© Yves Logghe/reporters

Politique : les papys font de la résistance

Louis Tobback, Philippe Moureaux, Raymond Langendries, Herman De Croo… Ces anciennes gloires de la politique belge brigueront en octobre un énième mandat de bourgmestre. D’autres vétérans, tels Gérard Deprez ou Jean-Luc Dehaene, continuent d’arpenter les travées parlementaires. Par addiction au pouvoir ? Par goût de la chose publique ?

Ils s’accrochent au pouvoir comme des moules à un brise-lames. Avec constance et naturel. Ils ont vu le jour bien avant l’Expo 58, parfois même avant la campagne de Mai 40. C’est dire s’ils ont de la bouteille. Ils ont assisté à toutes les péripéties de la maison Belgique depuis un demi-siècle : la guerre scolaire, les grandes grèves de l’hiver 60, la première réforme de l’Etat, les suivantes, le drame du Heysel, la marche blanche, les affaires à Charleroi… La plupart de leurs contemporains ont depuis longtemps quitté l’arène – fatigués, éjectés, dégoûtés, ou morts. Eux sont toujours là. Et ils ne comptent pas partir de sitôt.

La liste est longue de ces vétérans qui, dans cinq mois, brigueront un énième mandat de bourgmestre. Philippe Moureaux à Molenbeek, Raymond Langendries à Tubize, Louis Tobback à Louvain, Herman De Croo à Brakel, Léopold Lippens à Knokke, Marcel Neven à Visé, André Bouchat à Marche-en-Famenne… Tous pourraient jouir d’une confortable retraite. Au lieu de ça, ils préfèrent se jeter, une fois encore (la dernière ?), dans une épuisante course au maïorat.

A bientôt 68 ans, le socialiste Freddy Thielemans tentera ainsi de rempiler comme bourgmestre de Bruxelles-ville. Motif invoqué : il lui tient à c£ur d’achever une série de projets engagés, notamment le réaménagement du plateau du Heysel et la redynamisation du centre-ville. Des rumeurs insistantes indiquent toutefois qu’il pourrait céder l’écharpe maïorale à mi-mandat. « L’intention de Freddy Thielemans est bel et bien de continuer à exercer sa fonction de bourgmestre, corrige son attaché de presse. Il n’y a absolument rien de décidé quant au timing de sa retraite. Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. »

L’âge : ni un atout, ni un handicap

Le vieillissement de la population entraîne-t-il celui des représentants de la nation ? Ou, au contraire, la mode du jeunisme accélère-t-elle la rotation des élus, au détriment des plus anciens ? Ni l’un, ni l’autre, semble-t-il. « Sur le long terme, on n’observe pas de tendance claire concernant l’âge des parlementaires », rapporte Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles. Depuis le début des années 1980, l’âge moyen des mandataires reste stable, un peu en dessous de la cinquantaine, avec de légères fluctuations d’une élection à l’autre.

Pour l’heure, les plus de 65 ans demeurent des exceptions dans le monde politique. Toutes assemblées confondues, la Belgique compte 20 parlementaires qui ont dépassé l’âge de la pension légale. L’air wallon et bruxellois conserve-t-il mieux ? A moins que les électeurs, dans le sud du pays, soient plus conservateurs ?

Parmi ces vieux de la vieille, on ne dénombre que 5 néerlandophones (dont les députés européens Jean-Luc Dehaene et Annemie Neyts), pour 14 francophones et 1 germanophone.
D’un parti à l’autre, les règles qui s’appliquent aux aînés varient. Au PS, il n’est pas permis de se présenter à une élection au-delà de 65 ans, sauf dérogation. La même norme prévaut au CDH. « La volonté du président, c’est de supprimer la limite d’âge », indique toutefois la porte-parole du parti centriste. Un pas franchi depuis longtemps au MR, où rien n’empêche les sexagénaires et les septuagénaires de se porter candidat. Même tolérance chez Ecolo. « Ce serait une discrimination et une exclusion d’une fraction de la société », dit-on chez les verts. Le parti impose par contre des règles, notamment de non-cumul, pour favoriser le renouvellement de ses élus. Du coup, le député bruxellois Jean-Claude Defossé est, à 71 ans, le seul « pensionné » parmi les parlementaires Ecolo.

Pour Gérard Deprez, sénateur et vice-président du MR, c’est tout vu : en politique, l’âge n’est ni un atout ni un handicap. Agé de 68 ans, il ne voit aucune raison de se diriger vers la sortie. « Je marche, je pense, j’écris, j’interviens. Je fais le métier, quoi. Et je ne le fais pas trop mal, me semble-t-il. » Tout juste reconnaît-il poser un autre regard, plus distancié avec l’âge, sur les empoignades auxquelles se livrent ses collègues. « Je vois certains jeunes parlementaires prêts à se battre pour un petit truc ici ou là, comme si l’avenir du pays se jouait dans chaque virgule d’une proposition de loi. Moi, j’ai négocié trois réformes de l’Etat, et je sais qu’il y en aura encore trois, voire davantage. J’observe tous ces débats avec plus de sérénité. Mais j’ignore s’il s’agit d’un avantage ou d’un inconvénient. »

Dans tous les partis, la long-évité de ces papys coriaces irrite bien des jeunes loups, impatients de voir la place se libérer. L’attaque est facile : il suffit de moquer leur addiction au pouvoir, d’ironiser sur leurs manières archaïques. Mais on peut aussi épingler ce qu’il y a de respectable dans leur persévérance. Dans son dernier essai, le philosophe Régis Debray consacre quelques lignes aux hommes et femmes qui s’entêtent, année après année, à mettre leur vie au service de valeurs qui les dépassent. « Quand on mesure l’écart dans le domaine de l’action publique entre ce qu’on veut et ce qu’on peut, entre le but visé au départ et le but atteint à la longue ; quand on se rappelle qu’il n’est pas de secteur d’activité où la dépense d’énergie connaisse un rendement aussi bas, un retour sur investissement aussi dérisoire, on doit reconnaître qu’il y a de la grandeur à vouloir continuer et à continuer de vouloir – reconstruire l’Europe, refonder la gauche ou la droite, redresser le pays, restaurer l’espoir, etc. »

Et puis, les vieux renards de la politique ne s’accrochent pas tous à leur(s) poste(s). Certains tirent leur révérence de leur propre initiative, sans être contraints par leur parti, ni désavoués par leurs électeurs. C’est le cas de Guy Coëme, député fédéral PS et bourgmestre de Waremme. A 65 ans, il vient d’envoyer une lettre aux habitants de sa commune pour annoncer son retrait de la vie politique locale. « J’aurai 66 ans en août prochain, s’est-il confié au Soir. C’est moi qui, en tant que vice-président du PS à l’époque, ai fait voter des statuts selon lesquels un mandataire se retire quand il atteint l’âge de 65 ans. Ce principe, il est normal que je l’applique à moi-même. » L’ancien vice-Premier ministre explique qu’à son âge il y a deux façons d’agir. « Soit on se croit indispensable, on fait le vide autour de soi et on finit par ne plus pouvoir décrocher, soit on prépare sa sortie en formant des jeunes à qui l’on peut passer le flambeau, une fois ses objectifs atteints. » Son avenir ? Il compte reprendre des cours d’histoire à l’université, apprendre les langues, refaire du yoga, se mettre au golf, cuisiner auprès d’un chef. Pour autant, Guy Coëme ne quitte pas tout à fait la politique. Il reste député fédéral. Jusqu’en 2014. Au moins.

FRANÇOIS BRABANT

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