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Politique : de l’éthique sans traitement de choc

Le monde politique entend ses oreilles siffler, Di Rupo and Co annoncent des gestes forts pour redresser une cote en chute libre. C’est tout vu : énième accès de déontologie après d’autres essais avortés, parlementaires laissés libres de se faire mal, ministres soumis à une diète toute relative, cabinets toujours florissants. Plus d’éthique ? Beaucoup de toc.

Même avec un gouvernement fédéral un jour sur les rails, les élus du peuple vont devoir se racheter une conduite. La preuve : ce regain annoncé d’éthique politique, bien mis en évidence, en ouverture de l’accord institutionnel qui a été présenté en grande pompe à la mi-octobre. « Il est fondamental de retisser la confiance fortement ébranlée par la crise institutionnelle. Des réformes s’avèrent indispensables », assène le texte. Voilà qui sent le signal fort, le sursaut vigoureux.

CADEAU : UN TABLEAU DE BORD POUR GUIDER LE GOUVERNEMENT

Ça en jette. Le prochain gouvernement s’offre « un pilotage des politiques prioritaires sous forme d’un tableau de bord ». On sortira le grand jeu, pour la bonne cause. Et de un : « des évaluations périodiques basées sur des objectifs chiffrés », du moins « lorsque cela est possible », précise prudemment une note glissée en bas de page. Et de deux : rapport sera régulièrement fait à la Chambre sur ces évaluations. Bel effort de « transparence et d’efficacité », beau pas en avant sur la voie de la gouvernance. Passé le soulagement, une angoisse rétrospective : sans tableau de bord ni pilotage sérieux, on se dit que jusqu’ici les gouvernements devaient naviguer à vue. « Non, mais on systématise une démarche », précise-t-on dans l’entourage du formateur, « c’est un vrai « plus ». » « C’est plutôt cosmétique », rectifie un négociateur. Et pour tout dire, c’est un peu bling-bling.

LES PARLEMENTAIRES « ENCOURAGÉS » À SE FAIRE MAL

Conflits d’intérêts, rémunérations et indemnités, déontologie, missions à l’étranger : il est urgent de se ressaisir. Où qu’ils siègent (fédéral, Région, Communauté), les élus de la Nation vont être « encouragés » [sic] à accorder leurs violons sur la façon de resserrer les boulons. Au cas où l’envie les prendrait de passer à l’acte, ils auront bien à l’esprit cette petite phrase joliment tournée : « Etant entendu qu’un standstill sera prévu au bénéfice des règles les plus strictes. » Mais encore ? « Une éventuelle harmonisation des règles entre les assemblées parlementaires ne pourra se faire à la baisse », confesse ce négociateur soulagé, « on ne pourra pas détricoter ce qui a été acquis dans un parlement. » C’est déjà ça. Prendre la précaution de le consigner noir sur blanc en dit long sur l’enthousiasme à rogner sur les privilèges.

DÉPUTÉS FÉDÉRAUX TENUS À L’OEIL : DES PROMESSES, TOUJOURS DES PROMESSES

Les députés fédéraux devront filer droit. Coller aux recommandations d’un futur code de déontologie qu’une future commission de déontologie indépendante – mais qui dépendra de la Chambre – va rédiger.

Ce coup-là, on l’a déjà servi. C’était il y a bien longtemps, dans une autre déclaration gouvernementale. Celle que le Premier ministre Guy Verhofstadt (VLD) avait lue en octobre 1999 : « Le gouvernement invite à nouveau le Parlement à créer en son sein une commission déontologique qui sanctionne des conflits d’intérêts lors de l’exercice d’un mandat politique et qui introduit un système sévère d’incompatibilités à ce propos. » Fini de rire : un vent violent de renouveau politique se levait alors. Une commission parlementaire spéciale (la Crep) était même mise sur le coup. Le CVP claironnait à l’époque : « Les mandataires élus doivent se conformer à un code déontologique strict. » Le PS renchérissait alors : « La déontologie de l’élu passe par des règles déontologiques très strictes. » Un an et demi de cogitations, un catalogue ambitieux d’intentions. Mais à l’arrivée, la déontologie parlementaire laissée soigneusement sur la touche : de commission ou de code, il n’en fut plus question. « Quand il a fallu entrer dans le vif du sujet, les élus se sont montrés chatouilleux sur la question », se souvient le politologue Pascal Delwit (ULB), l’un des experts de la Crep.

