Parents-travailleurs : l’impossible cumul ?
En surchauffe régulière, voire permanente, les parents qui travaillent tentent de mener de front et sans casse leurs deux vies parallèles. Vain espoir, selon l’enquête menée par la Ligue des familles. Car casse, il y a…
Etre parent et travailler – ou rechercher un emploi – est un problème. » On ne devrait jamais en arriver à poser ce constat, mais c’est une réalité « , soupire Delphine Chabbert, secrétaire politique de la Ligue des familles. C’est, hélas, la conclusion éclatante d’une enquête menée par l’association de soutien à la parentalité, sur le thème » Comment adapter le monde du travail à la vie des parents ? « , dont Le Vif/L’Express publie les résultats. Une majorité de parents (58 %) éprouvent en effet en permanence (16 %) ou souvent (42 %) des difficultés à concilier leur vie de famille et leur vie professionnelle. Si l’on y ajoute ceux qui sont de temps en temps dans une telle situation, on atteint les 92 % ! En soi, ce n’est pas une surprise. Mais l’ampleur de cette épuisante jonglerie entre deux statuts exigeants est révélatrice. En une semaine, et sans guère faire de publicité, la Ligue des familles a reçu 4 000 réponses à son sondage, du jamais-vu.
On voit clairement émerger une demande pour une formule de réduction du temps de travail collective.
Cette difficulté de concilier est davantage le fait des femmes (62 % la ressentent souvent ou en permanence) que les hommes (52 %). L’enquête de la Ligue révèle aussi l’importance du travail atypique, c’est-à-dire à horaires non classiques : 22 % des parents répondants s’activent en soirée, la nuit, durant le week-end ou avant 7 heures. Dans leur cas, la conciliation de la vie de famille et du travail est encore plus ardue. Ils sont entre 20 et 25 % à en faire état alors qu’avec des horaires classiques, ils ne sont que 13 %. Trois quarts des demandeurs d’emploi rencontrent, souvent ou en permanence, le même problème, écartelés entre leur recherche d’emploi et leur vie familiale. » Or, les politiques d’activation des demandeurs d’emploi ne tiennent absolument pas compte de cette réalité, relève Delphine Chabbert. Les chômeurs doivent toujours rendre des comptes par rapport à leur recherche active d’emploi et ne peuvent jamais suspendre leurs démarches. »
Frustration et culpabilité
Or donc, le travail – ou la recherche de travail – fatigue. Pour 87 % des répondants, la fatigue constitue la première conséquence de la recherche perpétuelle d’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Là encore, les femmes sont plus touchées que les hommes. Les loisirs en pâtissent aussi (78 %), de même que la vie sexuelle et affective (52 %). Le stress engendré par cette course perpétuelle touche trois parents sur cinq. Très préoccupant : les parents estiment que cette difficile conciliation de casquettes parents/travailleurs affecte aussi le bien-être des enfants (39 %). » Frustration et culpabilité, sentiment de manque, de passer plus de temps au travail qu’avec mon enfant, tout ça pour des raisons financières « , soupire un(e) répondan(e). » J’ai dû oublier toutes mes envies et mes besoins pour ne me concentrer que sur ma famille et mon boulot « , témoigne un(e) autre. » J’en ai plein la tête de penser à tout « , embraie un(e) troisième. Pour certains parents (8 %), la tension est tellement forte qu’ils recourent aux médicaments, à l’alcool ou aux drogues. Cette consommation est plus élevée dans les familles monoparentales (13 %) et, surtout, chez les parents dont un ou plusieurs enfants sont en situation de handicap. » Ces situations de détresse doivent alerter la société « , déclare Delphine Chabbert.
C’est l’un des autres enseignements de l’enquête. Pour certaines catégories de parents, les difficultés s’additionnent. Etre femme, employée à temps partiel (donc moins payée) et monoparent est évidemment plus ardu que vivre en couple, avec deux salaires équivalant à deux temps-pleins. Or, 41 % des femmes travaillent à temps partiel, pour 10 % des hommes. » La question du genre est omniprésente, relève Delphine Chabbert. L’organisation du temps de vie est au coeur des inégalités hommes – femmes. Il faudrait des politiques beaucoup plus volontaristes pour combler ce fossé. » Les inégalités sociales s’accumulent, elles aussi : la conciliation vie professionnelle – vie privée est plus difficile pour les familles à moindres revenus.
Le télétravail plébiscité
Quelque 57 % des personnes interrogées bénéficient heureusement d’une certaine flexibilité pour gérer leur travail et leurs horaires de travail. Parmi celles-ci, les hommes sont majoritaires (62 %), et le pourcentage grimpe à 77 % lorsque le revenu du ménage dépasse les 5 000 euros net par mois. Malgré cette liberté organisationnelle, 12 % de ceux qui en profitent éprouvent en permanence des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale. A l’autre bout de l’échelle sociale, trois cinquièmes des personnes interrogées disant n’avoir aucune flexibilité dans leurs horaires font partie de ménages gagnant moins de 2 000 euros net par mois et quasiment la même proportion (58 %) travaille à mi-temps.
