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Philippe, et l’ombre écrasante de Baudouin

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Philippe monte sur le trône en héritant d’une famille royale fragilisée par ses écarts de conduite, traumatisée par les blessures du passé. Encore prisonnière de la chape de silence que lui imposait un Baudouin dominant.

Philippe devient donc le septième Roi des Belges en l’an de grâce 2013 : vingt ans après l’intronisation de son père Albert II et le décès de son oncle Baudouin, trente ans après la disparition de son grand-père Léopold III et du prince régent Charles. Heureux présage ? Le pronostic reste réservé.

Le nouveau Roi hérite d’un royaume fragilisé, d’une monarchie déstabilisée, d’une famille ébranlée dont il devient la figure emblématique. Il y a cadre plus enchanteur pour débuter un règne. « La monarchie belge n’a pas vécu ces dernières années une seule  »annus horribilis ». Il n’y a pas eu un seul twist majeur mais une série, une succession continuelle d’incidents différents », observe Carl Devos, politologue à l’université de Gand.

Baudouin savait s’y prendre pour couvrir d’un voile pudique les déboires et les écarts de conduite d’une famille qui, dans le fond, n’a jamais cessé d’être une pétaudière. « Une famille étrange. Continuellement en brouille », a un jour confié un ministre sous le couvert d’un prudent anonymat.

Haines corses, jalousies féroces, ambitions frustrées, rancoeurs, disputes d’héritage. L’esprit de famille n’est pas vraiment inscrit dans les gènes des Saxe-Cobourg. Baudouin s’est donné beaucoup de peine pour gérer, contrôler, réduire au silence des foyers de tension en perpétuelle activité. Baudouin a donc l’oeil sur tout. Y compris sur les frasques et les déboires conjugaux de son frère Albert et de Paola. Jusqu’à filtrer, via Laeken, les lignes téléphoniques du Belvédère, la résidence du couple en crise. Jusqu’à se résigner à un projet de divorce finalement avorté. Le Roi n’ignore rien. Y compris l’existence de Delphine, fruit de la longue passion amoureuse entre le prince Albert et Sybille de Selys Longchamps.

Avec Albert II, changement radical de configuration familiale. « On passe du simple au multiple ! Réduite à un couple sans enfants, la famille royale comprend aujourd’hui, sur papier, quinze personnes susceptibles de monter sur le trône », souligne le sénateur Francis Delpérée (CDH). Voilà qui change la donne. Brouille les cartes. Ouvre la perspective de nouveaux fronts qu’il faut pouvoir contrôler. Car la famille reste la famille. Une famille pas si extraordinaire que cela. Loin d’être aussi exemplaire que s’évertuait à le montrer Baudouin.

Il faudrait une figure forte, au-dessus de la mêlée, pour arrondir les angles et cadrer cette famille. Mais Baudouin a placé la barre tellement haut qu’Albert II ne peut que souffrir de la comparaison. A « Monsieur presque parfait » (dixit un président de parti) succède son frère qui l’est moins. Qui ne cherche pas à l’être. Parce qu’il ne l’a jamais été.

Baudouin disparu, sa « méthode » ne lui survit pas. « Elle consistait à étouffer, à maintenir le couvercle sur la marmite, au lieu de laisser échapper de temps à autre la vapeur. Cette omnipotence sacralisée de Baudouin a été terriblement néfaste. Le moule de la bonne famille catholique a fini par se briser », déplore un ancien président de parti, témoin privilégié de cette époque.

C’est Albert II qui essuie les plâtres. 1999, le roi est brutalement rattrapé par son passé sentimental tumultueux, sous les traits de Delphine, sa fille naturelle révélée au grand jour. « Avec cette affaire, les médias semblent balayer d’un coup les tabous entourant les informations sur la maison royale. En 1997, deux hebdomadaires satiriques avaient publié le nom de la jeune fille, mais presque personne n’y avait prêté attention », relève l’historien Mark Van den Wijngaert.

La digue se rompt sous le poids d’une puissance de feu médiatique inconnue, inimaginable sous Baudouin. La famille la plus scrutée, la plus épiée de Belgique, ne quitte plus les feux de la rampe. Le piège se referme sur le Palais, enfermé dans une communication d’un autre âge, inspirée de l’ère Baudouin. La famille royale se résigne à entrouvrir la porte. Elle ouvre aussi une brèche.

Son vrai baptême du feu médiatique remonte aux fiançailles et au mariage de Philippe et Mathilde, en 1999. « La cour prend alors un risque calculé », estime le professeur Van den Wijngaert. Ce risque exige des membres de la famille royale prudence, retenue, habileté, décontraction. Or, c’est le contraire qui s’est le plus souvent produit. Par inexpérience, maladresse, inconscience des réalités du monde extérieur. Encore une fois l’effet boomerang du « système Baudouin » rigide à l’extrême.

Trois Premiers ministres se succèdent à la tribune de la Chambre pour tancer publiquement de tels errements : Guy Verhofstadt (Open VLD) sermonne à trois reprises le prince Philippe, Yves Leterme (CD&V) recadre Laurent, Elio Di Rupo rappelle à l’ordre Fabiola. Impensable, là encore, sous Baudouin.
A Philippe, la populaire et irréprochable Mathilde à ses côtés, de briser le signe indien.

Le dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec aussi :

– Philippe, allié rêvé du roi de la N-VA
– Bart Maddens : « Philippe n’a aucune légitimité démocratique »
– Dix clés pour mieux connaître le 7e Roi des Belges
– Mathilde, l’influente
– Philippe le vieux, Philippe le jeune

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