Nicolas Baygert

Politique : partir un jour sans retour

Nicolas Baygert Chargé de cours à l'IHECS et maître de conférences à l'ULB

La politique est un écosystème capable de s’auto-reproduire en permanence – une machine « autopoïétique » – terme barbare désignant un système dont l’invariant fondamental est sa propre continuité.

L’échec personnel s’y conçoit de manière différente ; comme simple variable d’ajustement ne remettant pas en cause l’équilibre fondamental. Bilan superflu, recasage garanti. L’expérience – « ce nom que chacun donne à ses erreurs », dixit Oscar Wilde – primant sur la compétence.

Pour ses protagonistes, la politique se mêle à l’air vital. La pression atmosphérique si particulière au milieu fait que l’individu s’en trouvant tout à coup privé, semble suffoquer, manquer d’oxygène. Dépression assurée. La politique ? Une drogue dure, un sport extrême que certains mèneront jusqu’au collapse ultime. Objectif : mourir sur scène.

La politique ? Un sacerdoce. On entre en politique comme l’on entre en religion, pour en sortir, généralement, les pieds devant. Lâchés par leurs corps, certains chemineront vers le cimetière des éléphants, sans pour autant disparaître des radars. Songeons à Jacques Chirac qui, de son exil crépusculaire, soutient Alain Juppé, dont la symptomatique longévité fut récemment glorifiée par le prix « Humour et politique » du Press Club de France récompensant sa tirade : « En politique, on n’est jamais fini. Regardez-moi ! »

La carrière est longue. Malgré les traversées du désert, il faut tenir bon et veiller à ne surtout pas se faire oublier. Jeune retraité actif, Nicolas Sarkozy prit ainsi soin d’alimenter son récit politique à distance (principalement à coups de scuds lancés vers l’occupant normal de l’Elysée) tout en préparant son come-back.

Politique : l’obsolescence programmée semble également toucher les détenteurs du pouvoir.

Or, la mise au vert correspond de plus en plus à une mise à la casse. L’obsolescence programmée semble également toucher les détenteurs du pouvoir. Face au diktat de la nouveauté, du prêt-à-jeter, exit aussi bien l’homme du passé que « l’homme du passif ». En témoigne le retour raté de Nicolas Sarkozy. Le vintage ne fait plus recette, le « Sarko » réchauffé manquerait de saveur. Un paradoxe schizophrène : d’un côté, certes, la nostalgie des grands hommes (avec ou sans talonnettes) mais de l’autre, surtout, l’impératif de l’Homme nouveau. A la clé, une ringardisation en mode accéléré, de fort mauvais augure pour l’élu de métier. En 2012, questionné sur son futur, l’ex-Président déclarait : « Oui […]. Je ferai autre chose. Quoi ? Je ne sais pas. » Que faire d’autre, là est la question ; le retour au réel s’apparentant pour bon nombre d’ex-élus à un véritable saut dans le vide.

Pourtant, une série de départs annoncés remirent récemment en cause le concept même de « carrière politique ». La politique ? « Pas une fin en soi », estime Sabine Laruelle (MR). Prêt à suivre cette dernière, Melchior Wathelet (CDH), écoeuré, songeant « sérieusement » à quitter la politique, quitte à  » gâcher une carrière longue de dix ans » (du Francis Delpérée dans le texte). En France, après les anciens ministres Jean-Louis Borloo et Dominique Voynet, c’est au tour de l’ancien porte-parole d’Europe Ecologie-les Verts Jean-Philippe Magnen de partir et de déclarer : « La politique devrait être un passage de vie, pas une carrière. »

Un tabou semble brisé, ouvrant de nouvelles perspectives : une politique davantage envisagée comme mission, comme « CDD » et la réintroduction du principe de responsabilité. L’engagement public compris comme parenthèse, jusqu’au retour salutaire à la vie active – au réel.

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