Claude Desama. © DENIS VASILOV/BELGAIMAGE

Ores: Claude Desama exaspère l’expert Damien Ernst

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Accusé par le politique de ne « rien y connaître en matière de réseaux », le professeur de l’université de Liège lui renvoie une longue réponse argumentée. Chaud devant…

Oui, les communes ont été flouées par Electrabel dans l’affaire Ores. Damien Ernst, professeur à l’université et expert en matière énergétique, débattait ce midi à la RTBF, après l’interview accordée cette semaine au Vif/ L’Express.

Claude Desama, ancien président d’Ores, toujours à la tête de l’intercommunal d’Intermixt et négociateur du double marché contesté entre Ores et Electrabel, lui faisait face. Une première : jusqu’ici, ce dinosaure de la politique, ancien bourgmestre de Verviers, restait relativement discret. Tout juste avait-il cosigné la réponse commune adressée par les dirigeants au Vif/ L’Express lorsque nous avions levé le lièvre, en mars dernier.

En réponse à l’argumentation de Damien Ernst, qui évoquait la surévaluation des réseaux dans un contexte de transition énergétique et les investissements colossaux qui seront nécessaires pour des communes déjà lourdement engagées financièrement, Claude Desama attaque frontalement en exposant les critères de la double négociation menée en 2008 et 2014, à laquelle il a participé, et en en défendant la méthodologie. « Ce que vos interlocuteurs ne semblent pas comprendre, c’est que des critères nous étaient imposés par le régulateur, qui était la Creg », dit-il notamment. Et il assène : « Damien Ernst est sur un terrain que visiblement il ne maîtrise pas. » (A réécouter en podcast).

Outré, le professeur de l’université de Liège vient de publier une réplique sèche sur son Facebook :

« J’ai cru halluciner, souligne-t-il. Je mettais calmement en avant le fait que les réseaux de distribution de gaz et électricité avaient sans doute été surévalués dans un contexte de transition énergétique (sans accuser personne, si ce n’est la « transition énergétique », un peu comme l’entreprise Kodak aurait été surévaluée au début des années 2000 si l’on n’avait pas anticipé la venue des appareils numériques) et je me fais violemment accrocher par Claude Desama, l’actuel président d’Intermixt, qui me dit en gros que je ne connais absolument rien à ce problème d’évaluation de la valeur des réseaux et que je ferais mieux de me taire.

Voici ma réponse en quelques points:

1. Je travaille sur un projet de recherche visant à étudier la tarification des réseaux de distribution et un autre visant à comprendre l’évolution des réseaux d’énergie. Ces projets sont intimement liés au problème de la valorisation que l’on peut faire des réseaux d’énergie. J’ai consacré également énormément de mon temps à définir/étudier des business modèles de rupture en matière d’approvisionnement en énergie qui pourraient mettre à mal le business case des réseaux de distribution d’énergie, voir par exemple : http://hdl.handle.net/2268/205035 , et donc réduire fortement leur valeur.

Je suis dès lors parfaitement au courant de ces notions concernant la valorisation des réseaux d’énergie, surtout dans un contexte de transition énergétique.

2. Même s’il ne le dit pas explicitement dans ses propos, Mr Claude Desama part de l’hypothèse simpliste que comme le régulateur garantit aux gestionnaires des réseaux de distribution leurs revenus futurs, ces revenus futurs seront bien honorés. Mais cet argent doit bien venir de quelque part. D’où ? Pour l’instant des utilisateurs du réseau. Mais si on décidait de réduire notre consommation en gaz domestique, pour réduire notamment nos émissions de CO2, est-ce que cela serait encore faisable que les utilisateurs du réseau honorent les revenus promis par le régulateur ? Bien sûr que non vu que le coût par kWh de gaz soutiré du réseau risquerait de devenir prohibitif. Le même raisonnement s’applique avec les réseaux de distribution d’électricité, dont l’utilité est moindre qu’avant avec l’évolution du stockage et du photovoltaïque. Et pour faire un parallèle avec un autre problème sociétal, je prends celui des pensions : est-ce que quelqu’un pense honnêtement que l’État saura honorer ses promesses en matière de pension avec une proportion sans cesse croissante de pensionnés ? Non, il faut bien que quelqu’un paye.

3. À cela s’ajoute le fait que si les réseaux veulent survivre, ils vont devoir s’adapter et des investissements massifs vont être nécessaires dans ces derniers, notamment (i) pour intégrer la mobilité électrique (ii) pour transformer les réseaux de gaz afin de leur permettre de transporter de l’hydrogène, le seul moyen à mon avis de les sauver dans un contexte de transition énergétique. Vu ces investissements massifs, je vois mal comment les réseaux d’énergie pourront aussi générer des bénéfices en plus de réaliser de tels investissements; bénéfices qui devraient permettra aux communes de récupérer leur 409 millions d’euros. Si des bénéfices étaient en plus reversés aux communes, il y a fort à parier que dans un tel contexte, la facture de gaz et d’électricité risquerait de devenir tellement prohibitive que cela serait socialement inacceptable.

4. Je termine ce long post en suggérant à Monsieur Desama de lire cet article qui traite du problème du « Utility death spiral » dont je viens de décrire quelques éléments ci-dessus.

Ce problème est bien réel. »

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