Walter Pauli

« On abuse de plus en plus impudemment de l’histoire pour affirmer qu’on a raison »

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

L’histoire est utilisée de plus en plus ouvertement et impudemment pour affirmer qu’on a raison. Et de préférence par des actions qui blessent « la partie adverse » ou du moins qui la heurtent, écrit Walter Pauli, journaliste au Knack.

Les statues : soudain, elles sont un outil indispensable dans le débat public. Le jour de la fête de l’indépendance américaine, le président américain Donald Trump a prononcé un discours au mont Rushmore devant les têtes sculptées de quatre de ses prédécesseurs iconiques – George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln. Trump s’est servi de cette origine entièrement américaine pour qualifier ses compatriotes de gauche de non-Américains. Certains d’entre eux avaient décapité ou renversé des images de Colomb ailleurs aux États-Unis le même jour. Pour eux, l’homme qui est entré dans l’histoire comme celui qui a découvert l’Amérique est un raciste.

En Belgique aussi, les statues suscitent la controverse. La peinture rouge sur les bustes de Léopold II symbolise l’effusion de sang au Congo belge. Même à la bibliothèque de l’université de Leuven, on a enlevé un buste de Léopold II. La lecture des livres rassemblés dans la bibliothèque aurait pu permettre au rectorat de savoir ce qui s’est réellement passé au Congo, quel rôle Léopold II y a joué et ce que d’autres Belges ont fait plus tard dans la même colonie. Peut-être que la KU Leuven pourrait également demander à la ville de Leuven de rebaptiser la « Monseigneur Van Waeyenberghlaan » : c’est sous la direction de ce recteur que l’université « Lovanium » a été fondée au Congo en 1954. Rien que le nom latin (la traduction de « Leuven ») indique que son projet s’inscrivait dans la pensée coloniale de l’époque.

Samedi, le président de la N-VA Bart De Wever prononcera son discours du 11 juillet devant le monument funéraire de Herman Van den Reeck, un militant flamand mort il y a cent ans – il avait à peine 19 ans. Van den Reeck a participé à une manifestation interdite à Anvers en 1920 : le jeune homme a été victime d’une balle de la police. Bientôt sortira une épaisse biographie consacrée à ce personnage secondaire du Mouvement flamand.

Van den Reeck était non seulement flamingant, mais aussi marxiste. Il détestait la bourgeoisie francophone qui maintenait le peuple flamand dans la pauvreté. Le socialiste Camiel Huysmans a pris la parole à ses funérailles et le nationaliste flamand d’extrême droite Wiens Moens a écrit un poème d’hommage depuis la prison. La question est de savoir quelle signification le président de la N-VA va maintenant donner à cette figure symbolique. Van den Reeck symbolise-t-il la coopération entre la gauche et la droite ? Cela pourrait être considéré comme une main tendue au PS/SP.A. Incarne-t-il la lutte radicale flamande, à laquelle on pourrait bien donner plus d’accents sociaux ? Cela serait plus conforme à la nouvelle direction de marche du Vlaams Belang. Ou bien De Wever, en tant que bourgmestre, veut-il s’excuser après cent ans pour l’action policière contre les manifestants à Anvers ? Là aussi, c’est tout à fait d’actualité.

C’est la perspective qui fait l’histoire. Deux des présidents du mont Rushmore, George Washington et Thomas Jefferson, employaient des esclaves. En même temps, « l’esclavagiste Jefferson » est également le principal auteur de la Déclaration d’indépendance américaine, qui contient la célèbre phrase : « Tous les hommes sont égaux ». C’est le point sur lequel Black Lives Matter souhaite attirer l’attention de Donald Trump, qui semble de moins en moins convaincu. Ou bien prenez l’exemple d’Honoré Van Waeyenbergh, qui a été arrêté par les nazis douze ans avant l’ouverture de Lovanium pour avoir obstinément refusé d’envoyer ses étudiants travailler en Allemagne – certains on donner leur nom à une rue pour moins que cela.

Ce n’est que rarement que l’on voit le contexte dans son ensemble et que l’on raconte toute l’histoire : le « maintenant » est devenu primordial. Pour beaucoup, l’histoire ne sert plus à transmettre la connaissance, la perspicacité et la sagesse. L’histoire est utilisée de plus en plus ouvertement et impudemment pour affirmer qu’on a raison. Et de préférence par des actions qui blessent « la partie adverse » ou du moins qui la heurtent : on exige un respect absolu de ses propres sensibilités, et en même temps on ignore brutalement les émotions des autres. Cette attitude, qu’elle concerne les partisans et les opposants du Père Fouettard ou les nouveaux iconoclastes, conduit presque toujours à un dialogue de sourds et aux conflits.

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