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Perturbateurs endocriniens : Comment les géants de la chimie plombent les règles européennes

Berna Van Vilsteren
Berna Van Vilsteren Journaliste pour Knack

Le lobbying de l’industrie chimique a réussi à fortement émousser une loi européenne qui devait interdire des centaines de produits chimiques. Pour y parvenir, les géants de la chimie auraient bénéficié du soutien de conseillers de l’industrie du tabac.

En 2013, la Commission européenne est sur le point de sélectionner des centaines de perturbateurs endocriniens afin de les interdire. Or, une série d’e-mails internes consultés par nos confrères de Knack révèlent que cette idée a été balayée par les lobbys de l’industrie. En juillet 2013, la Secrétaire générale de la Commission européenne Catherine Day demande plus d’études sur les substances chimiques en raison des conséquences possibles pour « l’industrie chimique », écrit-elle. Les mois qui ont précédé, des géants de la chimie tels que BASF et Bayer, s’étaient livrés à un lobbying puissant.

Les entreprises racontent au cours d’entretiens confidentiels qu’une interdiction pourrait coûter « entre 3 et 4 milliards d’euros aux pesticides » et que « 65 milliards d’euros » d’importation de produits agricoles vers l’UE seraient en péril. Il s’agit de produits tels que le soja qui contiennent des résidus de pesticides, notamment du Brésil et d’Amérique du Nord.

Ce mardi, les états membres et la Commission européenne délibèrent sur une nouvelle version, fortement affaiblie, de la proposition notée en 2013 et consultée par Knack. La Endocrine Society, l’association mondiale d’experts en dérèglements hormonaux, fait savoir à l’UE que son projet actuel ne « protège pas suffisamment le public » contre les substances chimiques risquées.

En 2016, la Commission européenne affirme dans un nouveau rapport qu’il existe une « controverse » au sujet d’un lien entre les substances perturbatrices et les maladies telles que le cancer et les problèmes de comportement et d’apprentissage des enfants. Elle se base notamment sur une étude réalisée par des conseillers de l’industrie du tabac et de l’amiante.

Maggie De Block: « Les experts tiennent compte de tout »

La ministre de la Santé publique Maggie De Block (Open VLD) estime qu’il est raisonnable que les études payées par l’industrie pèsent également sur le processus décisionnel politique. « Mes experts tiennent compte de toutes les données scientifiques pertinentes », dit-elle. Selon De Block, il y a parmi les scientifiques toujours beaucoup de discussions sur les perturbateurs endocriniens, dont 800 sont présents dans notre environnement, notamment sur la question de la protection de la santé publique belge.

Mais là où De Block pointe les incertitudes, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est plus univoque. Un rapport global de l’OMS, publié en 2013, affirme qu’il est prouvé que les substances chimiques jouent un rôle dans la « hausse de problèmes de reproduction, de cancers liés aux hormones, de problèmes de comportement et d’apprentissage (TDAH compris), d’infections, d’asthme et peut-être d’obésité et de diabète ». C’est pourquoi l’OMS qualifie les perturbateurs endocriniens de « menace mondiale ». L’organisation conseille déjà d’interdire les substances, afin d’éviter que les gens tombent malades.

Cependant, le gouvernement belge est réticent à établir des mesures et attend que l’UE ait rédigé une réglementation. « Si la Belgique se cache derrière la lenteur de ‘la réglementation européenne’, c’est une attitude paresseuse », déclare le député européen Bart Staes (Groen). « Le bon sens serait que les états membres fassent tout pour protéger la santé publique de leurs citoyens. En principe, un pays de l’UE peut mettre un perturbateur endocrinien sur la liste et prendre des mesures dans le cadre de la directive REACH (un système de l’UE instauré pour réguler l’autorisation de substances chimiques). »

D’après Staes, la « tactique de lobby transparente » du secteur chimique a entraîné la négligence de l’UE en matière de santé publique, et le dossier a été « reporté ».

Le 16 décembre 2015, la Cour européenne a pourtant rappelé la Commission européenne à l’ordre. Pour la Cour, le gardien des traités de l’UE « a violé la loi européenne » en laissant passer la date limite pour museler les perturbateurs endocriniens. Les dégâts éventuels à l’économie n’étaient pas une raison pour ne pas faire passer la réglementation en 2013, stipule le jugement.

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