L'ascension puis la chute de Jean-Claude Van Cauwenberghe ont d'abord profité, puis coûté, à Charleroi. © OLIVIER MATTHYS/BELGAIMAGE

Paul Magnette à la tête du PS, bingo pour Charleroi ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Structurellement désavantagée par rapport aux autres grandes villes wallonnes, Charleroi gagne, avec l’accession à la présidence de Paul Magnette au PS, un relais de poids. Le plus puissant, en fait, qui puisse corriger une discrimination historique.

C’est une figure wallonne, belge aussi, sans doute, et même probablement mondiale, que regrettent encore les Athois, et que déjà les Montois se préparent à considérer avec nostalgie. Après Guy Spitaels et Elio Di Rupo, deux Hennuyers qui, présidant le plus grand parti de Wallonie, usèrent de leur influence et placèrent leur cité d’élection à la confluence de moyens, publics et privés, Paul Magnette, bourgmestre de la plus grande ville wallonne depuis 2012, va-t-il faire de Charleroi la nouvelle capitale wallonne du pouvoir ? C’est à la fois, pour Paul Magnette, possible, compte tenu des privautés qu’autorise la direction du PS, et nécessaire, sachant qu’un politique mal assis sur sa base locale est un politique en danger.

Et puis, surtout, Charleroi en a besoin.

Parce qu’il n’y a plus beaucoup de sous, à Charleroi, et depuis longtemps.

Car lorsque les capitalistes l’ont quittée, fermant les mines et vidant les usines, les socialistes se sont retrouvés bien seuls, étranglés par la crise, à fermer les piscines et à vider les caisses communales. Dans les années 1980, Jean-Claude Van Cauwenberghe, l’homme fort de Charleroi, était l’homme faible du Parti socialiste, honni d’André Cools, méprisé de Guy Spitaels. Charleroi était structurellement sous-financée, et dépourvue d’une capacité à lancer des emprunts qui avait été accordée aux autres grandes villes. Pour dénoncer la pingrerie d’un gouvernement pas encore fédéral et qui exerçait encore la tutelle sur les communes, Van Cau accueillit un jour, en visite officielle, le roi Baudouin avec deux pistolets au filet américain sur un plateau. La symbolique forte du message, conjuguée à la matérialité d’un milliard annuel de francs d’économies et à la suppression d’un millier de fonctionnaires, permit à Charleroi d’un peu respirer : la dotation étatique du Fonds des communes fut augmentée.

Fin des années 1990, Jean-Claude Van Cauwenberghe revint en grâce, comme ministre régional du Budget d’abord, comme ministre-président ensuite. Toujours il eut à subir la tutelle serrée d’Elio Di Rupo, bourgmestre d’une autre ville.  » C’était une négociation permanente : si je voulais avoir quelque chose pour Charleroi, je devais céder sur autre chose pour Mons « , rappelle toujours le bourgmestre honoraire. Mais Charleroi revoyait arriver des sous. Ce fut Charleroi. Danse, ce fut l’aéroport, ce fut Charleroi-la-sportive, aussi.

Entre 2007 et 2014, l'Union européenne a investi autant dans la cathédrale de Tournai que sur tout le territoire de Charleroi.
Entre 2007 et 2014, l’Union européenne a investi autant dans la cathédrale de Tournai que sur tout le territoire de Charleroi.© HATIM KAGHAT

Et puis ce furent les affaires, et Jean-Claude Van Cauwenberghe, le 30 septembre 2005, démissionnant de sa ministre-présidence wallonne, quitta piteux la scène politique nationale.

Charleroi en fut écartée elle aussi. Et Charleroi eut toujours moins de sous. On a beau déplorer le sous-localisme, dénoncer le favoritisme, pleurer sur le clientélisme, c’est comme ça : moins vous avez de puissants, moins vous recevez l’argent.

Et à Charleroi il n’y avait plus de puissants. Ni au PS ni ailleurs. Les sous partirent autre part.

Pour la programmation 2007-2013 des fonds européens Feder, Charleroi obtint pour l’ensemble de ses projets autant que ce que Tournai reçut pour la seule rénovation de sa cathédrale. La Wallonie investissait bien davantage dans l’aéroport de Bierset – il fallait isoler l’habitation de bien plus de riverains – que dans celui de Gosselies. Sa gare fut moins bellement rénovée que toutes les autres.

