Carte blanche

Osons le débat sur la régionalisation de la justice

Arnaud Devos (UCL) et Panayotis Korakovounis (ULB), étudiants en droit, estiment qu’il est temps d’ouvrir la boîte de Pandore.

Le soleil se lève – mais ne brille de mille feux pour autant – sur une justice belge marquée à la fois par un sous-financement chronique et une lenteur ascendante visible aux yeux des citoyens, malgré la promesse du Ministre de la Justice, Koen Geens, de « faire mieux avec moins » (beter with less). Alors qu’au fil du temps les pouvoirs législatifs et exécutifs ont été en partie défédéralisés, le pouvoir judiciaire demeure toujours – sous réserve de quelques exceptions – une compétence fédérale.

On dit souvent que les néerlandophones ont toujours une longueur d’avance sur les francophones. Cela s’avère être vrai. Régionaliser, communautariser, ou à tout le moins défédéraliser ce domaine régalien est présent dans les esprits du Nord depuis des années. Quant au Sud… mieux vaut se réserver le droit de ne pas répondre à cette question.

Bart De Wever (N-VA) et Johan Vande Lanotte (Sp.a) avaient déjà invoqués cette idée lors des préparations et négociations de la sixième réforme de l’Etat dans l’objectif de trouver une issue favorable à la crise politique de l’époque. Le nouveau gouvernement flamand a franchi un pas en créant un poste de ministre de la Justice. De plus, la N-VA a expressément demandé la présidence de la commission de la justice de la Chambre. Certes, étant donné qu’aucune disposition constitutionnelle n’ait encore été soumise à la révision, la création d’une telle institution relève du symbolique. Cependant, le message des néerlandophones est clair et la volonté de rendre les entités fédérées compétentes est indéniable. D’autant plus que la situation fédérale – incertaine – actuelle pointe son doigt de plus en plus vers une éventuelle future septième réforme de l’Etat.

La question se pose de savoir si un tel projet serait susceptible d’amener une solution durable. En d’autres termes, à titre caricatural mais néanmoins réaliste, est-il possible de transformer un âne en un cheval de course ?

L’étalon est censé être efficace, or le pouvoir fédéral n’a pas su offrir une justice qualitative aux justiciables. Le transfert de compétences aux Communautés ou Régions amènera un système judiciaire à plusieurs niveaux dans notre pays. Tel est déjà le cas en Suisse et chez nos voisins allemands, où la compétence judiciaire est attribuée de manière résiduelle aux entités fédérées, sous réserves de certaines garanties émanant d’une « super-structure » fédérale.

Chez nous, le partage et les éventuels conflits de compétences ne devraient pas poser de réels problèmes, à l’exception de Bruxelles, où des accords de coopérations paraissent inéluctables, voire même, au demeurant, une tutelle de l’Etat fédéral, en cas de communautarisation. Au vu de la croissance incessante des compétences législatives et exécutives fédérées, la défédéralisation de la justice permettrait une meilleure application du droit en vigueur. Il est important de préciser également que des mécanismes de collaboration paraissent indispensables (e.g. la question préjudicielle) afin que le fédéral ne vire aux chants du requiem.

Arrive, ensuite, la partie douloureuse, le coût. Même si la prétention d’un tel transfert n’est pas la création de nouvelles juridictions, la somme allouée à la préparation, à l’organisation, et au suivi d’une défédéralisation reste importante. Il y a lieu d’indiquer que sur le plan de l’économie d’échelle (schaaleconomieën), l’idée selon laquelle une société-mère regroupe sous sa propre coupole le financement identique des société-filles a pour objectif de faire des économies. Par conséquent, un tel transfert dans lequel les entités fédérées seront amenées à financer elles-mêmes, d’une façon similaire, leur pouvoir judiciaire respectif, ne parait guère opportun.

Autre point important : le consensualisme est rendu difficilement réalisable entre les trois différentes communautés du pays, voire même deux, vu que la Communauté germanophone est souvent oubliée. Les cultures juridiques sont-elles à ce point différentes en Belgique qu’elles obligeraient la défédéralisation de la justice ? Hormis la différence de langue, il existe bel et bien une culture juridique belge commune, mais celle-ci est précaire, et des risques existent concernant le manque de communication entre les deux communautés.

Il est vrai que des cultures spécifiques à chaque région commencent à voir le jour (e.g. droit de l’environnement, droit de l’urbanisme), complétées par les sensibilités idéologiques qui expliquent tel ou tel type de position des communautés. Toutefois, l’homogénéité des préférences reste la règle au niveau du pouvoir judiciaire, l’hétérogénéité demeurant non-prouvée, telle que l’atteste, de manière générale, les différentes jurisprudences rendues par les magistrats francophones et néerlandophones.

Alors que le Nord prône un transfert communautaire, justifiée par la peur que la minorité flamande de Bruxelles ne soit plus respectée, la situation budgétaire de la Communauté française démontre que cette position est intenable sur le plan fiscal. Celle-ci, n’étant pas en mesure de créer des impôts, est constamment endettée et serait contrainte de transférer son éventuelle compétence judiciaire d’une part, à la Région Wallonne et, d’autre part, à la Commission Communautaire Française (COCOF), ce qui en définitive serait tout autant problématique au vu des carences de liquidités dont fait face la COCOF.

Bruxelles doit être comprise comme étant une Région à part entière, et ainsi nous pourrons avancer, et envisager une éventuelle régionalisation du pouvoir judiciaire. Par ailleurs, il est important et indispensable que les néerlandophones du Nord comprennent que leurs pairs résidant dans notre Capitale ont une tendance idéologique différente des leurs.

Cela ne poserait pas de problèmes, d’autant plus qu’en vertu de l’article 139 de la Constitution, la Région Wallonne peut transférer, tout ou partie de ses compétences à la Communauté Germanophone.

In fine, les mêmes garanties en matière d’autonomie constitutive, telles que prévues par l’article 28 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, peuvent être envisagées pour Bruxelles, afin de dissiper toutes craintes des néerlandophones.

Pour conclure, la défédéralisation du pouvoir judiciaire reste – et restera – un sujet houleux sur la scène politique. En tant que futurs juristes, ce sujet nous tient à coeur et nous intéresse à tout égard. Nous sommes d’avis qu’il est dorénavant temps de se mettre autour d’une table, d’ouvrir cette boite de Pandore, et de mettre les choses à plat, afin de construire un meilleur futur, ainsi qu’une meilleure justice pour nos justiciables. Le séparatisme effraie bon nombre de personnes. Cependant, si telle est la volonté majoritaire, autant considérer l’éventualité d’une telle scission. A défaut, et tel est notre volonté, il est préférable de simplifier notre système pour assurer l’efficacité en supprimant les trois Communautés et Régions et envisager la création de nouvelles entités calquées sur les territoires linguistiques, à la lumière de l’article 4 de la Constitution. Outre cela, afin de garantir une politique productive, rendons à nouveau au pouvoir fédéral la compétence de certains domaine, tels que la mobilité, ou l’environnement. Concernant la justice, la voie est ouverte et le débat doit être mené en pesant les pours et les contres susmentionnés. Se substituera, ainsi, à la pluie et au mauvais temps de la justice actuelle, un merveilleux ciel bleu et nous pourrons admirer, sous les meilleurs hospices, un magnifique coucher de soleil.

Arnaud Devos (UCL) et Panayotis Korakovounis (ULB).

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