Paul Jorion © WOUTER VAN VOOREN/IMAGEDESK

Paul Jorion : « Le genre humain est au bord de l’extinction »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Prophète de malheur, Paul Jorion ? Connu pour avoir annoncé la crise des subprimes, l’anthropologue belge prédit cette fois la fin de l’espèce humaine dans deux ou trois générations ! Peut-on encore espérer un sursaut ?

« C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue !  » clame Philippulus dans les rues de Bruxelles, frappées par un réchauffement climatique aussi soudain qu’intense (L’Etoile mystérieuse). Trois quarts de siècle après la scène imaginée par Hergé, un autre prophète à barbe blanche, Paul Jorion, fait à nouveau entendre le « dong-dong-dong » du tambour de la panique. Dans son dernier livre, Le Dernier qui s’en va éteint la lumière, l’anthropologue belge, connu du grand public pour avoir été  » l’homme-qui-avait-annoncé-la-crise-des-subprimes-mais-qu’on-n’a-pas-écouté « , explore les raisons qui mènent les humains à leur perte. Pour ce touche- à-tout – ancien trader, il a aussi participé aux travaux d’un laboratoire d’intelligence artificielle -, né à Ixelles en 1946 et installé à Vannes (Morbihan), la crise environnementale, celle du système financier et la robotisation de la société forment une lame de fond qui menace d’anéantir notre espèce avant la fin du siècle.

Il n’y a pas si longtemps, l’espèce humaine s’imaginait triomphante. La voilà au bord du gouffre ?

Ma génération aura vécu deux époques situées aux pôles opposés de l’imaginaire : celle de mon enfance, où l’on se représentait la « fin de l’histoire » pour un genre humain à jamais apaisé ; et celle d’aujourd’hui, où l’on prend conscience de la fin probable de l’humanité. Les bébés nés cette année connaîtront, avant le terme de leur existence, des catastrophes de grande ampleur. Des physiciens, des climatologues… nous assurent qu’il y a un risque sérieux d’extinction du genre humain à une échéance de deux ou trois générations. A cette menace, l’homme répond mollement, à la limite de l’indifférence. Sa constitution psychique et son histoire m’incitent à penser qu’il n’est pas outillé pour empêcher sa propre disparition. Il faut espérer un sursaut, qui viendra peut-être si l’humanité s’intéresse enfin à son sort.

Qu’est-ce qui menace surtout le genre humain ?

Nous sommes menacés par trois vagues, qui se superposent pour en constituer une seule, monstrueuse. D’abord, l’épuisement des ressources et le réchauffement climatique, accompagné de l’acidification des océans et de la hausse du niveau de la mer. Ensuite, le fait de confier nos décisions à l’ordinateur, alors que l’emploi disparaît, en raison de notre remplacement par le robot et le logiciel. Enfin, la crise économique et financière, du fait que nos systèmes reposent sur une gigantesque machine à concentrer les richesses. Le libéralisme a prétendu que tout irait pour le mieux pour nous tous si on laissait les gens se concentrer sur la poursuite de leurs intérêts égoïstes. Il fallait déréguler à tout-va. Mais la crise des subprimes, en 2008, a mis à mal cette hypothèse. Dès qu’une crise éclate, les intérêts particuliers divergent et ne correspondent plus à l’intérêt collectif. Seule une intervention supérieure permet alors d’éviter l’aggravation de la catastrophe.

Les machines intelligentes sont-elles une réelle menace pour notre espèce ?

C’est l’armée qui, aujourd’hui, dirige les recherches en intelligence artificielle. La Norvège s’est déjà lancée dans la production de robots qualifiés de « munitions intelligentes ». A la différence des drones, ils analysent eux-mêmes une situation et interviennent sans décision humaine. On prétend que certaines activités ne peuvent être accomplies par les robots, mais leurs progrès ne cessent de déjouer les pronostics. J’en veux pour preuve la victoire, le mois dernier au jeu de go, du programme d’intelligence artificielle de Google face à un champion sud-coréen. Les machines apprendront à se réparer, à se reproduire, à réfléchir. Comme le prédit l’éminent « astronome royal » britannique Martin Rees, elles vont nous succéder dans le monde souillé et épuisé que nous leur aurons légué. Plus rationnelles que nous, elles auront aussi moins de mal à survivre dans cet environnement dévasté. Elles n’ont pas, comme l’homme, besoin de trouver de l’oxygène toutes les cinq secondes, de l’eau toutes les heures et des aliments comestibles tous les jours, remarque Rees avec humour. Un robot fonctionne sur la planète Mars depuis des années. Pour l’homme, la vie y est beaucoup plus difficile, comme le montre le film Seul sur Mars.

Qu’est-ce qui explique notre aveuglement ?

Les biologistes nous caractérisent comme une espèce « colonisatrice » : elle croît jusqu’à occuper entièrement son environnement, qu’elle épuise peu à peu. L’homme a envahi la Terre sans se soucier de rendre durable et renouvelable l’usage qu’il a du monde qui l’entoure. Et quand il s’en préoccupe, ses efforts sont vains : les belles promesses de la COP21 à Paris ont peu de chances d’être mises en oeuvre. Nos dirigeants alignent leurs comportements sur le monde marchand : ils n’envisagent d’assurer la survie de notre espèce qu’en termes de « droit à polluer ».

Que peut-on mettre en oeuvre comme solutions ?

Dans le film Interstellar, une expédition spatiale s’infiltre dans un « trou de ver » et colonise une exoplanète, située loin dans la galaxie. Cette perspective dé- passe évidemment nos capacités technologiques et celles qui seront les nôtres dans un avenir proche. Même la mise sur orbite de cités spatiales est un projet non réalisable dans le temps qui nous reste. Sur Terre, les solutions avancées dans Demain, le documentaire à succès, sont sympathiques, mais pas généralisables. J’ai des doutes sur la qualité des courgettes et autres légumes que l’on fait pousser dans des potagers installés le long d’axes urbains pollués. Un patron texan de hedge funds pour lequel j’ai travaillé autrefois possède trois îles en Polynésie, toutes équipées de technologies axées sur les énergies renouvelables. Ces « survivalistes », qui créent égoïstement leur petit coin de paradis, sont dans le déni. La solution ne pourra être que collective et économique.

Le dernier qui s’en va éteint la lumière. Essai sur l’extinction de l’humanité, par Paul Jorion, Fayard, 288 p.

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