Plaidoyer pour la Cour d’assises

A l’heure où le premier ministre, bien que timidement, parle d’introduire le référendum en Belgique ; à l’heure où les peuples se sentent incompris par une forme de technocratie nationale ou européenne et se réfugient dans le vote populiste, la volonté du ministre de la Justice de limiter à presque rien l’activité de la Cour d’assises en correctionnalisant l’essentiel des affaires criminelles va complètement à contre-courant.

Ainsi, le procès Westphael pourrait être un des derniers grands procès populaires. Quel dommage !

Certes, les Assises ont quelque chose de théâtral et de grandiloquent qui cadre peu avec l’idée que l’on se fait d’une Justice impartiale. Les effets de manche en font sa particularité. On a l’impression que le choix (et le coût) de l’avocat joue un rôle primordial dans le verdict final avec un jury populaire forcément influençable et sensible aux joutes de pénalistes rompus aux techniques des sophistes de la Grèce antique et qui peuvent faire passer des vessies pour des lanternes. L’intime conviction du juré faute de preuve incontestable a pu poser problème surtout dans une démocratie comme la France qui appliquait la peine de mort. Cette intime conviction guidera d’ailleurs les jurés dans le procès Westphael, entre l’accusé qui prétend que sa femme s’est suicidée et les conclusions du rapport d’autopsie qui plaident plutôt pour l’étouffement…

Le doute doit profiter à l’accusé selon l’adage « il vaut mieux un coupable en liberté qu’un innocent en prison ». Les juges populaires, de plus en plus aidés et encadrés par des juges professionnels au fur et à mesure des réformes qu’a subies l’institution des Assises, se verront rappeler ces évidences avant de se prononcer sur la culpabilité du fondateur du Mouvement de Gauche. Mais statistiquement, les jurés populaires ne sont pas plus expéditifs que les juges professionnels.

Malgré l’investissement en temps considérable (parfois plusieurs semaines), une fois passées l’incrédulité ou la gêne d’être choisi, le juré, généralement, prend un plaisir sain à suivre les débats (seuls les indépendants font des pieds et des mains pour être récusés : qui garderait la boutique ? Les salariés de grandes entreprises et les fonctionnaires, eux, sont « en vacances »). Les questions que le juré pose pendant le procès ou, en marge, aux juges professionnels voire dans la coulisse révèlent une maturité véritable et la volonté de bien faire.

Face aux délits les plus graves, les Assises participent d’une démarche de maturation sociétale

Le jury populaire et le décorum autour, coûteux ? Certes, la Justice belge est financièrement exsangue. Elle ne peut plus se permettre de procès fleuve. Mais, d’une part, pas mal de pénalistes ne sont pas convaincus que la correctionnalisation débouchera sur les économies escomptées et d’autre part, on parle ici d’une question morale : face aux délits les plus graves, les Assises participent d’une démarche de maturation sociétale plus indispensable que jamais en cette époque de perte de repères et à l’heure du retour du service civil et des cours ad hoc à l’école.

L’institution des Assises qui date de la Révolution française est incontestablement une école de civisme. Inscrite dans la Constitution, elle est aussi le dernier endroit qui échappe au gouvernement des juges.

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