Treize ans plus tard, retour à la case départ ? Pas du tout : cette fois sera la bonne, assure-t-on. « On ne laisse plus le choix à la Chambre. La commission de déontologie est un fait acquis », décode-t-on chez Ecolo. Mais le ton s’est radouci. Le futur « chien de garde » s’en tiendra à des avis, à des recommandations elles-mêmes inspirées des recommandations du code de déontologie. Rien de bien contraignant en vue. Sans doute rien de bien méchant. « La force morale des recommandations sera importante », assure-t-on dans le cercle du formateur. L’air du temps, qui est à l’austérité, le climat social, qui est à l’orage, suffiront ainsi à décider les parlementaires à répondre à l’aimable invitation du gouvernement : notamment tailler dans les fonctions spéciales (président et vice-président d’assemblée, secrétaire, questeur, etc.) et les indemnités complémentaires qui y sont liées. Après tout, les parlements wallon et de la Communauté française ont déjà indiqué la voie, après le scrutin régional de 2009 : « La rémunération du président du parlement wallon a été diminuée de 3 500 euros net par mois, celle de son homologue du parlement de la Communauté française de 28,1 %. Pour les vice-présidents et secrétaires : – 13,1 % », relève Jean Faniel, politologue au Crisp (1). Les élus fédéraux sauront-il à ce point se faire violence ?

L’accord scellé par le formateur Di Rupo maintient le flou artistique. Pourtant, il sait se montrer impératif quand il le veut. C’est entendu : le député qui démissionnera volontairement en cours de mandat se passera désormais d’indemnité de départ. Ce genre de largesse faisait trop mauvais genre : Sven Gatz (Open VLD), député régional flamand, en a fait récemment l’expérience, au point de renoncer à son bonus de 300 000 euros quand il a quitté prématurément la politique. Un autre coup dur attend les parlementaires : ils aligneront leur système de pension sur celui, moins avantageux, du secteur public. Mais l’adaptation se fera « progressivement », dit le texte. A un train de sénateur ?

DES MINISTRES MODÉRÉMENT À LA DIÈTE

Les prochains ministres fédéraux montreront l’exemple. Ils allégeront leur portefeuille. L’amputation est même chiffrée sur papier : « La rémunération des ministres sera diminuée de 5 %. » Le geste fort, à moins qu’il ne reste symbolique. Car son ampleur réelle reste à préciser : le souci du détail, ce sera pour plus tard. Or le sacrifice financier aura une saveur différente, selon qu’il porte uniquement sur le traitement brut imposable du ministre ou qu’il frappe aussi les indemnités forfaitaires pour frais, exemptées d’impôts. « Quoi qu’il en soit, une réduction de 5 % ne sera pas colossale », estime le politologue Jean Faniel, qui s’est livré à une simulation (voir encadré page 23). Les ministres wallons et de la Communauté française s’abstiendront. Eux, ils donnent déjà : 5 % de retenue pour modération salariale ! Jean Faniel recadre : « Cette retenue ne porte que sur le montant brut de leur traitement. Ni la composante de leur rémunération liée à l’indemnité parlementaire, ni les indemnités pour frais ne sont pris en compte. » Une façon de rendre la « douloureuse » toute relative.

