Guillaume Dos Santos

Par-delà la gauche et la droite : mais où va le cdH ?

Guillaume Dos Santos Citoyen et jeune père de famille

Pour le Centre Démocrate Humaniste, les sondages politiques se succèdent et se ressemblent : tous pointent des intentions de vote en baisse et une érosion lente mais inéluctable de l’électorat.

Aujourd’hui à 8,3% en Wallonie, le parti atteignait pourtant les 14% lors des élections fédérales de 2014. C’est encore pire à Bruxelles : le CDH s’y accroche aujourd’hui péniblement à la barre symbolique des 5%. En 2019, c’est-à-dire demain dans l’horizon politique, la branche bruxelloise du parti pourrait bien ne plus obtenir le moindre siège.

Alors que la défaite du PSC en 1999 avait conduit à la refondation idéologique et à la naissance du CDH, les scores de ce dernier sont pourtant restés largement en-deçà de ce minimum historique. Né d’une formation qui avait dominé la politique belge depuis ses balbutiements, le CDH est aujourd’hui devenu un simple parti pivot au sud du pays, oscillant entre droite et gauche… mais plus souvent à gauche. Incapable de tenir un discours fort qui soit suffisamment audible, le CDH stagne… et s’embourbe, à l’instar de ces deux élus humanistes de la province namuroise qui, après une soirée bien arrosée, faisaient appel il y a quelques jours au service local des pompiers pour les extraire d’un chemin boueux.

Quelles leçons en tirer ? Au sein du parti, on a coutume d’affirmer que la complexité du discours humaniste constituerait à la fois le noeud du problème et sa force. Les idées proposées par le CDH seraient, de par leur subtilité et leur nuance, moins aisées à véhiculer au sein de la population, à l’inverse des « discours extrêmes », plus facilement transposables dans des mots simples. De là à attribuer à cette « complexité idéologique » quinze années d’érosion de son électorat…

Cet argument n’en est pas un. Le personnalisme d’Emmanuel Mounier, philosophe « non-conformiste » des années 30, et le catholicisme social, desquels s’inspiraient le Parti-Social Chrétien, ne semblent pas moins nuancés ni moins subtils que la doctrine actuelle du parti, mais ils étaient autrement mieux compris et surtout mieux implémentés dans les discours du PSC/CVP.

Justifier l’échec d’une formation politique à diffuser ses idées par la complexité de celles-ci, n’est-ce pas déjà l’aveu d’une incapacité à les transposer de manière claire dans un discours fort ? Ne sont-ce pas alors les insuffisances de la doctrine du parti qu’il convient de questionner plutôt que l’incapacité de la population à la recevoir ?

Plus qu’un souci de complexité ou de subtilité, c’est sans doute la clarté du discours Humaniste qu’il faut remettre en cause. Le flou entretenu autour de certains points d’achoppement de la vision démocrate humaniste permet de ne pas devoir trancher certains noeuds gordiens de la politique contemporaine. Ne pas se positionner sur certains clivages prégnants de nos sociétés en campant sur une position dîte « centriste » ou « modérée » confère en effet un certain confort permettant de ratisser plus large… mais dilue en contrepartie image et identité. Qu’est-ce aujourd’hui que le CDH ? Prenons trois élus ou militants au hasard et posons-leur la question. Il est plus que probable que nous recevions trois réponses différentes, à moins de tomber dans les poncifs du type « Être humaniste parce qu’on aime tous les humains ».

Sur des questions telles que celle du multiculturalisme, sur le clivage global/local, sur la conception de la laïcité, sur la place de l’autorité, sur les valeurs que l’État est en droit d’affirmer ou non… et sur bien d’autres thèmes encore, le CDH entretient un flou artistique qui lui évite de devoir se mouiller.

Le Pacte d’Excellence, qui est le grand chantier sur lequel le parti focalise ses efforts à l’heure actuelle, est sans doute l’exemple le plus symptomatique de l’absence de vision claire du CDH. Cela fait à présent de nombreux mois qu’on voit sortir dans la presse, sciemment ou non, un florilège de propositions dont certaines vont dans des directions tellement contradictoires et couvrent tant de domaines différents qu’il est à l’heure actuelle impossible, pour le citoyen, de saisir la vision de la société contenue dans ce pacte. Propose-t-il de revenir à une approche de l’enseignement par acquisition de connaissances ou demeure-t-il dans une approche par compétences ? Défend-il la transmission des savoirs, de la culture et des valeurs, ou cherche-t-il uniquement à former des individus aptes au travail ? Quelle place y réserve-t-on à l’apprentissage du numérique ? Du français et des langues anciennes ? Gros débat du moment : y enseignera-t-on l’écriture inclusive ? Et l’apprentissage de la lecture : par méthode globale ou syllabique ? Alors qu’en France, Blanquer propose des réformes ambitieuses pour refonder une école de l’excellence, notre pacte à nous semble aujourd’hui ne pas savoir vers où il va.

Tout ce qui paraît clair à l’heure actuelle, c’est que ce chantier colossal « s’inscrit dans une démarche participative ». La bonne affaire. Comprenez : ne sachant trop quelle direction emprunter, le CDH a renoncé à proposer lui-même un cap, se contentant de collecter les avis des autres acteurs pour tenter d’articuler le tout en un ensemble plus ou moins logique.

Cette incapacité du CDH à proposer une vision et un programme cohérents est en fait révélatrice du dilemme qui s’offre aujourd’hui à lui en tant que Centre en politique :

Soit le CDH choisit de devenir un centre « à la Macron », c’est-à-dire un équilibre subtil entre droite et gauche, une sorte de juste milieu, dans une perspective social-libérale qui peut avoir de quoi séduire de par son côté pragmatique et modéré. Mais ce serait aller à l’encontre de son idéal d’origine qui visait, justement, à dépasser le libéralisme social d’un John Rawls en s’inspirant de ses différentes critiques. Cela reviendrait aussi, en un certain sens, à faire le pari d’une ère « post-politique » en proposant un programme de gestion et de gouvernance plutôt qu’une vraie vision de société. Que serait-ce d’autre, en vérité, qu’un « centre du renoncement », puisqu’il renoncerait de facto à viser le bien commun pour se contenter d’administrer un état à la manière d’un comptable ?

Un proverbe arabe dit « Si tu ne sais pas où aller, rappelle-toi d’où tu viens. » Même si un retour au PSC d’hier n’est pas souhaitable, le CDH peut emprunter la voie de la refondation en se réappropriant les valeurs de son parti géniteur pour aborder les enjeux actuels. Il pourrait alors redevenir ce parti qui transcendait réellement le clivage gauche-droite : authentiquement conservateur, privilégiant un changement organique de la société plutôt que révolutionnaire, s’opposant à l’individualisme libéral en proposant à l’inverse une société de personnes humaines enracinées dans leur communauté et leur environnement, cherchant dans un monde globalisé à préserver notre patrimoine naturel autant que culturel ; à préserver en nous l’humain face au transhumanisme.

« L’enracinement, disait Simone Weil, philosophe juive convertie au christianisme, est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine« . De par son ancrage territorial et son attachement à ce qui constitue l’humanité de chacun de nous, le CDH pourrait devenir ce parti de l’enracinement.

Par-delà la droite et la gauche, ou bien pile au milieu : telles sont les deux alternatives qui s’offrent aujourd’hui au CDH. Redécouvrir ses racines, ou bien sauter dans l’inconnu.

Guillaume Dos Santos

Citoyen et ancien militant CDH.

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