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Philippe Maystadt : la lumière d’un sage

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Philippe Maystadt s’en est allé. Ce pilier de la démocratie chrétienne a marqué de son empreinte la Belgique du compromis et de la modération sociale. La construction européenne, aussi. Il rêvait d’une grande alliance progressiste face aux populistes. Et laisse en plan un monde devenu fou.

Il est parti comme il a mené sa riche carrière publique : avec un sourire gentil sur le visage, empreint de cette humilité dont font preuve les plus sages. Philippe Maystadt s’en est allé à 69 ans. Il se savait condamné par une maladie respiratoire orpheline. Mais il est resté actif jusqu’aux derniers instants, rédigeant notamment, depuis 2012, des chroniques régulières pour Le Vif/L’Express (Compte(s) à rebours, un titre de rubrique qui ne relevait pas du hasard). Des textes nourris par une réflexion à long terme, trop rare en cette époque où prédomine l’instantanéité des réseaux sociaux. Inquiet de l’évolution d’un monde devenu fou, aussi, avec ses dérives populistes de tous bords. Philippe Maystadt, lui, toujours, proposait des remèdes. Une issue. Un rêve, parfois, même. Notamment lorsqu’il était question de ranimer la flamme européenne.

Le ministre d’Etat s’en est donc allé, serein, persuadé qu’il n’y a « rien » par-delà la vie. « Je n’ai pas peur de ce qui peut advenir après, confiait-il en septembre dernier à La Libre. Cela me rassure.  »Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Entre les deux, j’ai eu la chance d’avoir une vie bien remplie, de connaître des moments exceptionnels, de découvrir la beauté du monde et, je l’espère, d’avoir été un peu utile. » A Francis Van de Woestyne qui l’interrogeait sur la trace qu’il laisserait dans les mémoires, il répondait : « Cela ne me préoccupe pas. » Cette trace sera, pourtant, indélébile, bien que dessinée avec une indicible finesse. C’est un philosophe qui s’en va, davantage qu’un animal politique.

Des Finances au parti

On retiendra pourtant de Philippe Maystadt, avant tout, deux décennies de responsabilités ministérielles, au cours des années 1980 et 1990. Ce Carolo, formé aux sciences économiques à Namur, est un ministre « technique », orfèvre des chiffres et magicien budgétaire. C’est une époque charnière pour la Belgique, lourde de menaces pour ses finances publiques : la dette enfle, atteignant un sommet de 137,8 % du Produit intérieur brut en 1993. Au Budget, puis aux Finances entre 1988 et 1998, Maystadt doit faire preuve de créativité. Quand on lui demandait ce dont il était le plus fier, il citait toujours la gestion dynamique de la dette, la mise en concurrence des banques pour éviter l’explosion des taux d’intérêts ou les emprunts portant son nom. Déterminant pour éviter la faillite pure et simple de notre pays. Qui vivait alors une situation à la grecque.

Vice-Premier ministre PSC, Philippe Maystadt défend avec force la vertu du compromis – « pour autant que ce ne soit pas de la compromission » – et se bat pour que prédomine la modération sociale chère à la démocratie chrétienne. Fin des années 1980, il tire la prise d’un gouvernement Martens, officiellement en raison d’une crise sur les Fourons. Mais le vrai prétexte est d’une autre nature : la démocratie chrétienne est ulcérée de voir le ministre du Budget, Guy Verhofstadt, alors surnommé « baby Thatcher », imposer une austérité sans limites. Maystadt a la sociale démocratie chevillée au corps : c’est, à ses yeux, « la seule voie qui permette de concilier liberté et solidarité ». De cette époque date aussi sa vision profondément européenne : il participe avec Jacques Delors, alors à la tête de la Commission européenne, et son homologue luxembourgeois Jean-Claude Juncker, actuel président de cette même Commission, aux négociations menant au traité de Maastricht, finalisé en 1992. L’accord pose les jalons de la future Union monétaire. Philippe Maystadt le défendra, tout en le sachant imparfait. L’Union, dit-il, doit être plus fédérale…

Cette page purement politique de sa carrière se termine en 1998-99 par une parenthèse imposée : il doit jouer le pompier de service au sein de son parti, en pleine crise. Gérard Deprez, président pendant quinze ans, a préparé sa succession en choisissant une jeune cabinettarde pour rénover le PSC. Mais la façon dont il veut l’imposer en braque la base conservatrice : l’ancien ministre de l’Intérieur Charles-Ferdinand Nothomb fait barrage. Sa présidence est anachronique et catastrophique. Maystadt est appelé à la rescousse pour un court intérim. Une transition, pour apaiser. Et préparer le virage humaniste de Milquet. Pas sûr que cette période ait été la plus heureuse de cet homme qui savait manoeuvrer en coulisses, mais fuyait les conflits.

« Il est temps de rallumer les étoiles »

Le voilà ministre d’Etat. Et sénateur. Mais au début du siècle nouveau, il est exfiltré de la politique belge vers un monde nouveau, qui lui convient mieux : il prend la tête de la Banque européenne d’investissement (BEI), méconnue hors du cercle des initiés, mais dont l’importance n’est pas mince. Philippe Maystadt se retrouve pour douze ans à la tête d’une institution qui octroie, bon an mal an, 60 milliards d’euros à des milliers de projets au sein de l’Union. La mission correspond à la conviction keynésienne de cet économiste progressiste : c’est en soutenant l’innovation et les grands projets qu’on sortira l’Europe de la crise. Ce sage s’écarte de la politique politicienne pour contribuer d’une autre manière à l’intérêt général : il devient ensuite président de l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (Ares) et créée la Fondation « Ceci n’est pas un crise ». Pour lutter contre la montée du populisme.

Il écrit, aussi. Beaucoup. Des livres sur l’Europe. Un autre pour vanter « l’art de la décision politique », dans laquelle il prône une démocratie « dilatée », avec une Europe renforcée et une participation plus grande des citoyens dans la gestion locale. Aux hommes politiques de l’ère Twitter, il lance : « S’il vous plaît, décélérez ! » Quand la Belgique francophone s’enlise l’été 2017, il est là pour cosigner une carte blanche avec Joëlle Milquet. Un oeil tourné vers cet horizon indispensable, selon lui, en ces temps de remous : « Je rêve d’une force sociale-démocrate qui regrouperait la partie moderne et non corrompue du PS, la partie progressiste du CDH et de DéFi et la partie raisonnable d’Ecolo. » Au fil de ses chroniques dans Le Vif/L’Express, Philippe Maystadt laisse, l’air de rien, un testament spirituel. Dans lequel il plaide pour la relance du projet européen, la lutte contre les inégalités et la dualisation croissante de nos sociétés, le réveil face aux technologies…

S’il ne se soucie pas de la trace qu’il laissera, il nous envoie pourtant un message de ce « rien » vers lequel il est parti. Dans l’un de ses livres, il a déposé cette phrase du poète Apollinaire : « Il est grand temps de rallumer les étoiles. » « Les populistes jouent sur la nostalgie du passé, sur le fait que « c’était mieux avant », expliquera-t-il. Pour contrer cela, il faut donner une vision d’espoir et montrer que la lumière est devant. » Puisse ses successeurs, belges et européens, s’en inspirer.

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