, ici encore, que les droits acquis pour les enfants nés avant la réforme proposée soient maintenus. Cela ne devrait pas poser de problèmes, sauf peut-être au niveau du budget. Car la transition d’un système vers l’autre – alliant le maintien des droits acquis et la hausse des montants aux familles de un à deux enfants – aurait un coût inévitable, mais qui ne serait pas énorme.  » Bien moins qu’un tax-shift « , sourit Philippe Defeyt. Tout dépendrait de la manière dont la transition serait organisée. En outre, les ménages avec plus de trois enfants deviennent rares (4 %). Et, au fil des années, les ménages de l’ancien régime avec trois enfants (10 % aujourd’hui) tendraient à diminuer fortement. La question budgétaire s’est aussi posée pour la réforme des allocations, sans que cela ne devienne un frein.

Pour l'égalité fiscale des enfants

Diviser les avantages entre les deux parents

Autre suggestion de la Ligue : les avantages fiscaux liés aux enfants devraient être d’office divisés entre les deux parents, quelle que soit leur situation conjugale (mariés, cohabitants légaux ou de fait, divorcés, séparés…).  » Il s’agirait d’une mesure de simplification administrative, argumente Caroline Tirmarche, responsable du service d’étude de la Ligue. Chaque parent aurait droit à la moitié des avantages fiscaux du simple fait qu’il est parent. Par avantages fiscaux, nous entendons le crédit d’impôt que nous suggérons dans notre proposition, mais aussi la réduction d’impôts pour frais de garde des enfants de moins de 3 ans.  »

Pour les couples mariés, cela ne changerait rien. Pour les cohabitants de fait, cela permettrait à chacun des parents de toucher la moitié des avantages, sans devoir passer, comme c’est le cas aujourd’hui avec la déduction pour enfant à charge, par un calcul compliqué et des discussions parfois difficiles. Pour les parents divorcés ou séparés, cela dépendrait du régime de garde. En mai 2018, la Ligue a proposé une même parité d’office pour les allocations familiales.  » Cela permet d’éviter des conflits dans le couple « , analyse Caroline Tirmarche.

Enfin, dans le cadre de la campagne électorale, la Ligue des familles avance aussi quelques plus petites propositions sur la fiscalité familiale. Notamment celle de ne plus considérer fiscalement comme isolés les cohabitants de fait qui ont des enfants. En effet, ceux-ci bénéficient d’avantages fiscaux plus importants que les cohabitants légaux et les couples mariés, le fisc ne faisant pas la différence entre isolés et cohabitants de fait. Pour la Ligue, il faut trouver le moyen de gommer cette singularité, ce qui permettrait d’octroyer des avantages plus importants aux véritables parents isolés.

La Ligue parviendra-t-elle à convaincre les candidats aux élections du 26 mai prochain ? Quid des partis flamands ? Elle n’a pas encore testé le monde politique sur ses idées fiscales. A priori, on pourrait penser que les formations familialistes, telles que le CD&V voire même la N-VA, pourraient être séduites. Les réformes avancées sont également avantageuses pour les plus bas revenus et les familles monoparentales. Elles pourraient donc s’inscrire dans les programmes des partis qui veulent mieux soutenir les moins aisées, y compris le MR qui propose d’augmenter la quotité exemptée d’impôts, ce qui profitera en particulier aux bas salaires.

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