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Philippe Moureaux  » On a fait le jeu de la N-VA « 

Pour Philippe Moureaux, le pays entre peut-être dans une nouvelle phase, périlleuse, « l’organisation progressive de la séparation ». Le sénateur fustige les erreurs stratégiques des francophones. Il avertit : on n’échappera pas à l’austérité. Interview

Le doyen de la politique belge ? Herman Van Rompuy a quitté l’imbroglio belgo-belge pour un business plus florissant, présider l’Europe. Jean-Luc Dehaene, après s’être pris les pieds dans le tapis BHV, a lui aussi déserté la scène nationale, non sans jurer qu’on ne l’y reprendrait plus. Quant à Herman De Croo, il laisse désormais à son fiston les flashs et les projecteurs. Reste Philippe Moureaux… Toujours sénateur, vice-président du PS, président de la fédération bruxelloise et bourgmestre de Molenbeek, à 71 ans. Tout l’été, il a participé en première ligne aux négociations destinées à former un nouveau gouvernement et à tracer les contours de la prochaine réforme de l’Etat. Ce qu’il y a vu et entendu le laisse, disons, sceptique. Entretien.

Le Vif/L’Express : On a l’impression que certains semblent tout à coup s’apercevoir que la N-VA est un parti indépendantiste, qui rêve de liquider l’Etat fédéral…

Philippe Moureaux : Nous sommes quand même quelques-uns qui ne l’avions pas oublié. Nous sommes devant une interrogation fondamentale : Bart De Wever veut-il un compromis, certes le plus favorable pour lui ? Ou veut-il précipiter les choses pour montrer que la Belgique est ingouvernable ? C’est une interrogation qu’on a depuis le début des négociations. En fait, je ne suis pas sûr que Bart De Wever a lui-même la réponse à cette question.

Dans les deux hypothèses, son but ultime reste la mort de la Belgique.

Oui, mais vous pouvez être dans un schéma progressif ou dans un schéma révolutionnaire.

Lors de sa mission d’information, Bart De Wever avait tenté d’établir des convergences entre les programmes du PS et de la N-VA. Après avoir passé deux mois à négocier avec la N-VA, percevez-vous l’existence de telles convergences ?

Sur le plan communautaire, il y a une semi-convergence. Le PS, historiquement, et à la différence des autres partis francophones, a toujours été pour une forme plus ou moins importante de fédéralisme. Evidemment, ce n’était jamais dans l’esprit de scinder la Belgique…

Et sur le plan socio-économique ?

Nos programmes sont aux antipodes. Mais si on fait un gouvernement ensemble, il faudra bien trouver, non pas des convergences, mais un juste milieu entre les deux thèses.

Vous considérez la N-VA comme un vrai parti de droite ?

De Wever est un vrai homme de droite. D’après ce qu’on voit, les dirigeants de la N-VA sont les porte-parole de cette classe moyenne de nouveaux riches, un peu arrogante. Cela se sent très fort dans leurs prises de position.

Les francophones ont fait le jeu de la N-VA ?

Inconsciemment, bien sûr. En refusant de régler BHV.

Les Flamands ont dû soulever des montagnes pour amener les francophones à la table. Vous comprenez que leur impatience vient de là ?

Sur BHV, ils ont eu l’impression qu’on les tournait en bourriques. Je comprends leur impatience. Je ne comprends pas qu’aujourd’hui ils peuvent récolter une grande partie de ce qu’ils souhaitaient et qu’ils disent que ce n’est rien du tout. C’est souvent comme ça. En politique, les trains s’arrêtent rarement en gare. Ils ont tendance à dépasser la gare.

Revendiquer l’élargissement de la Région bruxelloise, cela n’a-t-il pas contribué à braquer les Flamands et à pourrir le climat communautaire ?

On a tout de même le droit de dire ce qu’on considère comme l’idéal. Si les six communes à facilités de la périphérie étaient rattachées à Bruxelles, ce serait un soulagement pour tout le monde – et en particulier pour les Flamands. Car ce problème, c’est tout de même un chardon dans leur soulier. Ils inventent n’importe quoi pour essayer de flamandiser ces communes, sans y réussir. Cette revendication est intelligente, rationnelle. Mais voilà, j’ai bien compris que, symboliquement, ils ne pouvaient pas accepter.

Lors du 1er mai 2000, Laurette Onkelinx avait plaidé pour le passage aux 35 heures. Il y a quelques mois, la secrétaire générale la FGTB, Anne Demelenne, remettait sur le tapis la question de la réduction du temps de travail – l’un des combats historiques de la gauche. Comment percevez-vous ce débat, au moment où l’Etat fédéral doit économiser 25 milliards d’euros d’ici à 2015 ?

Nos sociétés européennes devront un jour choisir entre une réduction drastique du temps de travail et un système qui comprend une masse très importante de chômeurs. Pour le moment, on flotte entre les deux. Si on ne tranche pas à un moment, c’est la deuxième hypothèse qui va s’imposer. Mais l’opinion publique laissera-t-elle au monde politique la possibilité de trancher ? Pour le moment, il est très difficile de développer des stratégies à long terme, car l’opinion publique, dans tous les pays, s’oppose à ceux qui sont au pouvoir. Regardez Sarkozy ! Voyez ce malheureux Premier ministre grec à qui on reproche toutes les erreurs de la droite ! Obama a réussi une petite réforme, mais il a tout de même réussi quelque chose. Seulement voilà, il est désavoué par la population. Les socialistes ont raté un grand tournant quand ils étaient très majoritaires au sein de la Commission européenne, et qu’ils ont mené une politique centro-centriste, sans jamais oser prendre aucune mesure de gauche.

Vous ne craignez pas qu’à l’issue de la réforme de l’Etat le pays se retrouve enferré pour une décennie dans une logique de rigueur ?

Je le crains.

Pourra-t-on échapper à l’austérité, à un douloureux Plan global, comme celui concocté par Dehaene en 1993 ?

Ben, non…

On n’y échappera pas ?

Non.

Les dirigeants francophones, en particulier socialistes, multiplient pourtant les déclarations pour dire qu’on appliquera une logique de rigueur, mais sans verser dans l’austérité.

C’est du vocabulaire, ça. Une chose affreuse, c’est que nous sommes sous la coupe de ce qu’on appelle « les marchés ». Personne ne sait qui c’est. Moi, je suis marxiste, un peu révolutionnaire, mon âge ne m’en a pas dissuadé. Mais j’ai beau me tortiller dans tous les sens, ces crapules qui sont derrière les marchés, quelques personnes qui se remplissent les poches sur notre compte, elles s’imposent. Je ne peux pas leur échapper. Je serai obligé de mener cette politique… La différence entre la gauche et la droite, c’est de savoir si on va faire payer toute la facture aux travailleurs, et rien aux riches, ou si on va partager la facture. Je vous donne là une opinion personnelle.

Elle contraste avec le discours dominant au PS.

Ne vous faites pas d’illusion : on paiera tous une partie de la facture. Ces banques, ces financiers qui nous ont foutu là où ils nous ont foutus, ils sont venus pleurer pour que l’Etat les aide. L’Etat les a aidés. Maintenant, ils nous imposent une politique d’austérité, de rigueur…

Entretien : François Brabant et Pierre Havaux

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