Parmi les mesures mises en place par les employeurs pour rendre la vie des parents un rien plus simple figurent les horaires flottants (47 %), des jours de congé en plus grand nombre pour 41 % des sondés et le télétravail, pour un sondé sur trois. Dans cette dernière catégorie, les hauts salaires, dont le revenu de ménage est supérieur à 5 000 euros net par mois, sont surreprésentés, à hauteur de 52 %. A contrario, 37 % des parents dont le revenu de ménage est inférieur à 2 000 euros net ne bénéficient d’aucune mesure mise en place par leur employeur pour faciliter la conciliation vie famiale – vie professionnelle.
Assez logiquement, les parents qui éprouvent rarement des difficultés à jongler avec leurs différents statuts télétravaillent plus que les autres, profitent plus souvent d’une réduction du temps de travail et bénéficient de plus de jours de congé.
Interrogés sur les solutions qui leur faciliteraient le plus la vie, les parents répondent dans deux cas sur trois : travailler moins sans perdre de revenus. Parmi eux, 69 % sont en situation de monoparentalité. 52 % aimeraient être plus libres d’organiser leur travail, 38 % souhaiteraient bénéficier de davantage de congés et 37 %, de congés parentaux mieux rémunérés. Autrement dit, plus les parents éprouvent des difficultés à concilier leurs deux statuts, plus ils souhaitent une réduction de leurs horaires de travail, sans perdre de revenus. Dans cette hypothèse, ils choisiraient majoritairement (61 %) de travailler moins de jours par semaine ou moins d’heures par jour (50 %).
La stratégie de la Ligue
» On voit clairement émerger une demande pour une formule de réduction du temps de travail collective, avec maintien du salaire, de manière à réduire la pression qui pèse sur les parents, résume Delphine Chabbert. On sait que le temps partiel en formule individuelle ne constitue pas une solution car il débouche sur un moindre salaire, moins de congés et moins de droits à la pension « . Dans la perspective des élections législatives de mai 2019, la Ligue des familles remettra donc la question de la réduction collective du temps de travail sur la table. Elle lancera également la réflexion sur les modalités de l’organisation quotidienne du travail, en souhaitant davantage de flexibilité de la part des employeurs, via le télétravail ou les horaires flottants, par exemple. Troisième cheval de bataille de la Ligue : les congés, dont le congé parental. Actuellement, ce dernier est jugé par les sondés comme trop peu flexible, trop peu rémunéré et ne correspondant pas aux besoins des familles. » Avec une indemnité de 750 euros par mois, le congé parental actuel exclut les familles monoparentales et les familles les moins nanties, remarque Delphine Chabbert. Que 88 % des femmes optent pour un tel congé est d’ailleurs révélateur : cette faible indemnité remplace le deuxième salaire de la famille. »
En revanche, une petite moitié des parents (46 %) verraient d’un bon oeil la création d’un nouveau congé de conciliation, de 30 heures par an, par exemple, pour faire face aux agendas bousculés dont les familles sont coutumières. Pour un rendez-vous médical, une réunion de parents toujours organisée à 16 heures, un départ en classes vertes ou une rentrée scolaire. Parmi les autres suggestions formulées dans l’enquête, l’augmentation des congés légaux intéresse 38 % des répondants et un congé rémunéré pour enfant malade, 37 %. Le congé de paternité obligatoire ne recueille que 11 % d’adhésions.
S’ils souhaitent aider leur personnel à mieux gérer leur vie quotidienne, les employeurs pourraient prioritairement introduire le télétravail dans leur entreprise (pour 45 % des sondés), offrir des titres-services (42 %), organiser une garderie dans la société (30 %), mettre en place une moindre charge de travail selon les périodes (26 %). La possibilité d’épargner des congés ne séduit que 21 % des sondés.
Les parents indépendants, eux, appellent d’abord de leurs voeux un congé parental rémunéré et flexible (38 %). Un congé rémunéré pour enfant malade conviendrait à 31 % des répondants, un système indépendant de remplaçants, 29 %. Parmi les indépendants, 35 % des hommes aspirent à un congé de paternité rémunéré et flexible tandis qu’à l’inverse, 18 % des femmes indépendantes rêvent d’un congé de maternité plus long.
» Il faudrait une réflexion plus large sur les temps de vie, conclut Delphine Chabbert. Quelle est la place du travail dans nos existences ? Des temps sociaux ? De l’école ? » Pertinentes questions…
Identifier les difficultés et les besoins des parents
L’enquête de la Ligue des familles » Comment adapter le monde du travail à la vie des parents ? » a été réalisée en ligne du 17 septembre au 7 octobre derniers auprès des parents ou beaux-parents d’enfants de 0 à 25 ans, au travail ou en recherche d’emploi. Quelque 3 760 réponses ont été retenues. Les répondants étaient à 85 % des femmes. Après redressement, les réponses ont été prises en compte selon la clé 60 % de femmes – 40 % d’hommes. 13 % des répondants se trouvaient en situation de famille monoparentale. 71 % travaillent à temps plein, 23 % selon un horaire compris entre un mi-temps et un temps plein et 5 % à mi-temps. 22 % des parents ont des horaires atypiques.
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