Cet « impôt fédéral de crise pour ministre » risque d’ailleurs d’être un peu vain si le gouvernement fédéral, limité par la Constitution à 15 postes ministériels, s’enrichit une fois encore de secrétaires d’Etat (10 491,38 euros net par mois au 1er octobre 2010), voire de l’un ou l’autre commissaire de gouvernement, avec cabinets à l’appui. L’Open VLD, en campagne électorale, avait fait savoir qu’il n’en voulait plus. La logique le voudrait aussi, à l’heure où le fédéral va se dépouiller d’un paquet de compétences. Mais s’engager solennellement sur ce point, c’était trop demander. Le filon est trop précieux pour satisfaire les appétits politiques des partis appelés au pouvoir. Et sauf accident de parcours, ils seront six (PS-MR-CDH-CD&V-Open VLD-SP.A) de l’aventure. Les places seront chères.

DES MINISTRES GENTIMENT CUISINÉS

Les heureux élus au gouvernement n’auront guère le temps de souffler : six semaines après leur désignation, ce sera le grand oral devant la Chambre. Une occasion nouvelle pour les députés de sonder en commission ce que le nouveau ministre a dans le ventre, de le cuisiner sur sa vision personnelle des défis qui l’attendent. Certains, du côté de Groen ! notamment, rêvaient de corser l’exercice. D’en faire même un préalable à la nomination. A l’image de ces « entretiens d’embauche » que doivent passer les candidats commissaires européens devant le Parlement européen. Mais le modèle n’a pas été jugé transposable à l’échelle belge. On s’en tiendra à ceci : « A la fin de la séance, la commission de la Chambre formule d’éventuelles recommandations. » Une manière de tuer déjà le suspense. « La marge réelle de man£uvre du ministre, lié par l’accord de gouvernement, sera de toute façon étroite lors de cette audition », observe Pascal Delwit.

LONGUE VIE AUX CABINETS MINISTÉRIELS

Ils vont plutôt bien résister à ce nouvel accès de renouveau politique. L’accord ne cherche même plus à entretenir l’illusion. L’heure est à la lucidité, depuis que la montagne soulevée par le gouvernement arc-en-ciel (socialiste-libéral-écologiste) de Verhofstadt, il y a dix ans de cela, avait accouché d’une souris. On parlait alors de supprimer les cabinets ministériels tant décriés, de les reconvertir en « cellules stratégiques » de taille réduite. C’était quoi, ce délire ? La normalisation avait repris le dessus : 1 062 cabinettards étaient autorisés au fédéral à la fin des années 1990, ils sont encore 932 aujourd’hui. « Globalement, le nombre de collaborateurs ministériels fédéraux a été relativement peu affecté par la réforme », constate Jean Faniel (1).

Ils y sont, ils y restent. Mais les temps seront aussi un peu plus durs, avec un budget des cabinets gelé pendant deux ans. « Soit deux sauts d’index, au maximum une économie de 5 % », décode un négociateur. Supportable, sur un coût annuel estimé grosso modo à 50 millions d’euros. Et puis, on en restera là. « Aucune réflexion n’est annoncée sur un modèle de fonctionnement ou d’organisation des cabinets. C’est un peu étonnant », constate Pascal Delwit. Alors que « la persistance de ces super-administrations au-dessus des administrations pose toujours problème. Le triangle ministres/cabinets/hauts fonctionnaires n’est jamais correctement assumé », déplore Alain Eraly, professeur de sociologie à l’ULB et spécialiste en management public.

Ce n’était pas le moment de refaire le monde. L’avenir du pays, le sort de BHV, la rigueur budgétaire : il y avait bien d’autres chats à fouetter que de révolutionner de mauvaises habitudes. « Le volet éthique était une figure libre des négociations, qu’on a casée dans l’accord institutionnel en la bouclant en fin de parcours », dit-on du côté d’Ecolo. La formule a ses avantages : en jouant petit bras, on risque si peu de décevoir.

(1) Jean Faniel, « Le financement de la vie politique », dossier du Crisp, 2010.

PIERRE HAVAUX

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