Feue Véronique Cornet, députée MR, avait calculé que les subsides culturels, entre 2004 et 2010, étaient passés à Liège de 30 à 35 millions d’euros, à Namur de 6,5 à 10 millions, à Mons de 5 à 11 millions et à Charleroi de 9,6 à 9,7 millions d’euros : par habitant, la Communauté française donnait 48 euros par an pour qu’un Carolo se cultive, tandis qu’un Liégeois en recevait 180.

Mais après le vide vint le plein, et des sous revinrent. C’est Paul Magnette qui débarqua, qui le fit autour de lui, le vide, et qui s’assit sur Charleroi. Président intérimaire du PS jusqu’aux élections de 2014, il fut placé à l’Elysette par Elio Di Rupo. Olivier Chastel, devenu président du MR en 2014, aida aussi.

Des Carolos remettaient la main sur quelques sous.

Ça allait se voir assez vite. Le fédéral, aidé de quelques millions wallons, installait une unité de protonthérapie à Lodelinsart, à l’hôpital Marie Curie. La programmation Feder 2014 – 2020, aiguillée par un comité d’experts indépendants (hum hum), triplait, à 140 millions d’euros, les fonds attribués à Charleroi. Après la fermeture de Caterpillar, un gros million d’euros annuels seraient déboursés pour la cellule Catch, chargée du redéploiement économique de la zone. Le plan de gestion imposé par le Centre régional d’aide aux communes (Crac) était adouci.

Ça n’allait pas super bien mais ça allait déjà mieux.

Le rejet du PS dans l’opposition wallonne allait avoir des conséquences immédiates sur les finances communales : fin 2017, la ministre libérale de tutelle, Valérie De Bue, accordait à Charleroi un prêt d’aide exceptionnelle de 20 millions d’euros. C’était un prêt, pas un don, pas aux meilleurs conditions, et c’était seulement de quoi tenir le coup. Tout le monde avait compris que ce n’était pas un cadeau.

Mais maintenant que Paul Magnette devient le patron, ça devrait changer. Il a déjà mené les négociations wallonnes, avec un autre Carolo désormais le patron chez lui aussi, l’Ecolo Jean-Marc Nollet, et ils ont remis les grandes villes en général et Charleroi en particulier à leur place. Charleroi a reçu quatre millions pour l’implantation de formations universitaires. Elle économisera près de quatre millions par an en cédant le financement de sa zone de secours à la province. Et les aides à l’investissement, qui seront liés à la capacité d’endettement plutôt qu’à un montant fixe par habitant, lui seront plus avantageuses.

Là-bas, à Charleroi, les postes clés désormais sont pourvus, et les secteurs bien quadrillés. Les receveurs sont prêts.

Julie Patte, première échevine, tient le collège communal avec le chef de cabinet du bourgmestre, Christian Laurent, l’implacable directeur financier Eric Wartel et, bientôt, le fidèle Hassan Mazouz, pressenti à la direction générale de l’administration. L’échevine Babette Jandrain sera présidente de la fédération socialiste d’arrondissement. Le  » bouwmeester  » Georgios Maillis s’occupe de l’aménagement urbain, Renaud Moens (Igretec) et Thomas Dermine (Catch) de la programmation économique, et Fabrice Laurent, directeur de l’Eden, du centre culturel régional. Voilà pour les receveurs.

Maintenant, Paul Magnette va placer des donneurs.

Au parti, où Laurent Zecchini, son plus proche second, devrait le suivre, d’abord et avant tout.

Et au gouvernement wallon ensuite, où le ministre des Affaires locales, Pierre-Yves Dermagne et la cheffe de cabinet de la nouvelle vice-ministre présidente, Christie Morreale, Anne Poutrain, sont de son côté.

C’est encore peu, parce que pour vraiment avoir le pouvoir, il faut nommer les gens. Et c’est Elio Di Rupo qui les a, cette fois encore, désignés, ceux des gouvernements.

Mais c’est déjà ça. Et c’est sans doute la dernière fois qu’un socialiste carolo ne décide pas de tout ce qui concerne les socialistes wallons.

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